Obrazy na stronie
PDF
ePub

tium. Il fut, dit-on, occupé vingt-un ans à cette grande composition, dont il publia quelques parties détachées. Quand elle parut, elle excita une si vive admiration, qu'un habitant1 de Cadix, située alors aux extrémités du monde, fit exprès le voyage de Rome pour voir Tite-Live, et repartit après l'avoir vu. Merveille réservée à ce siècle, dit S. Jérôme, qu'un étranger soit venu à Rome, pour voir autre chose que Rome elle-même.

On peut croire que notre historien fut un des précepteurs de Claude. Ce fut, du moins, d'après son conseil que ce jeune prince 3 s'essaya à écrire l'histoire, genre de composition dans lequel, au témoignage des anciens, il avait obtenu quelque succès.

Il vécut dans l'intimité d'Auguste, comme Virgile et Horace; mais il n'a pas, comme eux, prostitué son génie au destructeur de la liberté de sa patrie. Dans ce qui nous reste de son histoire, il parle deux fois 4 d'Auguste, « et il en parle, dit Rollin, avec une retenue et une sobriété de louanges, qui fait honte à ces écrivains flatteurs et intéressés, qui prodiguent, sans discernement et sans mesure, aux places et aux dignités, un encens, qui n'est dû qu'au mérite et à la vertu. » Il paraît que dans le récit des guerres civiles, il ne se crut point obligé d'insulter aux vaincus, et qu'il rendit justice à Pompée 5, qui, grâce peut-être à la fortune, eût été, sans César, le premier capitaine de Rome. Aussi Auguste l'appelait-il, en badinant, Pompéien. On trouve la modération d'Octave aussi honorable que l'impartialité de l'écrivain. Je ne suis pas de cet avis. Si le fils adoptif et l'héritier de César eût craint pour sa puissance, il eût été

I

[ocr errors]

Numquam ne legisti Gaditanum quemdam, Titi Livii nomine gloriaque commotum, ad visendum eum ab ultimo terrarum orbe venisse, statimque ut viderat, abiisse ? »> PLIN. JUN., lib. 11, epist. 3.

2

[ocr errors]

Habuit illa ætas inauditum et omnibus sæculis celebrandum miraculum ut tantam urbem ingressi, aliud extra urbem quærerent.

3 «

[ocr errors]

B. HIERONYM., ad Paulinum.

Historiam in adolescentia, hortante T. Livio, scribere agressus est. »

4 Liv. 1, chap. 19; liv. rv, chap. 20.

5

[ocr errors]

SUET., Claud. vita.

Titus Livius, eloquentiæ ac fidei præclarus, imprimis Cn. Pompeium tantis laudibus tulit, ut Pompeianum eum Augustus appellaret, neque id eorum

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

moins généreux; mais les cohortes prétoriennes le rassuraient contre les regrets et le souvenir du passé. N'oublions pas qu'Octave, froidement cruel, et par là plus odieux, n'a jamais hésité à commettre un crime utile ou nécessaire, et s'il eût jugé les ouvrages de TiteLive dangereux, l'exil ou la mort l'auraient délivré de l'auteur. Mais peut-être ce prince, qui s'étudiait avec tant de soin à cacher son despotisme sous les formes de l'ancien gouvernement, n'était pas fâché de laisser croire encore à la liberté. N'avons-nous pas vu Napoléon, qui certes n'aimait pas la contradiction, au moins en public, souffrir dans son sénat deux ou trois membres connus par leur opposition constante à ses projets ambitieux? Leur indé-pendance, sans lui causer la moindre inquiétude, déguisait la servilité du reste.

il

Tite-Live mourut dans sa patrie, à l'âge de soixante-seize ans, la même année qu'Ovide, la quatrième de l'empire de Tibère, la dixhuitième de l'ère chrétienne, 770 ans après la fondation de Rome.

Ses ouvrages furent proscrits sous les successeurs d'Auguste. Caligula les voulut bannir, ainsi que ses images, de toutes les bibliothèques. La politique n'entrait pour rien dans cette mesure : elle était dictée par le goût. Tite-Live, aux yeux de Caligula, était un écrivain aussi diffus qu'inexact. La postérité n'a point confirmé ce jugement, dont la réprobation avait frappé aussi Virgile.

'Domitien fit périr 3 Met. Pomposianus, qui lisait, dans les cercles de Rome, un recueil des harangues de Tite-Live. Ce n'était plus uniquement dans l'intérêt du goût. Moins sûr qu'Auguste de sa puissance, Domitien craignait les souvenirs et les sentimens dont ces discours étaient animés.

Le pape saint Grégoire fit brûler tous les manuscrits de Tite-Live, qui tombèrent entre ses mains. Il le jugeait dangereux pour la religion, à cause des prodiges qu'il raconte à chaque instant. On pré

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

2

<< Titi Livii scripta et imagines paulum abfuit quin ex omnibus bibliothecis amoverit, quem ut verbosum in historia negligentemque carpebat. »

SUETON., Calig. vita.

3 « Met. Pomposianum, quod.... conciones regum ac ducum ex Tit. Livio circumferret, interemit. SUET., Domit. vita.

[ocr errors]

tend que cette mesure était nécessaire dans un siècle d'ignorance et de superstition. Je veux le croire, mais j'en suis fâché pour le siècle et pour nous.

Padoue se vante encore de posséder le tombeau et les ossemens de Tite-Live. Il manque ceux d'un bras, qui fut donné en 1451 à Alphonse d'Aragon. Une inscription conserve le souvenir de ce présent. Le mausolée est placé dans l'hôtel-de-ville. Il est accompagné d'inscriptions et d'un très-ancien buste en marbre de notre historien. A la droite du monument est l'lmmortalité; à la gauche Minerve. Le Tibre coule sous les pieds de l'une, la Brenta sous ceux de l'autre. Au milieu est une louve, allaitant Remus et Romulus. Au dessus d'une autre porte du même hôtel-de-ville, est une autre statue en pierre, qui représente Tite-Live dans l'attitude d'un homme qui tient un livre ouvert, et porte la main gauche à la bouche avec cette inscription: Parvus ignis magnum sæpe suscitat incendium.

Tite-Live se présente à la postérité entouré d'imposans suffrages. Tacite vante son éloquence et son exactitude : le bon Plutarque s'appuie souvent de son autorité : Quintilien le cite à côté de Cicéron, en indiquant ces deux auteurs comme ceux qu'il faut mettre de préférence entre les mains des jeunes gens : « Sa narration 1, dit-il, est singulièrement agréable et de la clarté la plus pure. Ses harangues sont d'une éloquence au dessus de toute expression. Tout y est parfaitement adapté aux personnes et aux circonstances. Il excelle surtout à exprimer les sentimens doux et touchans, et nul historien n'est plus pathétique. » Il semble cependant n'oser le comparer à Hérodote; mais le goût de Quintilien, d'ordinaire si sûr, ne se laisset-il pas égarer ici par le préjugé et par un vieux respect pour les Grecs? « Hérodote, dit un homme très-capable de l'entendre et de le juger, Hérodote suivit de près les premiers inventeurs de la prose, et mit plus d'art dans sa diction, moins incohérente, moins

[ocr errors]

Nec indignetur sibi Herodotus æquari Titum Livium, quum in narrando miræ jucunditatis, clarissimique candoris, tum in concionibus, supra quam enarrari potest, eloquentem: ita dicuntur omnia quum rebus tum personis accommodata: sed affectus quidem, præcipue eos qui sunt dulciores, ut parcissime dicam, nemo historicorum commendavit magis.

[ocr errors]

QUINT., lib. x, cap. 1.

2 Préface d'une traduction nouvelle d'Hérodote, par P. L. Courier.

hachée : toutefois en cette partie son savoir est peu de chose, au prix de ce qu'on vit depuis. La période n'était point connue, et ne pouvait l'être, dans un temps où il n'y avait encore, ni langage réglé, ni la moindre idée de grammaire. De ce manque absolu de grammaire et de règles, viennent tant de phrases, dans Hérodote, qui n'ont ni conclusion, ni fin, ni construction raisonnable, et ne laissent pas pourtant de plaire par un air de bonhomie et de peu de malice, moins étudiée que ne l'ont cru les anciens critiques. On voit que dans sa composition il cherche, comme par instinct, le nombre et l'harmonie, et semble quelquefois deviner la période. Mais, avec tout cela, il n'a su ce que c'était que le style soutenu et cet agencement de phrases et de mots qui fait du discours un tissu, secret découvert par Lysias, mieux pratiqué encore depuis, au siècle de Philippe et d'Alexandre.... Le temps d'Hérodote fut l'aurore de cette lumière, et comme il a peint le monde encore dans les langes, s'il faut ainsi parler, d'où lui-même il sortait, son style dut avoir, et de fait a cette naïveté, bien souvent un peu enfantine, que les critiques appelèrent innocence de la diction, unie avec un goût du beau et une finesse de sentiment qui tenaient à la nation grecque. » Malgré ce goût du beau, cette finesse du sentiment et le charme inexprimable de cette bonhomie naïve, de cette innocence de diction, n'est-il pas permis de préférer au père de l'histoire un écrivain, dont on a dit avec vérité « que son génie, sans jamais laisser voir le travail ni l'effort, paraît s'élever naturellement jusqu'à la grandeur romaine : qu'il n'est jamais au dessus ni au dessous de ce qu'il raconte 2. » Ces deux hommes sont sans doute des génies supérieurs, mais Tite-Live a sur son rival l'avantage d'avoir paru à une époque où la langue était fixée et les règles de l'art d'écrire bien connues. Je ne saurais, malgré sa piquante orginalité, préférer, comme écrivain, Montaigne à Rousseau ou à Buffon.

I

Quelques critiques cependant se mêlent à ces éloges. Pollion 3,

LAHARPE, Cours de littérat., 1re part., liv. 11, chap. 1.

2 On sait assez que la méthode et le style de Tite-Live, sa gravité, son éloquence sage conviennent à la majesté de la république.

3

[ocr errors]

VOLTAIRE, Dict. philos. (Histoire.)

Pollio deprehendit in Livio Patavinitatem. Putat inesse Pollio Asinius quamdam Patavinitatem. « Lib. VIII, cap. 1.

au rapport de Quintilien, lui reprochait une certaine patavinité: mais Quintilien, tout en répétant le reproche de Pollion, ne dit pas ce qu'il faut entendre par ce mot. Les uns veulent qu'il ne s'agisse que d'une orthographe particulière, de l'emploi de la lettre e pour la lettre i, d'écrire enfin sibe, quase, pour sibi, quasi; d'autres de la répétition de plusieurs synonymes dans la même période. On lui donne encore deux autres interprétations. Un défaut, qu'on ne peut pas bien définir, n'est pas bien constaté. Au reste le judicieux Rollin pense que l'on peut entendre par là quelques termes ou quelques tours qui sentaient la province1. « Il se peut faire, ajoutet-il, qu'un homme né et élevé à Padoue eût conservé, s'il m'est permis de parler ainsi, un goût de terroir, et qu'il n'eût pas toute cette finesse, cette délicatesse de l'urbanité romaine, qui ne se communiquait pas à des étrangers aussi facilement que le droit de bourgeoisie. Mais c'est ce que nous ne pouvons ni apercevoir ni sentir. >>

On a regardé les nombreuses harangues, que Tite-Live mêle à ses récits, comme de brillans hors-d'œuvres. Je ne veux point en garantir l'authenticité2; mais trouve-t-on étrange que les historiens de notre époque rapportent les traits les plus saillans des discours prononcés dans nos assemblées politiques; et, sans la facilité que nous donne la presse d'en multiplier les copies, blâmerait-on l'écrivain qui, se faisant le rapporteur de la discussion, recueillerait les passages les plus remarquables de tous les discours prononcés, et en composerait un tout qu'il mettrait dans la bouche du défenseur

1 Histoire ancienne, liv. xxv, chap. 2, art. 2.

2 Ce serait au reste une entreprise quelquefois assez difficile. On en va juger. Tacite, liv. x1, chap. 24 des Annales, rapporte un discours de l'empereur Claude au sénat, prononcé dans la discussion relative aux prétentions des habitans de la Gaule Chevelue, qui sollicitaient la faveur de pouvoir posséder aussi les dignités de Rome, puisqu'ils jouissaient depuis long-temps du droit de citoyens. Ce discours est fort beau et donne une idée favorable du talent oratoire de Claude. Heureusement ou malheureusement nous en avons l'original, à quelques lacunes près. Il s'est trouvé à Lyon, gravé sur des tables de bronze, que l'on conserve encore. L'abbé Brotier l'a transcrit dans ses notes. Tacite n'en a presque rien pris pour le fonds des idées, et rien du tout pour le style. Il est vrai qu'il est fort ennuyeux.

« PoprzedniaDalej »