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M. Gousset soutient une singulière thèse touchant ce grand docteur. Il n'en est pas l'inventeur, il est vrai, mais comme il la renouvelle et que nous n'avons affaire qu'à son livre, nous pouvons lui en attribuer l'honneur.

Accablé sous le poids de l'autorité du grand théologien du moyen-âge, M. Gousset voudrait bien faire croire que nous n'avons pas la Somme de théologie telle qu'elle a été composée; et que saint Thomas a enseigné, dans ses autres ouvrages, une doctrine opposée à celle qui est aujourd'hui contenue dans la Somme.

A l'appui de la première assertion, M. Gousset a cité quelques auteurs qui ont prétendu que le texte de saint Thomas avait été altéré, sans nous faire connaître les raisons sur lesquelles ils se sont appuyés. Il a cité aussi quelques paroles du P. Nicolaï, qui a publié l'édition parisienne des œuvres complètes de saint Thomas, et qui dit avoir été obligé de compléter çà et là le sens de quelques phrases qui lui ont paru tronquées.

Nous répondrons à M. Gousset qu'il n'est pas étonnant qu'il y ait eu des variantes dans certaines phrases de la Somme de saint Thomas, par la raison que ce livre a été, dès son apparition, la base de l'enseignement, dans la plupart des écoles théologiques, où les professeurs le dictaient.

Que certains professeurs aient modifié quelques phrases çà et là; que des écoliers aient mal copié certains passages ; nous ne voyons rien là qui ne soit très certain; mais de ce que des phrases ont été dénaturées, et des mots estropiés sur les manuscrits, s'ensuit-il qu'une suite de thèses contre l'Immaculée-Conception, qui se trouvent dans la Somme, thèses qui existent dans tous les manuscrits et dans les innombrables éditions qui en ont été faites, ne soient pas authentiques? Voilà cependant ce que M. Gousset a prétendu. Depuis 1467 que la Somme de saint Thomas a été imprimée pour la première fois, il y a eu à Venise, à Paris, à Lyon, à Cologne, à Haguenau, à Rome, à Anvers, à Rouen, à Douai, à Amsterdam, à Bologne, etc., etc., des éditions partielles

ou générales des œuvres de saint Thomas d'Aquin, et toutes s'accordent, sinon en quelques phrases de peu d'importance; dans toutes, on lit les thèses contre l'Immaculée-Conception; on les lit dans tous les manuscrits. Nous ferions injure à M. Gousset si nous supposions qu'il ignore que la Somme de saint Thomas d'Aquin, avec ses autres ouvrages, a été imprimée à Rome en 1570, par les soins et aux dépens du pape S. Pie V, sous la direction du P. Vincent Justiniani, général des frères Prêcheurs, qui fut ensuite cardinal, et du P. Thomas Manriquez, maître du sacré Palais. Eh bien ! qu'il prenne cette édition si authentique et fortifiée de si éminents suffrages, et il y trouvera, comme dans toutes les autres, les thèses dirigées par saint Thomas d'Aquin contre l'opinion de l'Immaculée-Conception.

Mais, dit M. Gousset, si l'on admet que saint Thomas a combattu cette opinion, il faut qu'il se soit contredit, puisqu'il a enseigné une autre doctrine dans ses autres ouvrages.

Si ce qu'affirme M. Gousset était vrai, il faudrait en conclure que saint Thomas d'Aquin ne devrait être cité ni pour ni contre l'Immaculée-Conception. Alors pourquoi M. Gousset l'a-t-il cité en faveur de sa thèse?

Mais M. Gousset a tort d'affirmer que saint Thomas d'Aquin s'est contredit. Voyons sur quoi il s'appuie :

Saint Thomas, dit-il, fait ce raisonnement: l'Église ne célèbre de fète que pour ce qui est saint; or, elle célèbre la fête de la nativité de la sainte Vierge; donc cette nativité est sainte. En appliquant ce raisonnement à la conception, il faut en conclure que la conception a été sainte, puisque l'Église en célèbre la fête. Si M. Gousset eût seulement jeté un coup d'œil sur la Somme de saint Thomas et s'il ne s'en était pas rapporté à Lambruschini, il aurait vu que le saint docteur s'appuie précisément sur ce principe : que l'Église n'honore que ce qui est saint, pour combattre l'établissement de la fête de la Conception; pour affirmer que l'Église romaine ne fait que tolérer cette fète, et qu'elle veut qu'on n'y ait

pour but que d'honorer la sanctification de Marie dans le sein de sa mère.

Outre cette prétendue preuve à l'appui des contradictions de saint Thomas, M. Gousset cite deux passages où le savant Docteur dit que la sainte Vierge a été très pure. Cette seconde preuve vaut la première. Nous devons remarquer qu'un des passages cités par M. Gousset, comme de saint Thomas, est une objection qu'il s'adresse dans son article 2 et qu'il réfute dans sa conclusion. Un grand théologien, comme M. Gousset, devrait être assez familier avec la méthode de la Somme théologique pour ne pas prendre les objections pour les réponses.

Enfin, voici la dernière et la plus grosse preuve de M. Gousset, pour prouver que saint Thomas d'Aquin a été de son avis. «Telle a été, dit saint Thomas, la pureté de la bienheureuse Vierge, qui a été exempte du péché originel et du péché actuel. » M. Gousset triomphe; malheureusement pour lui, ce ne sera pas pour longtemps. L'éminent écrivain n'a pas compris le sens d'immunis, qu'il traduit par exempte, et qui n'a pas ce sens dans saint Thomas; en voici la preuve :

Dans le commentaire sur le deuxième livre des Sentences, distinction 31me, question 1e, article 2e, saint Thomas propose cette question : « Est-il nécessaire que tous les hommes naissent dans le péché originel? » Et il répond:

«Par le baptême et par les autres sacrements qui tirent leur vertu de la passion de Jésus-Christ, l'homme est purifié quant à ce qui est de la personne, mais non quant à la nature humaine, dans les choses qui par elles-mêmes appartiennent à cette nature; c'est pourquoi il faut que, par l'acte même de la nature, le poison du péché originel soit transmis à l'enfant, quoique le père soit, dans sa personne, affranchi (IMMUNIS) du péché originel.

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Voilà le vrai sens du terme immunis, employé par saint Thomas. M. Gousset pourrait-il soutenir que, dans le passage ci-dessus, ce mot puisse être traduit par exempt? Celui

qui le traduirait ainsi ferait un contre-sens. Sous peine de commettre le même délit grammatical, M. Gousset ne pouvait lui donner ce sens dans le passage qu'il a cité. Saint Thomas y dit tout simplement que Marie a été la plus pure de toutes les créatures, parce qu'elle a été affranchie ou purifiée du péché originel dès le sein de sa mère, et qu'elle n'a commis aucun péché actuel.

Ainsi un faux raisonnement, deux passages qui ne prouvent rien et un contre-sens : voilà tout ce que M. Gousset a pu trouver à opposer à des thèses claires et authentiques, et sur quoi il a pu étayer son affirmation que saint Thomas s'était contredit dans son enseignement.

Après avoir ainsi détruit le fragile échafaudage de M. Gousset contre saint Thomas, nous citerons deux passages tirés d'un livre de piété du savant docteur, et nous ferons ensuite l'analyse de ses thèses.

Dans son huitième opuscule sur la salutation angélique, saint Thomas s'exprime ainsi.: «Marie évita tout (péché, mieux que tout autre saint, après Jésus-Christ... car, ou le péché est originel, et elle en fut purifiée dans le sein de su mère; ou il est mortel ou véniel, et de ceux-là elle en fut exempte. Libera fuit, » et non pas immunis. Que M. Gousset le remarque bien !

Plus bas, dans le même ouvrage, saint Thomas ajoute : « Le Christ l'emporta sur la bienheureuse Vierge, en ce qu'il a été conçu et qu'il est né sans le péché originel; la bienheureuse Vierge, au contraire, a été conçue dans le péché originel; mais elle n'est pas née avec ce péché. »

Devant de telles paroles qui se trouvent bien dans toutes les éditions et dans tous les manuscrits de saint Thomas, M. Gousset devra nécessairement faire le sacrifice du sens qu'il a donné au mot immunis. Il pourra en découvrir encore une raison assez péremptoire dans les thèses qu'il trouvera, dans toutes les éditions de la Somme, et en particulier dans celle du pape saint Pie V (partie 3, question 27°); en voici l'analyse :

9

Dans le premier article de la question 27, intitulée : De la sanctification de Marie, saint Thomas prouve que la sainte Vierge a été sanctifiée avant que de naître; et sa conclusion est que l'on croit raisonnablement que la bienheureuse Vierge Marie a reçu de plus grands priviléges que les autres, et qu'elle a été par conséquent sanctifiée dans le sein de sa mère, comme on l'a dit de plusieurs saints. Ainsi, d'après saint Thomas, la croyance même à la sanctification de Marie, avant sa naissance, n'est pas de foi. Nous avons vu que saint Bonaventure était du même avis, et que pour lui la chose était seulement probable.

Dans le second article, saint Thomas se demande si la sainte Vierge a été sanctifiée avant son animation, c'est-àdire avant l'union de son âme et de son corps; et sa conclusion est négative. Il répond ainsi à l'objection que l'on pourrait tirer de la fête de la Conception en faveur de l'exemption du péché originel: «Quoique l'Église romaine, dit-il, ne célèbre pas la Conception de la bienheureuse Vierge, elle tolère cependant la coutume de quelques églises qui célèbrent cette fête ; d'où il faut conclure que cette fête ne doit pas être absolument réprouvée. Mais de ce que l'on célèbre la fête de la Conception, il ne faut pas croire que la sainte Vierge a été sainte dans sa conception; mais parce qu'on ignore le temps où elle fut sanctifiée, on célèbre plutôt la fète de sa sanctification que celle de sa conception, le jour de cette conception. » Saint Bonaventure est du même sentiment, comme nous l'avons vu.

Dans le troisième article, saint Thomas soutient qu'après la sanctification de Marie, il resta en elle un levain de péché, qui ne fut complétement détruit que lorsqu'elle eut conçu Jésus-Christ; dans le quatrième, il dit que l'on doit avouer que, pour l'honneur de Jésus-Christ, la sainte Vierge n'a jamais commis ni péché mortel ni péché véniel; dans le cinquième, que Marie a eu une plus grande plénitude de grãces que les autres saints; enfin, dans le sixième, que la sainte

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