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ce ne fut que dans le moyen âge qu'il devint le plus sacré de tous les liens et domina toutes les autres affections.

Dans l'Edda, on ne perd jamais l'ensemble de vue, un même esprit anime tout, et les détails appartiennent tous au même temps; on reconnaît dans chaque chant un fragment d'une seule tradition que les poëtes n'arrangent point, mais qu'ils acceptent dans toute sa rudesse et son unité primitives. Dans le poëme allemand, au contraire, l'intention d'être logique est évidente: on veut tout justifier, trouver une raison à tous les événements; on se préoccupe moins des sentiments et des idées que de leur cause. Leur vérité ellemême ne suffit plus on les exagère pour les rendre plus poétiques, on les encadre pour les rendre plus saillants, et l'on pose des caractères primitifs au milieu de la pompe des fêtes et des dévoûments de la vie féodale (1). Jamais une inspiration naïve n'aurait attaché une si grande importance à des mœurs extérieures et au besoin d'une idée morale visible; jamais elle n'eût matérialisé ainsi la punition du crime (2) et sacrifié une vérité profonde à une réalité sensible et mesquine. L'unité elle-même est détruite : on distingue deux traditions, aussi différentes par leur esprit que par leur forme. La première partie est bien plus lyrique que la seconde : le ton calme, épique, impartial, de celle-ci, témoigne déjà de poëtes bien moins naïfs; mais, quoique postérieure par l'esprit de la composition, elle est plus ancienne par le sujet. Le mépris fastueux de la mort que les Nibelung déploient à la cour d'Etzel, leur grandeur physique bien

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plus que morale, les cadavres que le poëte se plaît à amonceler jusqu'au plafond de la salle, cette mare de sang qui monte au genou des guerriers et apaise leur soif, tout cela appartient évidemment aux temps barbares. Sans doute les traditions qui servent de base à la seconde partie s'étaient naturalisées avant les autres (1), et, en leur donnant une nouvelle forme, les poëtes respectaient les faits et les caractères; tandis que, plus libres avec des traditions étrangères, tout en conservant le cadre et l'esprit de leur première version (2), parce qu'ils n'étaient plus que de grossiers rhapsodes, sans originalité et sans connaissance de leur art (3), ils y mêlaient les idées de leurs contemporains (4). Quoi qu'il en soit, on ne peut croire que les traditions soient passées de l'Allemagne en Scandinavie (5), et à moins de supposer sans aucune preuve que les deux peuples les avaient également apportées d'Orient (6), on est forcé de reconnaître l'influence de la

(1) Elle se rattache au cycle de Dietrich, qui, comme nous l'avons vu, n'était pas connu en Scandinavie.

(2) La forme lyrique de la première partie nous semble une preuve evidente de son origine étrangère. L'esprit calme et impartial des Allemands arriva promptement à la forme épique; elle est déjà fortement marquée dans le Hildebrands lied, et on la retrouve dans tous les poëmes que leur division en strophes semblait préparer à une poésie passionnée. Il faut nécessairement qu'il y eût dans le sujet du Nibelunge, tel qu'il arrivait au poëte, un élément différent qui ne pouvait être qu'étranger. C'est d'ailleurs dans la première partie que s'est conservé tout ce qui semble d'origine orientale, non pas seulement dans les idées, mais dans les faits ainsi, par exemple, Sigfrit y chasse aux lions; 878, 879.

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(3) La forme du Nibelunge Not est sans aucune valeur; les rimes sont d'une pauvreté misérable, et la langue manque également de flexibilité et d'harmonie. Il doit toute sa réputation au vieil esprit teutonique dont il est empreint, et qu'on voulait réveiller en Allemagne pour repousser la domination de Napo

léon; le Kutrun, et surtout l'Alexander de Lamprecht, ont infiniment plus de valeur littéraire.

(4) Dans les chants scandinaves, tous les héros sont payens, et Odin lui-même y joue un rôle ; tandis que, à l'exception des Huns, ils sont tous chrétiens dans le Nibelunge Not: les seigneurs ont des chapelains, et les reines se disputent le pas pour aller à l'église. Le poëte fait tuer Sigfrit par un étranger : dans l'Edda, le meurtrier était son beau-frère; mais il craignait de révolter des mœurs déjà plus policées.

(5) MM. Grimm eux-mêmes ont reconnu (Ueber deutsche Rünen, p. 161, et Alldäniche Lieder, p. 430) que la version scandinave était, dans quelques points importants, plus ancienne et plus originale que la tradition allemande.

(6) C'est l'opinion que Müller a soutenue dans le second volume de sa Bibliothèque des Saga. Nous croyons qu'une critique sérieuse adopte difficilement des conjectures qui ne s'appuient sur aucune base, même quand rien ne les contrarie; c'est prendre le possible pour le réel. Mais on ne peut admettre que la même poésie se soit développée d'une manière si parfaitement semblable chez deux nations aus

poésie islandaise sur les premiers développements de la poésie allemande (1).

DES IMITATIONS.

Dès le 5e siècle la vie s'était retirée de la littérature antique, on ne trouvait déjà dans ses images que des mots

si différentes et aussi voisines. Il est d'ailleurs certain qu'il y avait deux traditions non seulement elles font tuer Sigurth, l'une dans un bois, et l'autre dans son lit; mais les écrivains du Nord les connaissaient toutes les deux (pypverskir menn segia sva at þeir dræpi hann uti i skogi; Edda, t. II, p. 255. Pyp-verskir menn segia Sigurd drepinn hafa verit uti i skogi; Norna Gestssaga, c. VIII), et un vieux poëme qui ne nous est pas parvenu (le Gudrunar-quida inn forni) avait adopté la version allemande. Aux preuves que nous avons déjà données de l'influence scandinave, nous ajouterons que dans le Kutrun elle est visible dans plusieurs aventures et dans l'esprit de certaines parties, par exemple le combat entre les armées de Hartmut et de Hetel, et qu'il y a des expressions étrangères à l'allemand usuel et littéralement traduites de l'islandais: ce sont des synonymes poétiques indiqués par le Kenningar.

(1) Il ne semble pas possible que la tradition de Sigurth ne fût pas connue en Scandinavie pendant le 9e siècle: une expression du Biarka - mal (rogr. Niflunga, ap. Snorra-Edda, p. 155) lui doit son origine, et, si on ne peut en déterminer la date d'une manière certaine, on sait au moins qu'en 1050 il était déjà ancien, et se chantait au commencement des batailles pour animer le courage des soldats; Snorri, Heimskringla, t. II, p. 347, 348. La tradition primitive allemande ne nous est pas parvenue; mais Saxo Grammaticus nous apprend qu'en

Saxe (l'ancienne Saxe, qui touchait au Holstein, et où l'on parlait la même langue qu'en Scandinavie; voyez cidessus, p. 43 et 44) elle était fort célèbre en 1152, et sous la forme qu'elle a dans le Nibelunge Not; c'était Kriemhilt qui cauquod Canutum saxonici et nominis et ritus amantissimum scisset... speciosissimi carminis contextu notissimam Grimildae erga fratres perfidiam de industria memorare adorsus; 1. VIII, p. 239. La langue de la version actuelle ne permet pas de la croire antérieure au 13 siècle, et cette raison décisive est encore confirmée par plusieurs autres. Il est question d'objets de luxe que les Croisades introduisirent en Europe, et de pays qui n'étaient pas connus auparavant et ne pouvaient pas l'ètre : le Maroc (st. 355) n'existait pas avant le 11 siècle, et Vienne (st. 1102, 1501) ne fut fondée qu'en 1162. L'évêque Pilgerin (st. 1256) était certainement mort bien des années avant qu'on le fît contemporain de personnages qui avaient vécu plus de cinq cents ans avant lui, et il fut évêque de 971 à 991; il est parlé des Polonais, et l'histoire de Ditmar de Mersburg les nomme pour la première fois en 1018. Il est donc impossible de croire la version actuelle plus ancienne, et cependant on y rencontre une foule de mots chemenate, elch, michel, recken, verch, etc., qui n'appartenaient déjà plus à la langue du 15 siècle; ils avaient été conservés dans des ballades populaires que le Nibelunge Not s'est appro¬ priées.

sait la mort de ses frères: Tunc cantor

vides, auxquels ne se rattachait aucune pensée; ses pensées elles-mêmes n'étaient plus que les derniers sons d'un écho qui ne s'adressait qu'à la mémoire. La littérature chrétienne, au contraire, s'emparait de toutes les émotions de la société ; elle apaisait tous les besoins des intelligences, et en provoquait de nouveaux ; toutes les questions qui passionnaient les esprits en partaient et revenaient y chercher leur réponse. Déjà frappée de mort par les croyances et les anathèmes du christianisme, la poésie payenne reçut donc le dernier coup de sa littérature. Mais si étroite que fût la place qui lui était restée dans les traditions populaires, la poésie chrétienne ne pouvait la remplir. Elle se préoccupait trop exclusivement des idées pour se mettre à portée d'intelligences à demi barbares; son principe l'obligeait de professer tant de dédain pour les sens, que les imaginations matérialistes du peuple ne savaient par où la saisir (1).

Faute d'aliment, elles durent ainsi s'amortir, mais elles n'en étaient que plus disposées à se soumettre à la domination de celles qui avaient grandi sous de plus heureux auspices, dès que les événements les mettraient en contact. C'est une loi providentielle, la loi qui fait la puissance des grands hommes sur leur siècle : partout la force morale domine la faiblesse et entraîne la foule à sa suite; toujours les

(1) Ce spiritualisme explique l'opiniâtre attachement du peuple pour les superstitions païennes; la poésie catholique ne lui offrait rien qui pût en tenir lieu sa seule ressource était de les baptiser, de remplacer les noms payens par des noms chrétiens, Vénus ou Freya par la Vierge, et Pluton par le Diable. Les ecclésiastiques eux-mêmes avaient donné l'exemple: la Vierge de l'église de Sainte-Agnès, hors de Rome, est une ancienne statue de Cérès. Le Kyndilmessa est devenu la Chandeleure; l'eau bénite est l'eau lustrale; les cierges sont des restes de l'adoration du feu, etc. D'ailleurs, le peuple ne renonce à ses coutumes et à ses croyances les plus indifférentes que par de puissants motifs, et tout ici l'engageait à les conserver: el

les satisfaisaient des besoins réels, qui, sans elles, seraient restés en souffrance. Voyez, sur les innombrables superstitions du moyen age, le sermon de saint Eligius, ap. d'Achery, Spicilegium, t. V, p. 215; l'Indiculus superstitionum à la suite du capitulaire de Karloman, de 743 (ap. Leptinas); l'Evangile des Quenoilles, et Grimm, Deutsche Mythologie, app. p. XXIX-CLXII. C'est là certainement la paganisme qui indignaient tant les Concause de tous ces fréquents retours au ciles. Celui d'Orléans disait encore, en 555: Catholici qui ad idolorum cultum, non custodita ad integrum accepti gratia, revertuntur, vel qui cibis idolorum cultibus gusti illicitae praesumptionis utuntur, ab Ecclesiae coetibus arceantur; ap. Labbe, Concilia, t. IV, col. 1782.

âmes fortes font reconnaître leur souveraineté par les autres et les marquent de leur empreinte (1). N'eût-on aucune autre raison de le penser que le fait de leur rencontre (2), il est impossible que les peuples du Nord n'aient pas exercé sur les populations romanes une profonde influence, parce que leurs imaginations étaient plus actives, plus vigoureuses; parce que le spectacle d'une nature où tout respirait la destruction et la force, parce que les habitudes d'une vie d'aventures et de dangers les avaient exaltées (3).

(1) Mon génie étonné tremble devant le sien, a fort bien dit Racine; c'est le secret de la contagion d'un fanatisme quel qu'il soit sanguis martyrum semen christianorum. Peut-être y a-t-il là une grave raison contre la publicité de certains débats judiciaires et le principe de la liberté de la presse.

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(2) Dès la fin du 5e siècle, Sidonius Apollinaris, 1. VIII, let. 6, parle des incursions des Scandinaves en France et dans le reste de l'Europe; elles se multiplièrent tellement pendant le neuvième, qu'il est presque impossible de les indiquer toutes voyez le Romans de Rou; Pontanus, Fer. Danic. Hist., p. 105, éd. de 1651; Muratori, Antiq. Ital.,t. 1, p. 5; Depping Expéditions maritimes des Normands, et Augustin Thierry, His toire de la conquête de l'Angleterre); et en 1195, Ingeburge ou Isemburge, fille de Waldemar I, roi de Danemark, épousa Philippe-Auguste. Les populations de l'Europe occidentale qui ont eu le moins de rapports directs avec les Scandinaves sont celles de la péninsule Pyrénaïque, et cependant ils ont été nombreux. Une princesse norvégienne épousa même dans le 15° siècle (1256-1257) le frère d'Alphonse X, roi de Castille. Voyez Langebeck, Rer. Dan. Script., t. I, p. 513, 534, 552; Rodericus Toletanus, Hist. Arabum, c. XXVI; Abulfeda, Annal. Muslem., t. II, p. 178, note de Reiske, 168; Pontoppidanus (Bruckstadt), Gesta Danorum extra Daniam, t. I, p. 156-179, et le mémoire de M. Werlauff, Skandinaviske Litteraturselskabs Skrifter, t. X, 1814. Les rapports intellectuels ne tardèrent même pas à devenir plus étroits: les savants islandais allaient étudier, dès

le 12 siècle, en Saxe, à Cologne et à Paris; Hungurvaka, p. 76, 90, 158; et cent ans plus tard, il y avait dans cette dernière ville un college pour la nation suédoise (danoise?); Rühs, Unterhaltung fur Freunde altd. und alin. Gesch. und Literatur, p. 112.

(5) Ces questions d'influence n'ont jusqu'ici été traitées que dans un esprit systématique, et par conséquent étroit; on ne s'est pas assez souvenu que l'histoire n'est que l'échange et le développement des idées de tous les peuples; on reconnaît facilement les rapports généraux, mais les préciser dans une image ou une pensee particulière, et faire la part de chaque influence diverse, est presque toujours également impossible. Ainsi, par exemple, M. Price, trompé sans doute par l'apparence orientale de quelques noms, et une tolérance vraiment étonnante dans un poëme religieux, a supposé une origine arabe au Roman de Parceval (Warton. t. I, p. 24, note); etil semble certain qu'il a été inspiré par le mysticisme chrétien. On doit même croire que ses sources sont latines, si l'on ne veut révoquer en doute, sans aucune preuve, le temoignage de Wolfram von Eschenbach luimême; Parzival, 1. XVII, v. 469:

Kyot der meister wis

Diz mære begunde suochen In latinischen buochen; et il avait auparavant, l. I, v. 827-30, reconnu formellement que Kyot et meister Cristian de Troys étaient ses originaux; d'après quelques critiques (entre autres Lachmann), ils auraient euxmèmes travaillé sur des traditions provençales. La même difficulté se présente pour le Vilkinasaga; il avoue son origine allemande : þessi saga er ein af bi

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