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jusqu'au 22 novembre 1743, ont donné lieu à plusieurs relations manuscrites qui circulent en Espagne, et qui m'imposent comme historien le devoir de rappeler les faits avec impartialité. Je dois commencer par la femme qui figura le plus dans cette horrible tragédie. Elle s'appelait Dona Agueda de Luna, née à Corella en Navarre. Ses parens étaient des nobles de cette ville; elle entra religieuse carmelite dans le couvent de Lerma en 1712, avec une si grande réputation de vertu qu'on la regardait comme une saiute. En 1713, elle avait déjà embrassé l'hérésie de Molinos, et elle en suivait les principes avec tout le dévouement du sectaire le plus décidé. Elle passa plus de vingt ans dans le couvent, et sa renommée ne fit que s'accroître par les récits de ses extases et de ses miracles, adroitement répandus par le frère Jean de Longas, le prieur de Lerma, le provincial et d'autres religieux du premier rang, qui tous étaient complices de la fourberie de la mère Agueda, et intéressés à faire croire à sa sainteté.

IV. Il fut question de fonder un couvent dans lę lieu de sa naissance, et les supérieurs dont je viens de parler, l'en nommèrent fondatrice et prieure. Elle y continua sa mauvaise vie, sans perdre la bonne réputation dont elle jouissait, laquelle devenait au contraire tous les jours plus grande, en sorte qu'on accourait de tous les pays voisins implorer sa protection auprès de Dieu pour les secours dont on avait besoin. Comme le bourg de Rincon del Soto (ma patrie) n'est éloigné de Corella que de deux lieues et demie, mes parens se décidèrent à se rendre auprès d'elle pour lui recommander un dé leurs enfans qui était malade, et qu'elle promit de guérir en lui

appliquant une de ses pierres et avec le secours de quelques autres remèdes. Cependant, l'événement prouva la vanité de sa promesse, puisque l'enfant mourut peu de temps après.

V. Un des prodiges simulés de la mère Agueda, qui excitait la plus grande surprise, et qu'on regardait comme la cause de beaucoup d'autres merveilles, était la faculté qu'avait cette prétendue sainte d'évacuer certaines pierres qu'une de ses complices composait avec de la brique réduite en poudre, et mêlée avec d'autres substances aromatiques, et sur lesquelles on voyait d'un côté l'empreinte d'une croix, et de l'autre celle d'une étoile; l'une et l'autre, couleur de sang. On disait dans le monde que pour récompenser la vertu admirable de la mère Agueda, Dieu lui avait accordé la faveur singulière de rendre ces pierres miraculeuses pour la guérison des maladies, par la voie des urines, en éprouvant des douleurs pareilles à celles qui accompagnent l'enfantemeut. Ces douleurs en effet n'étaient pas inconnues à Dona. Agueda, qui les avait ressenties plusieurs fois à Lerma et à Corella, soit au milieu des avortemens qu'elle s'était procurés, soit dans les accouchemens naturels où elle avait été assistée par les moines ses complices et par des religieuses qui avaient été séduites.

VI. Comme un abîme entraîne ordinairement dans un autre abîme, la mère Agueda (qui avait envie de faire de nouveaux miracles pour rendre sa réputation encore plus brillante) invoqua le Démon; et, s'il faut s'en rapporter aux informations qui furent faites pen-` dant le procès, elle fit un pacte avec lui, en lui donnant son ame, par un acte en forme, écrit de sa

main, et en l'adorant comme son maître, véritablement Dieu tout puissant, et en reniant Jesus-Christ, sa religion et tout ce qu'elle enseigne.

VII. Enfin, après avoir rempli sa vie de mille iniquités secrètes et cachées sous le voile du jeûne et des autres signes extérieurs de la sainteté, la mère Agueda fut dénoncée au Saint - Office de Logrogno, qui la fit enfermer dans ses prisons secrètes de cette ville, et elle y mourut des suites de la torture, avant que son procès fût en état d'être jugé. Elle confessa au milieu des tourmens qu'on lui fit souffrir, que sa prétendue sainteté n'avait été qu'une imposture, parul se repentir dans ses derniers momens, se confessa et reçut l'absolution.

VIII. Fr. Jean de la Vega, né à Lierganes, daus les montagnes de Santander, provincial des Carmes déchaussés, parut dans un petit auto-da-fé du 30 octobre 1743. Il avait été, dès l'année 1715, le directeur spirituel et l'un des complices de la mère Agueda, n'ayaut alors que trente-cinq ans ; il en avait eu cinq enfans, d'après les preuves de son procès; et ses discours avaient perverti d'autres religieuses, en leur faisant croire que ce qu'il leur conscillait, était la véritable vertu. Il avait écrit la vie de sa principale élève, ét il en parlait comme du vrai modèle de la sainteté ; il y racontait une multitude de miracles et tout ce qui pouvait servir à ses vues. Il s'acquit lui-même une si grande réputation, qu'on le nommait l'extatique ; les moines qu'il avait pour complices, publiaient par tout que, depuis saint Jean de la Croix, il n'y avait pas eu en Espagne de religieux plus ami de la pénitence que lui; il fit faire le portrait de la mère Agueda, qui fut

exposé dans le chœur ; on y lisait quatre vers à double entente dont voici la substance :

O Jesus! que dans mon cœur ta main plante la fleur;
Le fruit viendra dans sa saison; car le champ en est très-bon.

IX. Plusieurs complices, des religieuses innocentes et d'autres personnes déclarèrent que Fr. Jean de la Vega avait fait aussi un pacte avec le démon; mais l'accusé persista à nier le fait, même au milieu de la question, qu'il supporta avec courage malgré son âge avancé. Il confessa seulement qu'il avait reçu, en qualité de provincial, l'argent de onze mille huit cents messes qui n'avaient pas été dites. Il fut déclaré suspect au plus haut degré et envoyé au couvent désert de Duruelo, où il mourut peu de temps après..

X. Le provincial et le secrétaire de ce temps-là niċrent les faits, ainsi que deux moines qui avaient rempli ces dernières fonctions dans l'ordre pendant les trois années précédentes; il furent enveloppés dans les mêmes déclarations, arrêtés, mis à la question, et rélégués dans des couvens de leur institut, à Majorque, Bilbao, Valladolid et Osma. L'annaliste de l'institut avoua cependant le crime, et il fut dispensé pour cela de porter le San-Benito dans l'auto-da-fé.

XI. Dona Vicenta de Loya, nièce de la mère Agueda, fut reçue, à l'âge de neuf ans, dans le couvent de Corella, lorsque sa tante y arriva pour en être prieure. Celle-ci lui enseigna sa mauvaise doctrine, aidée du provincial Fr. Jean de la Vega; et ses leçons, eurent tant de succés, qu'elle la tenait de ses propres mains lorsque le provincial fit le premier outrage à sa pudeur, afin (disait-elle) que l'œuvre fût plus méritoire aux yeux de Dieu. Dona Vicenta confessa aussitôt

qu'elle fut prise, et sans qu'on eût recours à la question, toutes ses fautes, et déclara celles des personnes qu'elle connaissait pour coupables; elle assura seulement qu'elle n'avait jamais admis dans son ame aucune erreur hérétique qu'elle sût être condamnée par l'Eglise, quoiqu'elle regardât comme permis tout ce qu'elle faisait, parce que ses confesseurs et sa tante le Jui avaient persuadé, et qu'elle avait la plus haute idée de la vertu de ces personnes, et particulièrement de sa tante, qui passait pour une sainte. La sincérité de dona Vicenta lui valut la grâce de paraître dans l'auto-da-fe sans le scapulaire du San-Benito, dont furent revêtues quatre autres religieuses qui avaient nié, même dans la question, avoir commis les crimes dont il s'agit, excepté une seule qui avoua qu'elle avait appris la mauvaise doctrine dans son enfance de Fr. Jean de Longas.

XII. Je ne m'arrêterai pas à rapporter tous les détails que je trouve dans mes notes sur les procès auxquels cette affaire donna lieu, parce qu'ils n'ont d'autrez garans que les déclarations des religieuses innocentes du couvent, qui formaient un parti contraire, et étaient par conséquent disposées à croire un grand nombre de choses invraisemblables et même incroyables.

XIII. Cependant, il n'est pas permis de révoquer en doute l'histoire des pierres dont la mère Agueda prétendait accoucher, puisque l'Inquisition en recueillit un très-grand nombre; je dois en dire autant de ses accouchemens, parce que dona Vicenta de Loya indiqua le lieu où les enfans étaient mis à mort et enterrés aussitôt après leur naissance; on y fit des per

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