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tableaux poétiques doivent-ils être plus monotones. On a bientôt décrit des forêts vastes et profondes, des précipices et des torrents.

Si la Gaule est devenue plus poétique, c'est par les arts, et par les accidents moraux qui en ont varié la surface: encore n'a-t-elle jamais eu, soit au physique, soit au moral, de ces aspects dont la grandeur étonne et tient du merveilleux.

Qu'ont fait les hommes de génie, qui, dans l'épopée, ont voulu donner à la poésie française un plus heureux essor? L'un a saisi, dans notre histoire, le moment où les mœurs françaises, animées par le fanatisme et par l'enthousiasme des partis, donnaient aux vices et aux vertus le plus de force et d'énergie. Il a choisi pour son héros un roi brillant par son courage, intéressant par ses malheurs, adorable par sa bonté; et à l'action de ce héros,

Qui fut de ses sujets le vainqueur et le père,

il a entremêlé avec ménagement des fictions épisodiques, les unes prises dans la croyance, et les autres dans le systême universel de l'allégorie; mais toutes élevées par son génie à la hauteur de l'épopée, et décorées par l'harmonie et le coloris des beaux vers.

L'autre a ramené la poésie dans son berceau et aux pieds du tombeau d'Homère. Il a pris son sujet dans Homère lui-même; a fait d'un épisode de l'Odyssée l'action générale de son poëme; et

Élém. de Littér. IV.

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au milieu de tous les trésors que nous avons vus étalés dans la Grèce sous les mains de la poésie, il en a pris en liberté, mais avec le discernement du goût le plus exquis, tout ce qui pouvait rendre aimable, intéressante et persuasive, la plus courageuse leçon qu'on ait jamais donnée aux enfants de nos rois.

Si l'aventure de la Pucelle avait été célébrée sérieusement par un homme de génie, personne, après lui, n'aurait osé en faire un poëme comique. Peut-être aussi y aurait-il eu quelque avantage, du côté des mœurs, à chanter l'incursion des Sarrasins en-deçà des Pyrénées; et Martel, vainqueur d'Abdérame, est un héros digne de l'épopée. A cela près, on ne voit guère, dans notre histoire, de sujets vraiment héroïques; et l'on peut dire que le génie y sera toujours à l'étroit.

Il n'y avait guère plus d'apparence que la tragédie pût réussir sur nos théâtres; cependant elle s'y est élevée à un degré de gloire dont le théâtre d'Athènes aurait été jaloux: 1° parce qu'elle y obtint, dès sa naissance, beaucoup d'encouragement, de faveur et d'émulation;

2o

parce qu'elle ne s'astreignit point à être française, et qu'elle tira ses sujets de l'histoire de tous les siècles et des mœurs de tous les pays; 3o parce qu'elle se fit un nouveau systême, et qu'elle sut prendre ses avantages sur le nouveau théâtre qu'on lui avait élevé.

Ce fut sous le règne de Henri II qu'elle fit ses premiers essais. Rien de plus pitoyable à nos yeux que cette Cléopâtre et cette Didon qui firent la gloire de Jodelle; mais Jodelle était un génie en comparaison de tout ce qui l'avait précédé. «Le roi lui donna, dit Pasquier, cinq cents écus de son épargne, et lui fit tout plein d'autres grâces, d'autant plus que c'était chose nouvelle, et très-belle, et très-rare. »

*

Il n'en fallut pas davantage pour exciter cette émulation, dont les efforts, malheureux à la vérité durant l'espace de près d'un siècle, furent à la fin couronnés.

La première cause de la faveur et des succès qu'eut la poésie dans un climat qui n'était pas le sien, fut le caractère d'un peuple curieux, léger, et sensible, passionné pour l'amusement, et, après les Grecs, le plus susceptible qui fut jamais d'agréables illusions. Mais ce n'eût été rien, sans l'avantage prodigieux pour les muses de trouver une ville opulente et peuplée, qui fût le centre des richesses, du luxe et de l'oisiveté, le rendez-vous de la partie la plus brillante de la nation, attirée par l'espérance de la faveur et de la fortune, et par l'attrait des jouissancés. Il est plus que vraisemblable que s'il n'y eût pas eu un Paris, la nature aurait inutilement produit un Corneille, un Racine, un Voltaire.

Parmi les causes des succès de la poésie dra

matique, se présente naturellement la protection éclatante dont l'honora le cardinal de Richelieu, et après lui Louis XIV: mais celle de Louis XIV fut éclairée, celle du cardinal ne le fut pas assez; aussi vit-on sous son ministère le triomphe du mauvais goût, sur lequel enfin prévalut le génie.

Les poëtes français avaient senti, comme par instinct, que l'histoire de leur pays serait un champ stérile pour la tragédie. Ils avaient commencé, comme les Romains, par copier les Grecs. Ils couraient comme des aveugles, tantôt dans les routes anciennes, tantôt dans des sentiers nouveaux qu'ils voulaient se frayer eux-mêmes. De l'histoire fabuleuse des Grecs, ils se jetaient dans l'histoire romaine, quelquefois dans l'histoire sainte; ils copiaient servilement et froidement les poëtes italiens; ils entassaient sur leur théâtre les aventures des romans; ils empruntaient des poëtes espagnols leurs rodomontades et leurs extravagances; et ce qu'il y a d'étonnant, c'est que de toutes ces tentatives malheureuses devait résulter le triomphe de la tragédie, par la liberté sans bornes qu'elle se donnait de puiser dans toutes les sources, et de réunir sur un seul théâtre les événements et les mœurs de tous les pays et de tous les temps. C'est là ce qui a rendu le génie tragique si fécond sur la scène française, et multiplié en même temps ses richesses et nos plaisirs.

La tragédie, chez les Grecs, ne fut que le ta

bleau vivant de leur histoire. C'était sans doute un avantage du côté de l'intérêt car d'un événement national, l'action est comme personnelle aux spectateurs; et nous en avons des exemples. Mais à l'intérêt patriotique il est possible de suppléer par l'intérêt de la nature, qui lie ensemble tous les peuples du monde, et qui fait que l'homme vertueux et souffrant, l'homme faible et opprimé, l'homme innocent et malheureux, n'est étranger dans aucun pays. Voilà la base du systême tragique que nos poëtes ont élevé; et ce systême vaste leur ouvrait deux carrières, celle de la fatalité et celle des passions humaines. Dans la première, ils ont suivi les Grecs, et en les imitant, ils les ont surpassés; dans la seconde, ils ont marché à la lumière de leur propre génie, et il y a peu d'apparence qu'on aille jamais plus loin qu'eux. Leur génie a tiré avantage de tout, et même du peu d'étendue de nos théâtres modernes, en donnant plus de correction à des tableaux vus de plus près.

Ainsi, à la faveur des lieux, des hommes et des temps, la tragédie s'éleva sur la scène française jusqu'à son apogée; et durant plus d'un siécle, le génie et l'émulation l'y ont soutenue dans toute sa splendeur. Mais par le seul tarissement des sources où elle s'est enrichie, par les limites naturelles du vaste champ qu'elle a parcouru, par l'épuisement des combinaisons, soit d'intérêt, soit de caractères, soit de passions théâtrales, il serait possible d'annoncer son déclin et sa décadence.

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