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BIBLIOGRAPHIE

LES MOINES ET LEUR INFLUENCE SOCIALE DANS LE PASSÉ ET DANS L'AVENIR, par M. l'abbé F. MARTIN. in-8° de 575 p., Bourg, chez Milliet-Brotier, 4865; et chez les principaux libraires de Paris et de Lyon. Se vend au profit de la nouvelle Trappe de N.-D. de Dombes.

Voilà un livre comme je les aime.

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Eloquence calme, soutenue et souvent pénétrante; style vivant et coloré, mais par bonheur exempt de cette élégance énervée, artificielle et banale que nous prodiguent nos écrivains académiques, je ne dis pas nos académiciens; grande richesse d'aperçus larges et parfois nouveaux, appuyés sur des faits nombreux, variés, intéressants et habilement groupés; impartialité vraie, qui n'a rien de commun avec cette indifférence sans entrailles et sans moralité qu'on décore aujourd'hui de ce nom; admiration intelligente des belles choses du passé, mais sans stériles regrets; saine appréciation et amour sincère du présent, mais sans flatterie comme sans prévention; confiance ferme et chrétienne dans l'avenir, mais sans illusions décevantes: rien ne manque ici de ce qui peut captiver et charmer l'homme dans ce que ses facultés et ses aspirations ont de meilleur; et c'est bien là cet ensemble de qualités qu'il fallait pour écrire avec succès l'apologie des institutions monastiques et la philosophie de leur histoire. Telle est l'impression produite sur moi par la lecture de ce beau livre, et tel le jugement qui naît spontanément sous ma plume quand je veux résumer les idées qu'a provoquées cette lecture.

Ce jugement, je dois le motiver ici. Pour cela rien de mieux, je pense, que l'analyse même de l'ouvrage : travail facile, car la marche de notre auteur est claire et méthodique, comme celle d'un homme parfaitement maître de son sujet.

I. Le livre se compose de deux parties distinctes nettement marquées dans le titre : elles sont à peu près d'égale longueur. La première embrasse des vues d'ensemble sur l'influence sociale du monachisme occidental, depuis son origine jusqu'à sa destruction légale en 1789. Elle se subdivise elle-même en trois grandes époques.

La première de ces époques va jusqu'à saint Benoît. Après une rapide excursion chez les moines d'Orient, plus contemplatifs, plus austères, plus isolés de la société humaine que les moines d'Oc

cident, l'auteur nous montre l'institution monastique s'introduisant dans nos contrées par l'Italie, et salue en passant les beaux noms de Lérins, de Ligugé et de Marmoutiers. Dès lors les moines rendent les plus insignes services à l'humanité et à l'Église, en réagissant contre la corruption païenne par l'exemple de leurs vertus; en formant de grands évêques, tels que saint Martin, saint Paulin et tant d'autres; - en convertissant à la foi chrétienne les îles occidentales de l'Europe.

Saint Benoît inaugure la deuxième époque. C'est par excellence le législateur de l'institution monastique; et jamais peut-être législation n’unit à un plus haut degré que la sienne la douceur et la force, la måle vigueur et la tendre charité, l'intelligence de la véritable perfection du christianisme et le sens pratique des conditions qui doivent y conduire les hommes suivant les temps et les lieux. Dans cette admirable sagesse gît le secret de sa puissance et de son étonnante durée. A peine planté, l'arbre bénédictin couvre de ses rameaux et de ses fruits l'Occident tout entier.

Rien n'arrivait plus à propos que ce nouveau et si efficace instrument de régénération morale. C'était le moment où le vieux monde romain achevait de s'écrouler sous les coups du monde barbare; et les vainqueurs avaient bien vite greffé sur leur férocité native tous les vices de la civilisation pourrie qu'ils venaient détruire. Qu'on ouvre Salvien: on verra dans quel immonde chaos se débattait alors la société, si l'on peut appeler de ce nom le mélange confus de tant d'éléments hétérogènes jetés pêle-mêle et comme en fusion dans le creuset terrible où s'élaborait l'avenir. Il y eut là de longues années d'universelle perturbation, de corruption effroyable, d'inexprimable angoisse.

En présence de ces désordres et de ces malheurs, que firent les moines? D'abord, conservateurs comme la religion elle-même, animés d'un sincère esprit de patriotisme comme ils le furent toujours et partout, ils restent noblement fidèles jusqu'à la dernière heure à la cause de l'empire romain dont ils n'avaient guère pourtant à se louer. Les envahisseurs égorgent par milliers ces hommes sans défense, mais recueillent du spectacle même de leur mort une éloquente révélation de la force morale si supérieure à toute la force matérielle. Les débris de la race gallo-romaine à leur tour trouvent dans les monastères un refuge et les seules consolations qui pouvaient leur préparer des jours meilleurs.

La conquête une fois terminée, les moines entreprennent d'instruire, d'adoucir, de civiliser les sauvages vainqueurs, et ils en viennent à bout par des prodiges de patience, de courage, de zèle. Le beau rôle

que celui de l'Irlandais saint Colomban en face de Brunehaut et de Thierry II! Plus admirable encore est celui de saint Séverin dans la Norique également respecté des Romains et des Parbares, il se constitue l'arbitre de leurs différends et les initie les uns et les autres aux saintes lois de la fraternité dans le Christ. On pourrait apporter cent exemples analogues.

Mais voici pour les moines une tâche d'un autre genre. Abandonné sans culture et sillonné en tout sens par le torrent de la dévastation, le sol de l'Europe avait été envahi par les ronces, les épines, les forêts et les marécages: il ne présentait plus que l'aspect d'un désert. Ce sont les moines qui le reconquirent avec d'incroyables fatigues, et l'on a calculé que l'Europe leur doit le tiers à peu près de ses terres labourables. Qu'on se rappelle les symboliques légendes de saint Léonor, de saint Théodulphe et tant d'autres, si poétiquement racontées par M. de Montalembert et si à propos rappelées ici. Chaque abbaye, en même temps qu'elle est un foyer de lumière, devient un centre d'exploitation agricole, et bientôt le berceau d'un village, souvent même d'une grande ville.

Avec Charlemagne, la mission des moines s'agrandit encore, et leur troisième àge s'ouvre; c'est leur âge héroïque, qui se prolongera avec des fortunes diverses jusqu'après saint Bernard.

Ils viennent de convertir ou de ramener à la foi catholique les Francs, les Bourguignons, les Visigoths, les Lombards et en dernier lieu, sous les inspirations de saint Grégoire le Grand, la noble race des Anglo-Saxons; il leur reste à tarir la source même des invasions, en portant la lumière du christianisme jusque dans les pays d'où continuellement s'élancent de nouvelles hordes barbares. Tel est le grand dessein qu'ils ont conçu, et qu'ils vont accomplir avec un succès digne de leur sainte audace.

Sans rappeler ici saint Augustin de Cantorbéry et ses compagnons ni saint Colomban, qui appartiennent à une époque antérieure, quels travaux héroïques ne résument pas les noms de saint Amand, apôtre de la Gaule Pelgique; de saint Gall, apôtre de la Suisse; de l'illustre Anglo-Saxon saint Boniface, apôtre de l'Allemagne, et plus tard, de saint Anschaire, qui conquit à l'Évangile la Frise et même en partie la Scandinavie, point de départ accoutumé des terribles hommes du Nord; de saint Adalbert, auquel la Bohême et la Hongrie durent les premières étincelles de la foi! Autour de ces vaillants capitaines de l'armée du Christ se rangent des légions de soldats dignes de marcher à leur suite. Beaucoup tombent au champ d'honneur; mais, comme autrefois, le sang des martyrs est une semence féconde de chrétiens; et trois siècles à peu près ont suffi pour im

planter solidement le christianisme dans les vastes contrées que je viens d'indiquer.

Ces nouveaux apôtres ne procèdent pas seulement par la prédication individuelle; ils forment des centres puissants d'action; ils créent des monastères, des évêchés jusqu'au sein des terres encore infidèles; et de ces postes avancés qu'il faut plus d'une fois défendre comme des forteresses, ils rayonnent sur les peuples d'alentour, qui ne peuvent résister longtemps à l'influence toujours présente du bon exemple, de la parole, de la charité.

En même temps, par un nouveau bienfait dont M. Littré luimême se plaît à leur tenir compte, les moines conservent les trésors de l'antiquité profane et sacrée, et font partout renaître le goût de la culture intellectuelle. Ils ouvrent des écoles publiques; ils forment des bibliothèques ; ils recueillent et transcrivent les manuscrits; ils étudient, ils enseignent le latin et le grec; ils approfondissent surtout les mystères de l'Écriture sainte et les secrets de la théologie : c'est ainsi qu'ils préludent aux merveilles de la scolastique. Nulle branche de la connaissance humaine ne leur demeure étrangère. Au souffle puissant de leur activité, les beaux-arts reprennent vie et enfantent déjà les nobles basiliques romanes, en attendant qu'ils couvrent la chrétienté de toutes les splendeurs de l'architecture ogivale. Quels services n'ont donc pas rendus à la civilisation ces hommes, pour qui cependant la science n'était qu'un moyen, et qui lui préféraient le travail manuel! S'ils n'ont pas laissé grand nombre de chefs-d'œuvre, ils ont du moins sauvé les chefs-d'œuvre du passé: et ils y ont ajouté, entre autres monuments de leurs veilles, ces précieuses chroniques, qui n'offrent pas sans doute la perfection littéraire de l'histoire de Thucydide ou des Décades de Tite-Live, mais qui nous ont transmis le souvenir d'innombrables faits sans elles perdus à jamais pour nous, et où éclate le sentiment d'une moralité supérieure à toutes les idées du paganisme. D'ailleurs Bède, saint Isidore de Séville, Alcuin, Raban Maur, Lanfranc, saint Anselme, Roswitha, Gerbert, etc., sont là pour prouver que, même dès cette époque et sous le rapport qui nous occupe ici, les individualités remarquables ne manquent pas dans les rangs des moines.

Ajoutez l'action salutaire qu'ils exercent sur le clergé séculier. C'est Colomban et plus tard Boniface qui relèvent le clergé gallofranc du déplorable état d'avilissement où l'avaient précipité, sous les derniers Mérovingiens, l'intrusion et la simonie. Deux siècles après, par sa réforme, saint Benoît d'Aniane produit un immense mouvement de rénovation religieuse et morale. Saint Chrodegang de Metz institue les chanoines réguliers. La famille bénédictine des Camaldules

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prend une extension rapide. Saint Bruno et ses Chartreux reproduisent en Occident et sous une forme encore plus angélique les anciennes merveilles de la Thébaïde. Cluny, que gouverne à ses débuts une série de saints, étend son sceptre abbatial sur deux mille monastères disséminés par toute l'Europe, et fait rayonner au loin son heureuse influence. De Cluny sortira saint Grégoire VII, le vengeur des libertés et des droits sacrés de l'Église, le restaurateur de la discipline et des mœurs du clergé, l'indomptable adversaire du despotisme césarien. Et c'est en effet à l'ombre du cloître que devait naturellement se former un tel pontife, puisque les moines, toujours étroitement unis à la papauté, ne cessèrent au moyen âge de lutter avec elle et sous sa direction pour les nobles et divines choses, dont Grégoire VII demeure à jamais dans' le souvenir reconnaissant de l'humanité le plus glorieux champion.

Que d'autres bienfaits des moines n'aurais-je pas encore à signaler la propriété fondée sur une base inviolable, parce qu'elle est divine, la sécurité garantie dans le voisinage des monastères, les secours prodigués à l'indigence et à toutes les misères humaines, les refuges ouverts à l'infortune et au repentir, l'affranchissement graduel des serfs, la femme relevée et couronnée d'une céleste auréole, la dignité de la personne humaine mieux comprise et mieux respectée, la digue opposée aux violences féodales et la préparation progressive de la vraie monarchie chrétienne! Mais une pacifique révolution s'opère dans l'institution monastique et fait rejaillir sur elle un nouvel éclat. L'étoile de Cluny commence à pàlir: voici la réforme de Citeaux, voici bientôt saint Bernard.

Il ne serait pas aisé de donner en quelques mots une idée exacte de la règle cistercienne, rédigée par saint Étienne et si bien nommée la Charte de Charité. Rien n'est beau comme cette organisation, à la fois dépendante et libre, d'un nombre prodigieux de maisons gardant leur autonomie sous la haute surveillance de l'abbé ou plutôt du chapitre général de Citeaux : immense république qui vit de travail, de prière, d'amour, concentrant en elle, durant plus d'un siècle, toute la puissance et la fécondité de l'institution monastique, pour se personnifier en quelque sorte elle-même dans un seul homme, l'incomparable abbé de Clairvaux! Je n'insisterai pas sur le rôle de ce moine, disons mieux, de ce géant. Médiateur entre les peuples et les rois, oracle des souverains pontifes, prédicateur inspiré de la guerre sainte, législateur de ces moines-soldats, qui firent d'abord rejaillir tant de gloire sur le nom de Templier, marteau des hérésies naissantes, thaumaturge si prodigue de miracles que Dieu semble lui avoir confié la plénitude de son pouvoir, orateur entraînant, écrivain

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