Obrazy na stronie
PDF
ePub

Quitte, Sigrun, quitte le mont Seva, si tu veux rencontrer le chef du peuple ; le tombeau est ouvert, Helgi arrive ; les traces du meurtre saignent encore, le prince te prie d'aller étancher le sang qui coule de ses blessures.

Sigrun s'en alla au tombeau de Helgi, et elle chantait : Voilà que mon cœur est aussi joyeux de notre rencontre que l'insatiable vautour d'Odin, quand il sait que sa proie fume encore sur le champ de bataille, ou que, trempé de la rosée du matin, il voit poindre la lumière du jour.

[ocr errors]

J'aimerais mieux n'embrasser qu'un cadavre que de te voir toucher à son sang et déboucler sa cuirasse (1). La sueur de l'agonie a roidi tes cheveux, Helgi; le meurtre t'a couvert tout entier de la rosée des batailles ; les mains du gendre de Haugni sont humides et froides. Comment pourrais-je, ô Roi, apporter quelque soulagement à tes maux?

- Du sommet du Seva, toi seule es cause, Sigrun, de la souffrance qui s'est répandue sur Helgi (2); lorsque, couverte d'or et plus resplendissante qu'un soleil sans nuage, tu exhales de cruels regrets avant de t'abandonner au sommeil, chacune de tes larmes tombe sur ma poitrine comme une goutte de sang glacé, et pénètre à travers, gonflée de douleur. Quoique nous ayons perdu la fortune et la vie, nous n'en

on

(1) On a cru par obéissance à la lettre devoir rapporter ce passage à l'esclave de Sigrun; si l'on n'eut consulté que la vraisemblance du sens, aurait traduit Je veux reposer dans tes bras avant que tu ne te dépouilles de ta cuirasse souillée de sang. Au reste, ainsi que l'a remarqué Mone, Teutsche Heldensage, p. 110, cette strophe est fort corrompue; les quatre derniers vers appartenaient primitivement à une autre strophe.

(2) On retrouve dans une foule de traditions du moyen âge la croyance que des regrets trop vifs étaient une cause de souffrance pour les morts: ainsi, par exemple, dans la ballade suédoise, Sorgens Magt, Svenska Folk Visor af Geijer och Afzelius, t. I, p. 29:

St. XIV. Chaque larme qui tombe de tes

yeux mouille mon linceul de sang. St. XV. Chaque joie que goûte ton cœur sur la terre remplit ma tombe de roses. J'ai laissé les deux vers de refrain

Hvem bryter löfvem af liljeträd? I fröjden eder alla dagar. qui ne s'entremêlent dans chaque strophe que pour la musique; ils sont completement étrangers au sens. La même idée se retrouve, avec des expressions entièrement semblables, dans une ballade danoise, Aage og Else, st. XI et XII, Danske Viser fra Middelalderen, éd. de Nyerup, t. I, p. 212. Voyez aussi une tradition allemande rapportée par MM. Grimm, Kinder-und Hausmär— chen, t. II, p. 118.

buvons pas moins du vin précieux dans le Valhalla (1); que personne ne chante l'hymne de deuil en voyant les blessures qui m'ont ouvert la poitrine; il y a des femmes qui s'enferment dans les tombeaux ; pour être morts, les héros ne sont pas privés des beautés de la terre.

Sigrun dressa un lit dans le tombeau.

Helgi, je t'ai préparé une couche que le descendant des Ylfingues (2) ne trouvera point dure; viens, ô mon prince, je désire aussi ardemment reposer dans tes bras que si la mort ne les eût pas glacés.

Jamais, fille de Haugni, tu ne rediras, le soir ou le matin, sur le mont Seva, qu'il faut désespérer de l'avenir. Voilà que, couchée dans un tombeau, tu reposes en paix auprès d'un mort, et cependant la fille des Rois est encore au nombre des vivants.

L'aurore rougit la route, il est temps de partir; il me faudra presser mon pâle coursier sur le sentier vaporeux; je dois quitter l'Occident et traverser le pont céleste (3) avant que le chant du coq (4)

(1) Ce passage prouve qu'Odin avait réellement partagé avec Helgi l'empire et toutes ses prérogatives: car, d'après le Snorra Edda, le vin était exclusivement réservé à Odin.

(2) On lit dans l'introduction en prose de ce chant: Le roi Sigmund et ses descendants furent appelés Vaulsungues et Ylfingues; le premier nom s'explique très aisément; le père de Sigmund s'appelait Vaulsung. Les éditeurs de l'Edda ignoraient l'origine du second; t. I, p. 321, note 40. Nous croyons qu'il vient d'ulfr, loup, et que ce nom leur avait été donné parce que deux des chefs de la famille, Sigmund et Sinfiautli, avaient été changés en loups; Volsungasaga, c. XII.

(3) Dans la mythologie scandinave, l'arc-en-ciel était la voie de communication du ciel à la terre; le poëte l'appelle pont à cause de sa forme arrondie.

(4) L'idée que le chant du coq fait évanouir les fantômes s'est conservée

[ocr errors]

en Normandie et se trouve dans une
foule de vieilles ballades. On lit dans
Aage og Else, st, XIII et XIV :

Nu galer Hanen den røde,
Og maa jeg da afsted;
Til Jorden skulle alle de Døde,
Thi maa jeg følge med.

Nu galer Hanen den sorte,

Til Graven maa jeg ned;
Nu aabnes Himmeriges Porte
Jeg maa jeg da flux afsted.
Danske Viser fra Middelalderen, éd, de
Nyerup, t. I, p. 212.

Then up and crew the red red cock,

And up then crew the gray:
Tis time, tis time, my dear Margret,
That I were gane away.

Sweet William's Ghost, v. 55-57, ap.
Percy, Reliques of ancient english
Poetry, t. III, p. 175.

Der Hahn der that schon krähen;
Er singt uns an der Tag:

Nicht lang mehr bleiben mag.

Des Knaben Wunderhorn, t. II, p. 19.

ne rappelle les héros aux combats (1).

Helgi et les guerriers à cheval continuèrent leur route, et elles retournèrent à leur demeure. Un autre soir, Sigrun envoya son esclave veiller dans le tombeau; lorsque la nuit fut arrivée, elle y alla elle-même, et l'esclave chanta :

Le fils de Sigmund (2) serait déjà venu du palais d'Odin, s'il avait voulu venir; je crois qu'il ne reste plus aucune raison de l'attendre; les aigles reposent déjà sur les branches d'arbres, et tous les hommes voyagent dans l'empire des songes.

Ne sois pas assez imprudente, ô royale guerrière, pour errer ainsi solitaire autour de la demeure des morts; les esprits malfaisants qui en sortent ont plus de puissance pendant la nuit qu'à la clarté du jour (3).

Sigrun mourut bientôt de douleur et d'amour. On croyait dans les temps reculés à la régénération des hommes (4);

et l'on citerait beaucoup d'autres exemples: Meinert, Volsklieder in der Mundart des Kuhländchens, t. I, p. 14; Danske Viser fra Middelalderen, t. I, P. 205; Svenska Folk-Visor, t. III, p. 33; etc.

(1) Chaque jour les Einheriar (nom des élus dans la religion scandinave) recommencent des combats à outrance dans l'arène d'Odin; chacun se choisit son ennemi, et, le combat fini, ils retournent tous à cheval au palais boire de la bière avec les Dieux et se nourrir de la chair du sanglier Sæhrimnir; ils s'assoient le cœur rempli de pensées d'amitié; Vafprudnis-mal, st. XLI; on retrouve les mêmes détails dans le SnorraEdda, fable XXXV. Cette croyance singulière ne resta pas sans influence sur les superstitions populaires; on supposa que des guerriers se relevaient, quoique morts, pour recommencer le combat; Snorra-Edda, éd. de Kask, p. 163; Saxo Grammaticus, 1. V, p. 90, éd. de Stephanius; Olaf Tryggvasonarsaga, éd. de Skalholt, t. II, p. 49; et le vieux poëme allemand de Ku

trun.

(2) Sigmund, don de la victoire ; c'était un des noms d'Odin, et il est as

sez remarquable que les Celtes appelaient le Dieu de la guerre Sigemon. Le Vilkinasaga, c. 131, fait régner Sigmund dans le Jarlungaland; le Nibelunge Not, st. XX, dans le Niderland; et l'appendice du Heldenbuch, dans le Nybelunge. La poésie des différents peuples a, comme toujours, localisé les traditions, et rapporté les mêmes événements à des personnages différents.

(3) On retrouve la même idée plus développée, Helga-qvida I, st. XXIX et XXX. Cette superstition s'est conservée en Normandie; l'obscurité rend la

plus forte, et l'on juge la cause par

l'effet. Cette superstition était assez générale pour avoir été condamnée d'une manière expresse par les conciles du moyen âge. Credidisti quod quidam credere solent..., quod ante galli cantum egredi non liceat et periculosum sit, eo quod immundi spiritus ante gallicinium plus ad nocendum potestatis habeant; Burchard ap. Grimm, Deut. Myth., app., p. XXXVIII. Cela nous explique l'effet que l'on attachait au chant du coq, dont nous avons parlé dans une note précédente.

(4) Ce passage n'est pas le seul où il soit parlé de la régénération des héros ;

dès lors cette superstition était reçue. Le bruit courut que Helgi et Sigrun avaient été régénérés; lui s'appelait Helgi ainsi que Haddingiaskathi, et elle Kara, fille de Haffdan,

le rapporte le poëme de Karo, et ce fut encore une Valkyrie (1).

Edda, t. II, p. 52; Hervararsaga, c. VII; Hromunds Greipianasaga, c. 6 et 7, ap. Biörner; voyez aussi les notes de Velerius au Hervararsaga, P. 96; et van der Hagen, Eddalieder von der Nibelungen, p. XXX. On y croyait aussi dans les Gaules:

Vobis auctoribus umbrae Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi Pallida regna petunt : regit idem spiritus artus Orbe alio; longae, canitis si cognita, vitae Mors media est.

Lucanus, Pharsalia, 1. I, v. 454.

Θανατου καταφρονηται δὲ ἐλπιδα avahows; Appien d'Alexandrie ap. D. Bouquet, t. I, p. 46, et Diodore de Sicile, 1. V, p. 306. Il est probable que les Bretons-Anglais avaient la même croyance, car on lit dans Guilielmus Neubrigensis, Rerum anglicarum libri V, 1. III, c. 7, qu'ils exigèrent que Henri II nommât son petit-fils Arthur et non Henri, parce qu'il pourrait bien être le prince de ce nom qu'ils attendaient.

[ocr errors]

(1) Les Valkyries furent d'abord probablement les messagères des Dieux, et comme la religion d'un peuple aussi belliqueux que les Scandinaves devait s'occuper presque exclusivement de la guerre, on ne les voyait paraître que sur les champs de bataille; ce fait et la préoccupation générale des esprits en firent bientôt des nymphes guerrières. Par une conséquence facile, les amazones furent appelées des Valkyries, et quoique le nom ne leur en fut d'abord donné que dans un sens figuré, on ne tarda pas à les investir de tous leurs attributs, d'une force, d'une prescience supérieures à l'Humanité (alvitr Helga-quida III, st. XIX), et de la puissance de traverser les airs: Hou var

Valkyria oc reip lopt oc laug; c'était une Valkyrie, et elle traversait les airs et les mers; Edda, t. 11, p. 90 et passim. On erut ainsi que les magiciennes pouvaient traverser les airs; Hava-mal, st. CLVIII; Suhm, Om Odin, p. 376. Sous la figure d'un sorcier tu (Odin) volais sur la tête des hommes; Ægis-Drecka, st. XXIV. De là vient sans doute cette croyance si répandue pendant le moyen âge, qu'un concile de Rouen défendit en termes exprès de voyager à travers les airs; Burchard, Conc. Rothom., 1. I, c. 94, $44. Nos sorcières semblent, sous ce rapport, d'origine scandinave; peutêtre aussi le bouc noir qui joue un si grand rôle dans leurs fêtes est-il le bouc de Thor. L'interpolation en prose qui suit la strophe XXX du Helgaquida 1 est fort remarquable sous ce rapport: Ce soir-là, on se lia solennellement des vœux imprécatoires; le par bouc sacré fut amené, tous posèrent la main sur sa tête et jurèrent solennellement par la coupe de Bragi. On trouve d'autres détails dans le Hervararsaga, c. XIV; mais le traducteur n'a pas entendu sonar-gaultr. Nous devons cependant reconnaître que, dans le Apapatixov de Jamblichos, ap. Photius, Bibliotheca, on trouve déjà un démon représenté sous la figure d'un bouc-payov τι φασμα. La croyance populaire est plus logique qu'on ne le suppose: elle attribuait la force supérieure des Valkyries à leur plus noble nature; quand elles partageaient les faiblesses de l'Humanité, elles redevenaient des femmes ordinaires; ainsi la Brunhild du Nibelunge Not perd sa force avec sa virginité; et quoique le récit ne soit pas fort clair, il semble que cela arriva aussi à Cyne Dryda, femme d'Offa; Beowulf, v. 5887 et suivants.

TROISIÈME POËME DE SIGURTH (1).

Il arriva un jour qu'après s'être acquis un nom par ses exploits, Sigurth (2), jeune homme de la famille des Volsung,

(1) Sigurþar-qvida Fafnisbana III; ap. Grimm, Qvida Sigurþar; ap. Rask, Brynhildar-qvida II. Les beautés poétiques de ce chant ne nous semblent pas fort remarquables; nous ne l'avons traduit qu'à cause de ses rapports avec le Nibelunge Nol, et de la liaison qu'il établit entre la poésie scandinave et la poésie allemande. Si nous en jugeons par sa forme, beaucoup plus épique que celle de la plupart des poëmes de l'Edda, il doit remonter à une haute antiquité; mais il est impossible de n'y pas reconnaître la trace de remaniments bien postérieurs; il y a des expressions empruntées de l'allemand (Obilgiarn, st. XX, v. 2 et 8); d'autres indiquent déjà une civilisation avancée (Konungdom, st. XIV, v. 5), ou les recherches du bel esprit et de l'art des scaldes (mal-fan, st. IV, v. 5; Isa ok jökla, st. VIII, v. 3; Rinarmalmi, st. XVI, v. 4; Kyn-Birt, st. XX, v. 11; etc.). Peu de héros ont inspiré autant de chants que Sigurth; peutêtre n'est-il pas une seule nation d'origine teutonique où il ne soit devenu populaire; nous n'en excepterons que l'Angleterre, où son histoire n'était pas même inconnue, comme on le voit par le chant de Hrodgar dans le Beowulf, c. XIII. Le poëme allemand (Hürnen Seyfried est du 13° siècle, et un moine disait encore à la fin du 16: Ut quendam perhibet Seyfridum Martia tellus Vangionum, cui sunt cornea membra viro.

[ocr errors]

Mone, Teutsche Heldensage, p. 288. Sigurth est resté populaire en Danemark pendant tout le moyen âge (voyez Sivard Snarensvends Endeligt; Danske Viser fra Middelalderen, t. I, p. 96), et le peuple de l'île Feroe le chante encore de nos jours; Faeroiske Qvader om Sigurd Fofnersbane og hans Aet, 1822. Il paraît même qu'il aurait été aussi populaire en

France, car Görres cite, Teutschen Volkstorie von dem gehörnten Siegfried.... bücher, p. 93: Ein wunderschöne His

aus dem Französischen ins Teutsche übersetzt, und von neuem wieder aufgelegt; peut-être cependant n'est-ce là qu'un de ces mensonges littéraires devenus depuis si communs; au moins ne connaissons-nous pas l'original. La poésie ne devient populaire que lorsqu'elle exprime des idées générales, et raconte des événements présents à toutes les imaginations; elle a nécessairement une si gnification philosophique et une base historique; mais l'incertitude de son â— ge, souvent même de sa patrie, ne permet pas de dégager l'idée première de tous les accessoires que groupent autour les remanîments successifs; on ignore jusqu'à son principe, et l'on est exposé, sans que rien avertisse de son erreur, à expliquer l'histoire par le mythe et le mythe par l'histoire. Nous nous sommes donc abstenu d'explications trop conjecturales pour nous satisfaire; seulement comme il est impossible que la poésie populaire ne s'approprie pas insensiblement les faits qui modifient la vie des peuples, nous avons cru devoir citer quelques ouvrages qui ont indiqué de nombreux rapprochements, quoique peut-être avec plus d'érudition que de critique; Mone, Quellen und Forschungen, t. I, p. 3-108; Rückert, Untersuchungen über den Ursprung der Nibelungen sage; Müller, Sagabibliothek, t. II, P. 52-450; et surtout Göttling, Ueber das Geschichtliche im Niebelungenlied. M. J. Grimm, Deutsche Mythologie, p. 707, croit même retrouver dans l'histoire de Sigurth les traditions grecques d'Hercule, de Persée et de Jason.

(2) Sigurth de sigr, victoire; le Nibelunge Not l'appelle Sifrit, le Heldenbuch Seyfrit, et d'autres poëmes Seyfried et Sigfrid. Il doit son surnom de Fafnisbani à sa victoire sur le dragon Faf

« PoprzedniaDalej »