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penses diminuer de jour en jour? Où nous conduira cette mollesse qui s'accroît sans fin, si ce n'est à l'abaissement universel des caractères et par là au renversement de la société ? Déjà les tristes prédictions de Benoît XIV ne sont que trop visiblement accomplies. Les nations chez lesquelles l'idée de l'expiation vient à s'éteindre défient la colère de Dieu; et il ne reste bientôt plus pour elles d'autre sort que la dissolution ou la conquête. De pieux et courageux efforts ont été faits pour relever l'observation du Dimanche, au sein de nos populations asservies sous l'amour du gain et de la spéculation. Des succès inespérés sont venus couronner ces efforts; qui sait si le bras du Seigneur levé pour nous frapper ne s'arrêtera pas, en présence d'un peuple qui commence à se ressouvenir de la maison de Dieu et de son culte? Nous devons l'espérer; mais cet espoir sera plus ferme encore, lorsque l'on verra les chrétiens de nos sociétés amollies et dégénérées rentrer, à l'exemple des Ninivites, dans la voie trop longtemps abandonnée de l'expiation et de la pénitence.

Mais reprenons notre récit historique, et signalons encore quelques traits de l'antique fidélité des chrétiens aux saintes observances du Carême. Il ne sera pas hors de propos de rappeler ici la forme des premières dispenses dont les annales de l'Eglise ont conservé le souvenir : on y puisera un enseignement salutaire.

Au XIIIe siècle, l'archevêque de Brague recourait au Pontife Romain, qui était alors le grand Innocent III, pour lui faire savoir que la plus grande partie de son peuple avait été obligée de se nourrir de viande durant le Carême, par suite d'une disette qui avait privé la province de toutes les provisions ordinaires; le prélat demandait au

pape quelle compensation il devait imposer aux fidèles pour cette violation forcée de l'abstinence quadragésimale. Il consultait en outre le Pontife sur la conduite à tenir à l'égard des malades qui demandaient dispense pour user d'aliments gras. La réponse d'Innocent III, qui est insérée au Corps du Droit 1, est pleine de modération et de charité, comme on devait s'y attendre; mais nous apprenons par ce fait que tel était alors le respect pour la loi générale du Carême, que l'on ne voyait que l'autorité du souverain pontife qui pût en délier les fidèles. Les âges suivants n'eurent point une autre manière d'entendre la question des dispenses.

Venceslas, roi de Bohême, se trouvant atteint d'une infirmité qui rendait nuisibles à sa santé les aliments de Carême, s'adressa, en 1297, à Boniface VIII, afin d'obtenir la permission d'user de la viande. Le Pontife commit deux Abbés de l'Ordre de Cîteaux pour informer au sujet de l'état réel de la santé du prince; et, sur leur rapport favorable, il accorda la dispense demandée, en y mettant toutefois les conditions suivantes : que l'on s'assurerait si le roi ne se serait pas engagé par vœu à jeûner toute sa vie pendant le Carême; que les vendredis, les samedis et la Vigile de saint Mathias seraient exceptés de la dispense; enfin que le roi mangerait en particulier, et le ferait

sobrement 2.

Nous trouvons au xive siècle deux brefs de dispense adressés par Clément VI, en 1351, à Jean, roi de France, et à la reine son épouse. Dans le premier, le Pape, ayant égard à ce que le roi,

1. Decretal., lib. III, cap. Consilium; de Jejunio. Tit. XLVI. 2. RAYNALDI, ad ann. 1297.

durant les guerres auxquelles il est occupé, se trouve souvent en des lieux où le poisson est rare, accorde au confesseur de ce prince le pouvoir de permettre, à lui et à ceux qui seront à sa suite, l'usage de la viande, à la réserve cependant du Carême entier, des vendredis de l'année et de certaines Vigiles; pourvu encore que ni le roi ni les siens ne se soient pas engagés par un vœu à l'abstinence pendant toute leur vie 1. Par le second bref, Clément VI, répondant à la demande que lui avait présentée le roi Jean pour être exempté du jeûne, commet encore le confesseur du monarque et ceux qui lui succéderont dans cet emploi, pour le dispenser, ainsi que la reine, de l'obligation du jeûne, après avoir pris l'avis des médecins 2.

Quelques années plus tard, en 1376, Grégoire XI rendait un nouveau bref, en faveur du roi de France Charles V et de la reine Jeanne son épouse, par lequel il déléguait à leur confesseur le pouvoir de leur accorder l'usage des œufs et des laitages, pendant le Carême, de l'avis des médecins qui demeureront chargés en conscience, aussi bien que le confesseur, d'en répondre devant Dieu. La permission s'étend aux cuisiniers et aux serviteurs, mais seulement pour goûter les mets 3.

Le xve siècle continue de nous fournir des exemples de ce recours au siège apostolique pour la dispense des observances quadragésimales. Nous citerons en particulier le bref que Sixte IV adressa, en 1483, à Jacques III, roi d'Ecosse, et par lequel il permet à ce prince d'user de la viande aux jours d'abstinence, toujours de l'avis du confesseur. Enfin, au xvre siècle, nous voyons

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Jules II accorder une faculté semblable à Jean, roi de Danemark, et à la reine Christine son épouse '; et quelques années plus tard, Clément VII octroyer le même privilège à l'empereur CharlesQuint 2, et ensuite à Henri II de Navarre et à la reine Marguerite son épouse 3.

Telle était donc la gravité avec laquelle on procédait encore il y a trois siècles, quand il s'agissait de délier les princes eux-mêmes d'une obligation qui tient à ce que le christianisme a de plus universel et de plus sacré. Que l'on juge d'après cela du chemin qu'ont fait les sociétés modernes dans la voie du relâchement et de l'indifférence. Que l'on compare ces populations auxquelles la crainte des jugements de Dieu et la noble idée de l'expiation faisaient embrasser chaque année de si longues et si rigoureuses privations, avec nos races molles et attiédies chez lesquelles le sensualisme de la vie éteint de jour en jour le sentiment du mal, si facilement commis, si promptement pardonné et réparé si faiblement.

Où sont maintenant ces joies naïves et innocentes de nos pères à la fête de Pâques, lorsque, après une privation de quarante jours, ils rentraient en possession des aliments plus nourrissants et plus agréables qu'ils s'étaient interdits durant cette longue période ? Avec quel charme, et aussi quelle sérénité de conscience, ils rentraient dans les habitudes d'une vie plus facile qu'ils avaient suspendue pour affliger leurs âmes dans le recueillement, la séparation du monde et la pénitence! Et ceci nous amène à ajouter quelques mots encore pour aider le lecteur catholique

1. RAYNALDI, ad ann. 1505. - 2. Ibid. ad ann. 1524. 3. Ibid. ad ann. 1533.

à bien saisir l'aspect de la chrétienté, dans les âges de foi, au temps du Carême.

Que l'on se figure donc un temps durant lequel non seulement les divertissements et les spectacles étaient interdits par l'autorité publique ', mais où les tribunaux vaquaient, afin de ne pas troubler cette paix et ce silence des passions si favorable au pécheur pour sonder les plaies de son âme, et préparer sa réconciliation avec Dieu. Dès l'an 380, Gratien et Théodose avaient porté une loi qui ordonnait aux juges de surseoir à toutes procédures et à toutes poursuites, quarante jours avant Pâques 2. Le Code Théodosien renferme plusieurs autres dispositions analogues; et nous voyons les conciles de France, encore au ixe siècle, s'adresser aux rois carlovingiens pour réclamer l'application de cette mesure, qui avait été sanctionnée par les Canons et recommandée par les Pères de l'Eglise 3. La législation d'Occident a depuis longtemps laissé tomber ces traditions trop chrétiennes; mais, il faut le dire avec humiliation, elles se sont conservées chez les Turcs qui, aujourd'hui encore, suspendent toute action judiciaire pendant la durée des trente jours de leur grand Ramadan.

Le Carême fut longtemps jugé incompatible avec l'exercice de la chasse, à cause de la dissipation et du tumulte qu'il entraîne. Au Ixe siècle, le pape saint Nicolas Ier l'interdisait durant ce saint temps aux Bulgares, nouvellement convertis au

1. Justinien avait porté cette loi, au rapport de Photius, Nomocanon, tit. vii, cap. 1. Elle est toujours en vigueur à Rome. - 2. Cod. Theodos., lib. IX, tit. xxxv, leg. 4. 3. Concile de Meaux, en 845. LABB. Concil., tom. VII. Concile de Tribur, en 895. Ibid., tom. IX. 4. Ad consultat. Bulgarorum. LABB. Concil., tom. VIII.

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