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PROCÈS

POUR LA

POSSESSION DU COMTÉ DE BIGORRE

(1254-1503).

Un des procès les plus longs et les plus curieux que nous con< naissions est celui qui eut lieu pendant deux siècles et demi entre les seigneurs de Chabanais et les rois de France, puis de Navarre, à propos de la possession du comté de Bigorre. Les derniers efforts, pour recouvrer cet ancien héritage de sa famille, furent tentés, au commencement du seizième siècle, par Jacques de Vendôme, vidame de Chartres et prince de Chabanais on conserve aux archives d'Eure-et-Loir toutes les pièces produites par ce seigneur, et elles vont nous servir à reconstituer l'histoire de ce débat qui jette un jour précieux sur les annales du comté de Bigorre et des illustres maisons de Chabanais et de Thouars, qui prirent à cette lutte une part si active.

Nous laisserons, autant que possible, parler Jacques de Vendôme lui-même, et nous nous contenterons par des notes de fortifier ou de contredire ses assertions. Voici d'abord comment, en l'année 1502, il introduit son instance au parlement de Toulouse, devant lequel le roi de France l'avait renvoyé :

« Messieurs, il est vray que long-temps a fut commencé procès ou parlement entre les prédécesseurs desdites parties à présent contendant touchant le conté de Bigorre appartenant audit vidame demandeur: ouquel parlement fut baillé demande, défense, répliques et dupliques, et ne restoit sinon que les parties fussent appoinctées contraires; mais depuis, à cause des guerres qui ont esté en France et que les parties d'un cousté et d'autre sont allées de vie à trespas, la cause a demouré asouppée jusques il a environ III. (Quatrième série.)

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soixante ans que les prédécesseurs dudit Monsieur le vidame firent adjourner les Roy et Royne de Navarre qui pour lors estoient, pour procéder en la cause en la court de céans pour lors de nouveau érigée ', et fut baillée tant seullement quelque demande et prins délay à respondre à y celle; et depuis la cause a demouré assouppée, jusques sept ou huit ans a ou environ fut impétré adjournement, lequel aussi a demouré asouppé jusques depuis ung an en ça, pour les ocuppations des guerres èsquelles icelluy Monsieur le vidame, capitaine de cent gentilzhommes de la maison du roy, pour servir son maistre le roy nostre sire, a esté occupé aux Itallies et ailleurs. En l'année présente, a esté faicte autre impétracion et adjournement sur l'interrupcion de la cause contre lesdits Roy et Royne de Navarre, lesquels sachans avoir mauvaise cause, et désirans icelle entrerompre et délayer comme il a esté fait par cy-devant, sachans mondit sieur le vidame avoir grans affaires et occupations, a esté obtenu deffault qui a esté exécuté, et au jour assigné ou peu après les parties comparans a esté baillé demande par ledit demandeur ou ses advocatz et procureurs. »

Les faits et moyens apportés par Jacques de Vendôme à l'appui de sa demande en revendication du comté de Bigorre présentent un exposé aussi net que possible des droits sur lesquels il basait sa requête :

« Ce sont les faictz et moyens que entend à prouver Monsieur Jacques de Vendosme, conte de Bigorre, prince et seigneur de Chabanoys et vidasme de Chartres, demandeur, contre les Roy et Royne de Navarre et Monsieur Gaston de Foix, chevalier, conte de Foix et d'Estampes, deffendeurs :

Et premièrement dit et entend à prouver le demandeur que

1. Dans un journal tenu par Jehan Duclos, agent de Jacques de Vendôme près le parlement de Toulouse, journal que nous aurons encore occasion de citer, on lit ce qui suit : « Les Ixe et xo de may, fismes inquisition au greffe de la dite court de parlement et aux plus anciens praticiens de la dite court, auxqueulx nous parlasmes et nous enquismes à eulx où estoient les papiers ancians des greffes de la dite court de parlement de Toulouse, c'est assavoir de l'an mil ur un jusques à l'an nr et dix, auquel temps de in dame Lore poursuyvoit le procès contre le roy Philippes et autres; mais n'en sceurent trouver, et n'y a point par deçà de ce temps, et n'y a fors seulement que ceulx qui ont esté faiz depuis que le parlement a esté séant à Toulouse, qui fut en l'an mil me XLII. Et nous ont dit que du paravant ledit parlement estoit à Poitiers, et que les registres y sont ou bien qu'ilz ont esté portés à Paris au trézor. Et est besoing fere veoir audit Poictiers et audit Paris se l'on les y pourra trouver. »

jadiz fut en vie dame Pétronelle, en son vivant vraye contesse et paysible posséderesse de la conté de Bigore et ses appartenances, proffictz et revenuz d'icelle; laquelle, sa vie durant, print, receut, cuillit et fit prandre et recevoir les proffictz, rentes et esmoluments d'icelle conté et des montaignes et autres domaynes deppendans d'icelle, et cecy est vray et notoire'.

« Item ladite Pétronelle, contesse de ladite conté de Bigorre, fut mariée à feu Monsieur Messire Guy de Narbonne, en son vivant conte de Toulouse et de Montfort; lesquelz mariés solemnisèrent leur matrimoyne en face de sainte mère Église, et furent tenuz, ditz et repputez vrays mariez; et cecy est tout notoire 2.

« Item, au traicté dudit mariage desdits mariez, entre autres choses, fut par exprès accordé et pactisé entre lesdites parties que les enfans qui vendroient et ystroient dudit mariage et les descendans d'eulx seroient seigneurs dudit conté de Bigorre et de tous et chacuns les autres biens qui demeuroient par le décès de ladite dame Pétronelle.

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Item, lesdites parties persévérèrent en iceulx pactes jusques à leurs derreniers jours, et ne se trouvera que soient venuz directement ne indirectement contre la teneur d'iceulx 3.

Item mect en fait le demandeur que dudit mariage fut procréée et descendit dame Hélys, fille naturelle et légitime et seule héritière desdits mariés ".

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« Item dit que ladite dame Hélys fut conjointe par mariage avecques messire Jordain de Chabanoys; lequel mariage fut solennisé en face de saincte mère Église et consummé per carnalem copulam; et furent tenuz, diz et repputez vrays mariés, sei

1. Pétronille, fille de Béatrix III, comtesse de Bigorre, et de Bernard IV, comte de Cominges, jouit en effet paisiblement du comté de Bigorre jusqu'à sa mort, arrivée en 1251.

2. Ce fait est déjà moins notoire. Sans doute on ne contestait pas le mariage de Pétronille avec Gui de Montfort; mais l'on prétendait que cette alliance était nulle comme ayant été contractée du vivant de Nugnès-Sanche, comte de Cerdagne, second mari de Pétronille, auquel Gui avait succédé.

3. Voir le testament de Pétronille et l'acte antérieur de 1250 (Pièces justificat., nos I et II), en vertu desquels Constance, fille aînée de Gaston VII, vicomte de Béarn, et de Mathe, fille du cinquième mariage de la comtesse Pétronille, prétendit que sa mère avait été substituée à la descendance mâle de Gui de Montfort.

4. Pétronille eut deux filles de son mariage avec Gui de Montfort: Alix, mariée d'abord à Jourdain III de Chabanais, puis, en secondes noces, à Raoul de Courtenay; et Pétronille, mariée à Raoul Teisson.

gneurs et possesseurs, au temps de leur trespas, de ladite conté de Bigorre et ses appartenances.

<< Item dit le demandeur que ladite Hélys eust dudit son feu mary et procréa ung nommé Eschivat, son filz naturel et légitime, et aisné filz dudit mariage.

<< Item dit que, après le trespas de ladite dame Hélys, ledit Eschivat se porta pour héritier de sa mère, et se immiscuit hereditati materne, et post ejusdem matris decessum ledit Eschivat se porta, nomma et intitula conte dudit conté de Bigorre.

<< Item mect en fait que ledit Eschivat, tant qu'il vesquit en ce monde, joyt paysiblement d'icelle conté de Bigorre et ses appartenances', en perceut les fruitz, prouffictz et émolumens, en prenant et percevant les hommaiges, sacremens de fidélité, censives, rentes, alberges, péages, leudes, mectoit les officiers de la justice, prenoit les compositions, condamnations, amendes, arrentoit les baylies et autres droitz de justice aulte, moyenne et basse, et en disposoit ainsi que de sa chose propre.

<< Item mect en fait le demandeur que ledit Eschivat, vray seigneur et possesseur de ladite conté, fit mectre et atacher les armes de Chabanoys à toutes les portes et portaulx des villes, chasteaulx et places dudit conté de Bigorre 2. Et cecy est vray

1. Jacques de Vendôme oublie à dessein les embarras qu'Eschivat eut à supporter. Dès l'abord, Mathe, issue du cinquième mariage de Pétronille, lui contesta la légitimité de sa naissance et prétendit entrer en possession du comté. De là, guerre avec Gaston VII, vicomte de Béarn, le mari de Mathe, guerre qui se termina par l'accord de 1256 (V. Pièces justificat., no III), laissant à Eschivat la jouissance du comté. Mais la paix ne fut pas de longue durée, et Eschivat, se voyant incapable de résister à son rival, fut forcé de céder le Bigorre à son oncle Simon de Montfort (V. Pièces justific., nos IV, V, VI et VII). En 1265, Aliénor, veuve de Simon, et Simon son fils, se considéraient encore comme propriétaires du comté de Bigorre, car ils en font la cession à Henri III, roi de Navarre (V. Pièces justific., nos VIII et IX). Eschivat cependant reprit bientôt le titre de comte de Bigorre, et nous le voyons, en 1268 et 1270, confirmer la moitié de ce comté à Mathilde, sa sœur utérine, fille du second mariage d'Alix avec Raoul de Courtenai (V. Pièces justific., no X). Au reste, Gaston VII ne paraît pas avoir cessé de lui contester la libre possession du Bigorre; car en 1279, Édouard, roi d'Angleterre, auquel Eschivat avait rendu hommage dès l'année 1254, intervient pour faire l'estimation des dégâts commis par les deux rivaux sur les terres l'un de l'autre (V. Pièces justific., no XI).

2. Dans le journal de Jean Duclos, déjà cité par nous, on lit à ce sujet : « Fut advisé entre nous que monsieur de Toucheprays et Jehan Duclos avecques luy s'en iroient en la ville de Tarbes, pour veoir si on avoit arraché les armes des portes de ladite ville, ainsi que l'on disoit, et pour recouvrer aucuns enseignemens. Et le xx jour

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et tout notoire, et telle est la commune renommée. Et estoient lesdites armes en figure deux lions de gueules en ung champ d'or.

« Item dit ledit demandeur que ledit Eschivat estant seigneur et possesseur de ladite conté dies suos in Domino clausit extremos absque aliquibus liberis, délaissée et survivant dame Lore sa seur, fille naturelle et légitime de ladite dame Hélys et Jordain de Chabanoys, mariés dessus nommés.

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Item, après le trespas dudit Eschivat, ladite dame Lore, comme seur et la plus prochainne dudit Eschivat son frère, se porta pour héritière de ladite conté de Bigorre et ses appartenances et de tous et chacuns les biens qui avoient compecté et appartenu audit Eschivat son feu frère.

<< Item, ladite dame Lore, par les moyens dessus déclarez, selon la coustume générale de France conforme à droit, fut saisie et demeura vraye contesse et posséderesse dudit conté de Bigorre1; et pour telle fút tenue, dicte et nommée : car, de droit

dudit moys de may, monsieur de Toucheprays et Jehan Duclos partirent pour eulx en aller audit Bigorre, et arrivèrent à Tarbe le vendredi xxvie. Auquel lieu ils demeurèrent jusques au samedi après mydi, et en faisant semblant de vouloir achapter des chevaulx allèrent par ladite ville de Tarbe, et virent et visitèrent les portes de la dite ville; auxquelles portes et portaulx n'a aucune apparessance d'avoir armes, fors en l'ung desdits portaulx, auquel y a en pierre un grant escusseau fort ancien, au dedans duquel est contenu quelxques bestes par apparessance; mais on ne sçauroit dire si sont lyons ou autres bestes, parce qu'elles sont caduques et anciennes; mais qu'il apparesse qu'elles ayent esté démolies de nouveau n'y a nulle apparessance. »

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1. Cette assertion n'est rien moins que vraie. - A la mort de son frère, en 1283, Lore, ayant voulu se mettre en possession du comté de Bigorre, six prétendants lui disputèrent ce droit : 1a Constance, fille aînée de Gaston VII, vicomte de Béarn et de Mathe. Elle fondait ses droits sur le testament de la comtesse Pétronille (V. Pièces justificat., no II), et les états de Bigorre se prononcèrent en sa faveur. 2o Mathilde de Courtenay, comtesse de Thyet, avec Philippe de Flandre, son mari. Elle était fille du second mariage d'Alix, mère de Lore, avec Raoul de Courtenay : la comtesse Pétronille, lors du contrat de mariage d'Alix et de Raoul, leur avait donné la moitié du comté de Bigorre, et plus tard Eschivat avait légué à sa sœur utérine Mathilde l'autre moitié dudit comté, s'il venait à mourir sans enfants mâles (V. Pièces justific., no X). Les droits de Mathilde pouvaient donc paraître très-sérieux; aussi Lore fit-elle avec elle un accord, en 1297, par lequel Mathilde, moyennant une rente, lui abandonnait ses prétentions (V. Pièces justificatives, n's XII et XIII); et c'est surtout comme cessionnaire des droits de la comtesse de Thyet que Lore réclama le comté de Bigorre. - 3o Guillaume Teisson, fils de Pétronille, seconde fille de la comtesse Pétronille et de haoul Teisson; -4° Mathe, vicomtesse d'Armagnac, seconde fille de Gaston VII, vicomte de Béarn; -5° Jeanne, reine de France et de Navarre, comme héritière de Henri III de Navarre, auquel, en 1265, Aliénor et Simon de Montfort avaient cédé leurs

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