LE DIT DE POISSY, DE CHRISTINE DE PISAN. DESCRIPTION DU PRIEURÉ DE POISSY. EN 1400. Le Dit de Poissy, poëme de Christine de Pisan, n'est guère connu du public que par deux excellentes pages que lui a consacrées M. Paulin Paris, dans ses Manuscrits français de la Bibliothèque du roi, où il le signale comme « plein de détails intéressants pour les mœurs et même pour l'histoire » (tome V, p. 171 et suiv.). Ce poëme mérite, en effet, une étude spéciale. Il en existe deux manuscrits à la Bibliothèque impériale : l'un n° 7087-2 (fonds de la Mare), fo 70 recto à 82 verso; c'est celui que nous avons suivi. L'autre est le manuscrit n° 7217 (ancien fonds). Lorsque Christine de Pisan s'inspire de l'amour, volontiers elle fait choix, pour le mettre en scène, d'une querelle dont il est le fauteur ou la cause première. Tantôt deux amants se reprochent leur mutuelle inconstance; tantôt ce sont plusieurs jeunes gens qui discutent lequel d'entre eux aime davantage sa maîtresse. Dans le Dit de Poissy, un jeune homme et une femme étrangers l'un à l'autre s'arrachent les cheveux, chacun de son côté, puis, se rencontrant par aventure, discutent lequel a les meilleures raisons de s'arracher les cheveux. Il y a loin de là à la description du prieuré. C'est que précisément le Dit de Poissy manque d'unité. On y trouve deux parties bien distinctes: une partie descriptive, que nous publions ici; une partie narrative, où le poëte a laissé un libre cours à son imagination. -Nous en donnerons plus loin une analyse succincte. Pour les besoins du moment, il suffit de savoir que Christine fit dans les derniers jours du mois d'avril de l'année 1400, un lundi, une visite à sa fille, religieuse au prieuré des Dominicaines de saint Louis de Poissy, et qu'elle a pris occasion de cette visite pour rimer une description de l'abbaye. Écoutez plutôt : Ains fu en l'esbatans D'avril le gay, où reverdissent boys, D'aler jouer; si volz aler veoir Belle et gente, jeune et de bon savoir Au dit de tous; si est religieuse Loing de Paris VI lieues celle église Christine avait vouloir d'aler jouer; il s'agissait donc, ce lundi-là, d'une partie de plaisir, et, pour être plaisantes, ces parties-là veulent être nombreuses. Aussi avait-elle dans sa compagnie et aussi maint jolis escuier Qui de leur bien la vindrent convoyer de gentils demoiselles Doulces, plaisans, gracieuses et belles. Le voyage fut égayé par des contes, des nouvelles, et c'était plaisir d'entendre le récit Des estours Qui moult souvent arrivent en amour. Suit une peinture du printemps, qui ne manque pas de grâce ni de vérité. Bref, les voyageurs arrivent d'assez bonne heure Au bel chastel qui a nom Saint-Germain De Saint-Germain à Poissy, il n'y a pas loin, Et la route est charmante A travers la forêt Où le rossignol chante Ses joyeux virelais. Les voyageurs sont arrivés à Poissy. Laissons Christine de Pisan prendre ici la parole et nous conduire avec elle dans le prieuré; nous vous conterons ensuite en quelques lignes le singulier incident qui vint attrister le retour de nos voyageurs. La forest Nous passasmes et vinsmes sens arrest Quand descendus fusmes, chacun s'atire Ensemble en l'abbaye vers les dames, 1. Ferrures. Mais par congié on ot ouvert les portes; Mais moult honnestes De vestemens et des attours des testes, Adonc celle que j'aime moult et tiens chière Doulcete et tendre, Puis, main à main, alasmes sens attendre Mais les dames si nous prièrent très Car n'estoit pas encor temps de disner; Et très vaillant, noble religieuse, De celle place, Tante du roy de France en qui s'amasse Devers elle, ne point ne laississions; Si nous sommes deux à deux entrepris Et alasmes vers la dame de pris Par les degrés de pierre, que moult pris, Et hault montasmes 1. Marie de Bourbon, fille de Pierre I de Bourbon, était prieure de l'abbaye de Poissy depuis 1380. Sa sœur Jeanne de Bourbon ayant épousé Charles V, elle était tante du roy de France Charles VI. Ou bel hostel royal que nous trouvasmes Et la très humble dame nous appelle A et bonté, et tout sens, et noblesse; En cellui lieu et voëlée et vestue, A qui honneur est donnée et deue, C'est madame Marie, jeune et tendre, Mais ne fu pas seule, bien m'en remembre 3, Noble, puissant, et avec celle dame Qui près estoit sa parente et cousine; Si fismes nous Très humblement ; si nous receut trestous 1. Aresna pour araisonna. En latin arrationare, adresser la parole à quelqu'un. 2. Elle s'appelait Marie, et était née en 1393, de Charles VI et d'Isabelle de Bavière. Elle avait pris l'habit monastique au prieuré de Poissy, le jour de la Nativité de la Vierge, en 1397. Elle mourut de la peste à Paris, le 19 août 1438, et fut enterrée dans l'église de Poissy, près la grille. 3. Se remembrer, se ressouvenir.' 4. Nous n'avons pu retrouver le nom de cette fille du comte d'Harcourt. Quant à sa parenté avec la princesse Marie, elle était sa cousine, comme le dit Christine de Pisan. Son père Jean VI, comte d'Harcourt, avait épousé Catherine de Bourbon, sœur de Jeanne de Bourbon, reine de France, et par conséquent grand'tante de la princesse Marie. |