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cette matière. S'il se fût trouvé malebranchiste, on lui eût aisément démontré qu'il faut avoir des sentiments pires que ceux de Luther et de Calvin pour soutenir que notre âme ne se modifie pas physiquement elle-même, quand elle exerce sa liberté en se déterminant à un parti préférablement à l'autre. Au reste, le P. André ayant une fois reconnu que notre âme est quelquefois une véritable cause physique de quelques-unes de ses modifications, il pourra très-aisément passer des actes de la volonté à ceux de l'entendement, et croire que nous agissons aussi réellement à l'égard de nos perceptions qu'à l'égard de nos volitions libres, quoique d'une manière différente. Ce qu'on lui a dit ci-dessus de la Clémentine: Ad nostrum de hæreticis, servira beaucoup à lui faire connoître la vérité sur cette matière, puisqu'il est certain que le sentiment de l'Église, exprimé dans cette Clémentine, suppose que la vision qu'ont les bienheureux de l'essence divine est une véritable action de l'entendement, mais laquelle il ne peut produire sans être élevé par le secours de la lumière de gloire. Cependant on a cru devoir donner du temps au P. André pour le détromper tout à fait pour ce qui regarde les actions de l'entendement; et dans l'écrit latin qu'on lui envoie, le profileor me vera credere ne tombe plus que sur les actions libres de la volonté.

« 18° Quant au mouvement local que l'âme produit dans le corps qu'elle anime et que les anges peuvent produire dans le monde corporel, on ne prétend rien exiger du P. André, sinon qu'il enseigne ce que porte l'écrit latin conformément à l'Elenchus de la compagnie. On n'a jamais songé à exiger une créance intérieure là-dessus, et celui qui a dressé l'écrit pourroit moins songer à

cela que tout autre, lui qui, après avoir bien philosophé quand il s'appliquoit à ces sortes d'études', ne trouva jamais d'opinion qui lui parût plus probable sur la nature du mouvement local que celle qui ne distingue point de la conservation des corps ni leur repos ni leur mouvement; mais alors cette opinion n'étoit point encore défendue dans la compagnie. Sur les deux propositions avancées par le P. André, 1° que la béatitude formelle consiste dans une passion de l'âme très-agréable, et non pas dans une action proprement dite; 2° que la béatitude de l'état de pure nature consisteroit en une espèce de vision intuitive de l'essence divine, etc., on n'a fait aucun changement dans l'écrit latin sur la rétractation de cette proposition, sinon que le profiteor me vera credere ne tombe plus sur cette rétractation. »>

V. André à Alençon, de 1713 à 1718.

André, pour en finir avec toutes ces tracasseries, consentit à signer et à dicter dans sa classe le formulaire latin qu'on lui avait adressé. Il s'excuse de cette faiblesse, le 15 avril 1713, dans la lettre qu'il écrit à Malebranche 2. Mais ce qu'il plaît à son humilité d'appeler de la faiblesse, parut à ses supérieurs une résistance coupable. On lui ôta sa chaire de philosophie, et sur la fin de l'année 1713, il fut envoyé de Rouen à Alençon et confiné dans un emploi entièrement étranger à la philosophie et même à

4. Ce passage prouve que l'auteur de cette pièce ne s'occupait plus publiquement et officiellement de philosophie. Cela exclut Tournemine, Daniel et Buffier, et doit faire mettre à leur place quelque ancien professeur de philosophie, sorti de l'enseignement et passé dans l'administration; par exemple, le P. Frogerais ou le P. Catalan, qui, selon M. de Quens, avaient converti Dutertre.

2. Voyez l'Appendice.

l'enseignemeut. Il y demeura jusqu'à l'année 1718. Pendant ce temps notre première correspondance nous le peint toujours dévoué au cartésianisme et à la doctrine de Malebranche, la cultivant en secret, la propageant même, rassemblant des matériaux pour écrire la vie de son illustre maître, et rendant compte de la suite et du progrès de son travail à M. Larchevêque et à M. l'abbé de Marbeuf, jeune Breton qui se trouvait alors au séminaire oratorien de Saint-Magloire à Paris, et que Malebranche lui avait donné pour correspondant, après le P. Bernard Lamy, cet autre cartésien de l'Oratoire dont l'enseignement avait soulevé tant d'orages 1.

Pendant toute cette année 1715, la correspondance du P. André avec l'abbé de Marbeuf et avec M. Larchevêque ne roule que sur des sujets philosophiques. On le voit occupé surtout de la révision des cahiers de logique, de physique, de morale et de métaphysique, qu'il avait dictés à ses écoliers pendant le temps de son enseignement. Son dessein était de transporter dans les colléges les principes d'une philosophie chrétienne et d'y détruire entièrement la philosophie païenne que le péripatétisme y avait introduite. Cette prétention est précisément celle du cartésianisme: elle est partout dans les lettres du P. André.

« Il ne faut point nous flatter, Monsieur (écrit-il, le 2 septembre 1715, à M. l'abbé de Marbeuf 2), nous avons beau vanter nos Descartes, nos Malebranches, tous nos héros philosophiques, jamais notre philosophie ne sera universellement regardée comme la philosophie du bon sens, qu'elle ne soit reçue dans les colléges. C'est une

4. Voyez plus haut, p. 28, p. 220, et plus bas, dans l'Appendice, p. 516. 2. Manuscrit de Lille.

pensée que j'ai toujours eue dans l'esprit, et je n'en vois que trop la vérité. D'un autre côté, je suis touché au dernier point, quand je vois ce nombre infini de jeunesse chrétienne, qui ne vient au collége que pour se former l'esprit au bon goût et le cœur à la vertu, n'en sortir qu'avec un esprit faux, superficiel, et souvent, ou plutôt presque toujours, avec un cœur perverti par les maximes toutes payennes qu'ils y ont apprises. Enfin, j'ai partout remarqué avec la plus tendre compassion pour les enfants qu'on y élève, qu'il n'y ait ni ordre, ni suite, ni ombre de bon sens, surtout dans la philosophie qu'on leur enseigne. C'est une chose étrange et pourtant incontestable. Le premier pas que doit faire un enfant au sortir du collége, pour devenir honnête homme, c'est d'oublier tout ce qu'on y apprend. Peut-être que, s'il y avoit un bon cours de philosophie, où nos vérités les plus évidentes fussent traitées une à une, avec les objections et les réponses à la manière des scholastiques, on verroit enfin cesser le désordre de leur pédanterie; du moins il est certain qu'un pareil ouvrage la pourroit faire voir dans tout son jour et pourroit encore servir d'introduction à la lecture des bons livres, ce qui ne seroit pas un petit avantage. Voilà, Monsieur, bien du préambule pour vous dire que toutes ces raisons m'ont fait entreprendre un cours de philosophie chrétienne, solide et suivie, dont toutes les vérités fussent liées ensemble par un enchaînement visible depuis la première vérité connue à tout le monde, jusqu'à la dernière découverte de nos plus sçavants auteurs. Beau dessein sans doute! il n'y a plus qu'à l'exécuter. N'allons pas si vite; encore un moment d'attention, s'il vous plaît. Comme la nation des scholastiques est

aisée à effaroucher, nous garderions de leur philosophie toutes les questions qui pourroient être de quelque utilité par quelque tour d'esprit qu'on leur pourroit donner, ou, encore mieux, en évaluant leurs grands termes, qui assez souvent ne font que dire scientifiquement ce que tout le monde sait. Mais la principale vue qu'il faudroit y avoir, c'est de montrer partout en peu de mots le fruit qu'on en peut tirer par rapport à la piété chrétienne. Car, si la science n'édifie, à quoi est-elle bonne? Je ne sçai, Monsieur, si je vous ennuie, mais, pour moi, je sens un extrême plaisir à vous décharger mon cœur. Je vous prie donc de me pardonner ce petit détail. Nous naissons avec deux grands défauts qui s'opposent à la recherche de la vérité défaut d'esprit et défaut de mœurs. La vérité est pure, subtile, déliée; elle n'a point de prise pour des esprits plongés dans la chair. La vérité est simple et incorruptible; elle n'a point de commerce avec les âmes déréglées et corrompues. C'est pourquoi je ne trouve pas mal établi que l'on commence l'étude de la philosophie par la logique nette, précise, et même, autant qu'il se peut, agréable, pour ne point rebuter les enfants en ne leur présentant d'abord que des épines à dévorer. Ne pourroit-on pas y réussir en faisant un recueil exact des règles du bon sens, en y entremêlant des questions choisies et faciles pour exercer leurs esprits naissants, et pour leur apprendre ainsi à en faire la juste application? On pourroit encore y répandre quantité de réflexions qui serviroient à leur rendre le sens droit, l'esprit juste et pénétrant, et même à leur donner le bon goût de toutes les choses qui sont du ressort du jugement. On s'y prendroit dans la morale à peu près de la même sorte; on en feroit

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