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idées que Dieu en a eues ne sont point différentes de lui-même; et qu'ainsi toutes les créatures, même les plus matérielles et les plus terrestres, sont en Dieu, quoique d'une manière toute spirituelle et que nous ne pouvons comprendre. Dieu voit donc au dedans de lui-même tous les êtres, en considérant ses propres perfections qui les lui représentent. Il connaît encore parfaitement leur existence, parce que, dépendant tous de sa volonté pour exister, et ne pouvant ignorer ses propres volontés, il s'ensuit qu'il ne peut ignorer leur existence; et par conséquent Dieu voit en lui-même non-seulement l'essence des choses, mais aussi leur existence.

Mais il n'en est pas de même des esprits créés; ils ne peuvent voir dans eux-mêmes ni l'essence des choses ni leur existence. Ils n'en peuvent voir l'essence dans eux-mêmes, puisqu'étant très-limités ils ne contiennent pas tous les êtres, comme Dieu, que l'on peut appeler l'être universel, ou simplement ce qui est 1, comme il se nomme lui-même. Puis donc que l'esprit humain peut connaître tous les êtres, et des êtres infinis, et qu'il ne les contient pas, c'est une preuve certaine qu'il ne voit pas leur essence dans lui-même; car l'esprit ne voit pas seulement tantôt une chose et tantôt une autre successivement, il aperçoit même actuellement l'infini quoiqu'il ne le conprenne pas, comme nous avons dit dans le chapitre précédent. De sorte que, n'étant point actuellement infini ni capable de modifications infinies dans le même temps, il est absolument impossible qu'il voie dans lui-même ce qui n'y est pas. Il ne voit donc pas l'essence des choses en considérant ses propres perfections ou en se modifiant diversement.

Il ne voit pas aussi leur existence dans lui-même,

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parce qu'elles ne dépendent point de sa volonté pour exister, et que les idées de ces choses peuvent être présentes à l'esprit quoiqu'elles n'existent pas; car tout le monde peut avoir l'idée d'une montagne d'or sans qu'il y ait une montagne d'or dans la nature; et quoique l'on s'appuie sur les rapports de ses sens pour juger de l'existence des objets, néanmoins la raison ne nous assure point que nous devions toujours en croire nos sens, puisque nous découvrons clairement qu'ils nous trompent. Quand un homme, par exemple, a le sang fort échauffé, ou simplement quand il dort, il voit quelquefois devant ses yeux des campagnes, des combats et choses semblables, qui toutefois ne sont point présents et qui ne furent peut-être jamais. Il est donc indubitable que ce n'est pas en soi-même ni par soi-même que l'esprit voit l'existence des choses, mais qu'il dépend en cela de quelque autre chose.

CHAPITRE VI

Que nous voyons toutes choses en Dieu.

Nous avons examiné dans les chapitres précédents quatre différentes manières dont l'esprit peut voir les objets de dehors, lesquelles ne nous paraissent pas vraisemblables. Il ne reste plus que la cinquième qui paraît seule conforme à la raison, et la plus propre pour faire connaître la dépendance que les esprits ont de Dieu dans toutes leurs pensées.

Pour la bien comprendre, il faut se souvenir de ce qu'on vient de dire dans le chapitre précédent, qu'il est absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les êtres qu'il a créés, puisqu'autrement il n'aurait pas pu les produire, et qu'ainsi il voit tous ces êtres en considérant les perfections qu'il renferme auxquelles ils ont rapport. Il faut de plus savoir que Dieu est très-étroitement uni à nos âmes par sa présence, de sorte qu'on peut dire qu'il est le lieu des esprits, de même que les espaces sont en un sens le lieu des corps. Ces deux choses étant supposées, il est certain que l'esprit peut voir ce qu'il y a dans Dieu qui représente les êtres créés, puisque cela est très-spirituel, très-intelligible et très-présent à l'esprit. Ainsi, l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a dans lui qui les représente. Or, voici les raisons qui semblent prou

ver qu'il le veut plutôt que de créer un nombre infini d'idées dans chaque esprit.

Non-seulement il est très-conforme à la raison, mais encore il paraît par l'économie de toute la nature, que Dieu ne fait jamais par des voies très-difficiles ce qui se peut faire par des voies très-simples et très-faciles; car Dieu ne fait rien inutilement et sans raison. Ce qui marque sa sagesse et sa puissance n'est pas de faire de petites choses par de grands moyens; cela est contre la raison et marque une intelligence bornée. Mais au contraire, c'est de faire de grandes choses par des moyens très-simples et très-faciles. C'est ainsi qu'avec l'étendue toute seule il produit tout ce que nous voyons d'admirable dans la nature et même ce qui donne la vie et le mouvement aux animaux; car ceux qui veulent absolument des formes substantielles, des facultés et des âmes dans les animaux, différentes de leur sang et des organes de leur corps pour faire toutes leurs fonc. tions, veulent en même temps que Dieu manque d'intelligence ou qu'il ne puisse pas faire ces choses admirables avec l'étendue toute seule. Ils mesurent la puissance de Dieu et sa souveraine sagesse par la petitesse de leur esprit. Puis donc que Dieu peut faire voir aux esprits toutes choses en voulant simplement qu'ils voient ce qui est au milieu d'eux-mêmes, c'est-à-dire ce qu'il y a dans lui-même qui a rapport à ces choses et qui les représente, il n'y a pas d'apparence qu'il le fasse autrement, et qu'il produise pour cela autant d'infinités de nombres infinis d'idées qu'il y a d'esprits créés.

Mais il faut bien remarquer qu'on ne peut pas conclure que les esprits voient l'essence de Dieu de ce qu'ils voient toutes choses en Dieu de cette manière. L'essence de Dieu, c'est son être absolu, et les esprits ne voient point la substance divine prise absolument, mais seulement en tant que relative aux créatures ou parti

cipable par elles. Ce qu'ils voient en Dieu est très-imparfait, et Dieu est très-parfait. Ils voient de la matière divisible, figurée, etc., et en Dieu il n'y a rien qui soit divisible ou figuré; car Dieu est tout être, parce qu'il est infini et qu'il comprend tout; mais il n'est aucun être en particulier. Cependant ce que nous voyons n'est qu'un ou plusieurs êtres en particulier; et nous ne comprenons point cette simplicité parfaite de Dieu qui renferme tous les êtres. Outre qu'on peut dire qu'on ne voit pas tant les idées des choses que les choses mêmes que les idées représentent; car lorsqu'on voit un carré, par exemple, on ne dit pas que l'on voit l'idée de ce carré qui est unie à l'esprit, mais seulement le carré qui est au dehors.

La seconde raison qui peut faire penser que nous voyons tous les êtres à cause que Dieu veut que ce qui est en lui qui les représente nous soit découvert, et non point parce que nous avons autant d'idées créées avec nous que nous pouvons voir de choses, c'est que cela met les esprits créés dans une entière dépendance de Dieu, et la plus grande qui puisse être; car cela étant ainsi, non-seulement nous ne saurions rien voir que Dieu ne veuille bien que nous le voyions, mais nous ne saurions rien voir que Dieu même ne nous le fasse voir. Non sumus sufficientes cogitare aliquid a nobis tanquam ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est1. C'est Dieu même qui éclaire les philosophes dans les connaissances que les hommes ingrats appellent naturelles, quoiqu'elles ne leur viennent que du ciel: Deus enim illis manifestavit. C'est lui qui est proprement la lumière de l'esprit et le père des lumières : Pater luminum 3; c'est lui qui enseigne la science aux hommes: Qui docet homi

12 ad Cor. III, 3.

2 Rom. 1, 17.

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