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contraignent pas, comme il arrive ici; car, quoique nous nous sentions extrêmement portés, par une habitude très-forte, à juger que nos sensations sont dans les objets, comme que la chaleur est dans le feu et les couleurs dans les tableaux, cependant nous ne voyons point de raison certaine et évidente qui nous presse et qui nous oblige à le croire; et ainsi nous nous soumettons volontairement à l'erreur, par le mauvais usage que nous faisons de notre liberté, quand nous formons librement de tels jugements.

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CHAPITRE XV

Explication des erreurs particulières de la vue, pour servir d'exemple des erreurs générales de nos sens.

Nous avons donné, ce me semble, assez d'ouverture pour reconna'tre les erreurs de nos sens à l'égard des qualités sensibles en général, desquelles on a parlé à l'occasion de la lumière et des couleurs, que l'ordre demandait qu'on expliquât. Il semble qu'on devrait maintenant descendre un peu dans le particulier et examiner en détail les erreurs où chacun de nos sens nous porte; mais on ne s'arrêtera pas à ces choses, parce qu'après ce que l'on a déjà dit, un peu d'attention suppléera facilement à des discours ennuyeux que l'on serait obligé de faire. On va seulement rapporter les erreurs générales où notre vue nous fait tomber touchant la lumière et les couleurs, et l'on croit que cet exemple suffira pour faire reconnaître les erreurs de tous les autres sens.

Lorsque nous avons regardé quelques moments le soleil, voici ce qui se passe dans nos yeux et dans notre âme, et les erreurs dans lesquelles nous tombons.

Ceux qui savent les premiers éléments de la dioptrique et quelque chose de la structure admirable des yeux, n'ignorent pas que les rayons du soleil souffrent réfraction dans le cristallin et dans les autres humeurs, et qu'ils se rassemblent ensuite sur la rétine ou nerf

optique, qui tapisse tout le fond de l'œil, de la même manière que les rayons du soleil qui traversent une loupe ou verre convexe se rassemblent au foyer ou point brûlant de ce verre, à deux, trois ou quatre pouces de lui, à proportion de sa convexité. Or, l'expérience apprend que si on met au foyer de cette loupe quelque petit morceau d'étoffe ou de papier noir, les rayons du soleil font une si grande impression sur cette étoffe ou sur ce papier, et ils en agitent les petites parties avec tant de violence, qu'ils les rompent et les séparent les unes des autres; en un mol, qu'ils les brûlent ou les réduisent en fumée et en cendres1.

Ainsi l'on doit conclure de cette expérience que si le nerf optique était noir, et que si la prunelle ou le trou de l'uvée par laquelle la lumière entre dans les yeux s'élargissait pour laisser librement passer les rayons du soleil, au lieu qu'elle se rétrécit pour les en empêcher, il arriverait la même chose à notre rétine qu'à cette étoffe ou à ce papier noir, et ses fibres seraient si fort agitées qu'elles seraient bientôt rompues et brûlées. C'est pour cette raison que la plupart des hommes sentent une grande douleur s'ils regardent pour un moment le soleil, parce qu'ils ne peuvent si bien fermer le trou de la prunelle qu'il n'y passe toujours assez de rayons pour agiter les filets du nerf optique avec beaucoup de violence et avec quelque Sujet de craindre qu'ils ne se rompent.

L'âme n'a aucune connaissance de tout ce que nous venons de dire; et quand elle regarde le soleil, elle n'aperçoit ni son nerf optique ni qu'il y ait du mouvement dans ce nerf; mais cela n'est pas une erreur, ce n'est qu'une simple ignorance. La première erreur

1 Le papier noir brûle facilement, mais il faut une loupe plus grande ou plus convexe pour brûler du papier blanc.

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où elle tombe est qu'elle juge que la douleur qu'elle sent est dans son œil.

Si, incontinent après qu'on a regardé le soleil, on entre dans un lieu fort obscur les yeux ouverts, cet ébranlement des fibres du nerf optique causé par les rayons du soleil diminue et se change peu à peu. C'est là tout le changement que l'on peut concevoir dans les yeux. Cependant ce n'est pas ce que l'âme aperçoit, mais seulement une lumière blanche et jaune; et la seconde erreur est qu'elle juge que la lumière qu'elle voit est dans ses yeux ou sur une muraille proche de

nous.

Enfin l'agitation des fibres de la rétine diminue toujours et cesse peu à peu; car lorsqu'un corps a été ébranlé, on n'y doit rien concevoir autre chose qu'une diminution de son mouvement; mais ce n'est point encore ce que l'âme sent dans ses yeux. Elle voit que la couleur blanche devient orangée, puis se change en rouge, et enfin en bleue. Et la troisième erreur où nous tombons est que nous jugeons qu'il y a dans notre œil ou sur une muraille proche de nous des changements qui diffèrent bien davantage que du plus et du moins, à cause que les couleurs bleue, orangée et rouge que nous voyons diffèrent entre elles bien autrement que du plus et du moins.

Voilà quelques erreurs où nous tombons touchant la lumière et les couleurs; et ces erreurs nous font encore tomber en beaucoup d'autres, comme nous l'allons expliquer dans les chapitres suivants.

CHAPITRE XVI

I. Que les erreurs de nos sens nous servent de principes généraux et fort féconds pour tirer de fausses conclusions, lesquelles servent de principes à leur tour. II. Origine des différences essentielles. III. Des formes substantielles. IV. De quelques autres erreurs de la philosophie de l'école.

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I. On a, ce me semble, expliqué suffisamment, pour des personnes qui ne sont point préoccupées et qui sont capables de quelque attention d'esprit, en quoi consistent nos sensations et les erreurs générales qui s'y trouvent. Il est maintenant à propos de montrer qu'on s'est servi de ces erreurs générales comme de principes incontestables pour expliquer toutes choses; qu'on en a tiré une infinité de fausses conséquences qui ont aussi à leur tour servi de principes pour tirer d'autres conséquences, et qu'ainsi on a composé peu à peu ces sciences imaginaires sans corps et sans réalité après lesquelles on court aveuglément, mais qui, semblables à des fantômes, ne laissent autre chose à ceux qui les embrassent que la confusion et la honte de s'être laissé séduire, ou ce caractère de folie qui fait qu'on prend plaisir à se repaître d'illusions et de chimères. C'est ce qu'il faut montrer en particulier par des exemples.

On a déjà dit que nous avions coutume d'attribuer aux objets nos propres sensations, et que nous jugions que les couleurs, les odeurs, les saveurs et les autres

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