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Mais quel est cet homme qui s'avance en conduisant par la bride un superbe cheval noir? Il tourne à chaque instant la tête comme s'il avait peur d'être aperçu ou suivi. Cet homme a vingt-cinq ans à peine, et sa taille est un peu au-dessus de la moyenne; il porte le costume des Anèzés; à sa ceinture de cuir brillent un sékin (couteau recourbé) et deux pistolets ornés d'or et de pierreries; sa figure longue, maigre et basanée, est noble et belle, mais ses traits offrent les traces d'une passion violente. Le voilà dans l'enceinte du champ des morts, Au bruit des pas du cheval, Maria lève la tête, pousse un cri; elle veut prendre la fuite; mais l'homme quitte la bride de son coursier et fond sur la jeune fille comme l'aigle de la montagne sur la faible colombe; il lui met un mouchoir dans la bouche pour l'empêcher d'appeler au secours, la prend dans ses bras, la dépose sur son cheval sur lequel il monte à son tour, et part comme l'éclair du côté de Tibériade, à l'orient de Nazareth; il franchit les monts escarpés, les vallons, ravins, les plaines; il ne s'arrête, après avoir fait quinze lieues de chemin, que sur le rivage septentrional de la mer de Galilée, au milieu des ruines désolées de l'antique Capharnaum, cette ville impénitente qui ne voulut pas croire aux miracles du Christ, mais qui sera traitée au jour du jugement plus rigoureusement que Sodome.

les

Le jour avait fui, les nuages grisàtres s'étaient dissipés, le ciel était redevenu splendide, et la lune, blanche et belle, se reflétait en mille sillons de lumières dans cette mer de Tibériade où jadis le Fils de l'homme à la quatrième veille d'une nuit, apparut comme un fantôme aux pêcheurs de Bethzaïde.

Que se passait-il dans l'esprit de Maria lorsqu'elle se

vit seule, la nuit, en face de cet homme qui venait de l'arracher à sa terre natale, à son père, à son église de Sainte-Marie, aux compagnes de son âge?

<«< Qui es-tu? s'écria-elle avec désespoir en arrêtant sur cet homme un regard éperdu. Qui es-tu? que veuxtu? pourquoi m'as-tu prise sur le tombeau de ma mère? » Et Maria, couvrant sa figure de ses deux mains, fondait en larmes!

« Sèche tes pleurs, répondait doucement l'inconnu; sèche tes pleurs, ò lumière de mes yeux! Sois sans effroi, le lion des combats te protége! Sois sans crainte, ne redoute aucun péril! Au jour du danger les guerriers se prosternent devant moi et les lâches pâlissent! O toi! mon unique bien, mon unique espoir, je te défendrai, je te couvrirai de ma lance qui frappe les plus superbes têtes! Tu verrais tomber tout homme qui oserait nous attaquer! Quel est celui qui te ferait prisonnière? Qui aurait le courage de lever la main sur toi? Ma lance boit le sang, et mes ennemis roulent dans la poussière ! Tu es inaccessible; car moi, moi, Médher, fils du vénérable cheik Rébéah de la tribu d'Abad, moi, je suis là pour te garder! Je t'aime de l'amour d'un noble guerrier; tu es la maîtresse de mon cœur. Je sais qui tu es; je te connais depuis longtemps; ton nom est Maria. Je t'ai vue pour la première fois, il y a deux cents soleils, à la fontaine de la Madona, qui se trouve à une courte distance à l'orient de Nazareth. Tu me donnas à boire; je contemplais ton visage, et l'amour, un amour ardent, entra dans mon âme! Dès ce jour il n'y eut plus pour moi de repos; je te voyais dans mes rêves brûlants; je te voyais au milieu des vaștes plaines pendant les journées dévorantes de l'été quand, monté

sur ma cavale, je les traversais avec la rapidité du vent! Les filles de nos tribus ont passé devant moi comme des êtres indifférents; je ne pensais qu'à toi, je ne voulais que toi, ò ma blanche colombe! Tu peux me faire un paradis de la terre; tu es ma houri! Combien de fois j'ai traversé les montagnes qui séparent mon pays du tien pour aller te voir dans ta ville de Nazareth! Tu es chrétienne, et je suis musulman; je ne pouvais donc demander ta main à ton père et lui offrir tous mes chameaux, et cependant il fallait ou t'avoir ou mourir ! Tu es là maintenant auprès de moi, ô ma péri! Me pardonneras-tu le chagrin que je t'ai fait? Ma tribu n'est éloignée d'ici que de quelques lieues demain tu seras dans la tente de ma mère et de mes deux sœurs. >>

Pendant ce discours, Maria avait parfois levé les yeux sur la noble tête de Médher éclairée par les rayons de la lune. Elle avait été saisie d'une indéfinissable surprise en entendant ces douces paroles, en voyant le sourire caressant de cet homme qui l'avait si cruellement ravie à ses plus chères affections. Médher était agenouillé devant Maria: tremblante, étonnée, elle inspirait un saint respect à l'Arabe du désert. Médher, qui l'avait serrée dans ses bras en l'emportant sur son coursier, n'aurait pas osé mettre sa main dans les siennes alors qu'il était là seul avec elle, la nuit, sur une plage solitaire. C'est que Médher, ce sauvage enfant des solitudes, était pénétré du véritable amour!

Craignant d'être poursuivi par quelqu'un de Nazareth qui eût pu le voir lorsqu'il s'en allait avec Maria, le Bédouin n'attendit pas le lever du soleil pour se remettre en marche, Il se dépouilla de son abab (manteau), le mit sur les épaules de sa chère compagne, et tous deux,

montés sur le coursier, eurent bientôt traversé le Jourdain. «Fais tourner ton coursier, redisait Maria à son ravisseur, rends-moi à mon père; » et les paroles de la jeune fille se perdaient dans l'espace. Ils trouvèrent la tribu d'Abad campée dans un large vallon situé vers les confins de la Syrie, à quelques lieues au sud de Damas. Le père de Médher, sa mère, qui se nommait Rama, et ses deux sœurs, dont les noms nous sont inconnus, accueillirent la pauvre Maria avec une infinie bonté; ils lui prodiguèrent les soins les plus tendres. Rama surtout, qui avait pour son fils une affection profonde, et qui seule de la famille avait reçu la confidence de son amour, aima d'abord celle-ci comme sa troisième fille; elle ne savait l'appeler que de ce nom.

Pendant une longue veillée de novembre, sous la tente de Rébéah, en présence de sa mère, de ses sœurs et de Maria, Médher laissa tomber de ses lèvres le mot de mariage avec la fille de Youssouf.

« Jamais, dit Maria d'une voix ferme et assurée, non jamais je ne serai l'épouse d'un musulman! Je suis faible, je suis seule de ma nation au milieu de vous tous, mais je serais terrible et capable de me donner la mort si on voulait me forcer à une union pareille! Fais-toi chrétien, ô Médher! fais-toi chrétien! Viens recevoir sur ton front, dans l'église de Sainte-Marie, les eaux du baptême régénérateur, et je serai alors la compagne de tes jours.

- Calme tes craintes, ma fille, lui répondit Rama en l'embrassant, calme tes craintes ; une union entre toi et Médher ne pourrait s'accomplir que si ton père voulait recevoir ta dot des mains de mon fils; car, chez les Arabes de nos tribus, la honte s'attacherait sur une

femme qui se serait mariée sans que son époux eût donné à son père le nombre de chameaux convenu. Ce ne serait pas sur ton front, pauvre exilée, que la famille de Rébéah jetterait une tâche d'infamie! La famille de Rébéah aimerait mieux boire la coupe de la mort que celle du déshonneur et de la lâcheté! »>

Une quinzaine de jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée de Maria dans la demeure de Rébéah, lorsque la tribu leva le camp; elle alla dresser ses tentes sur le versant oriental des monts d'Arabie, à dix lieues de la rive gauche du Jourdain : ils se trouvaient dans l'antique pays des Moabites, patrie de Ruth, cette gracieuse figure de femme qui apparaît dans la Bible avec toute la belle et naïve simplicité des temps primitifs. Maria, dont la vie s'était passée à étudier les saintes Écritures, et qui savait toutes les belles choses que renferme ce livre, sentit une sorte de joie à travers toutes ses pensées amères, en se voyant dans la contrée où Ruth avait reçu le jour. Mais la fille de Youssouf, la chrétienne de Nazareth, malgré un vague sentiment de tendresse qu'elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver pour Médher, ne pouvait pas dire à Rama, comme autrefois la Moabite à Noémi : En quelque lieu que vous alliez, j'irai avec vous ; et partout où vous demeurerez, j'y demeurerai aussi; votre peuple sera mon peuple et votre Dieu mon Dieu; la terre où vous mourrez me verra mourir, et je serai ensevelie où vous le serez.

Un mois après l'enlèvement de Maria, les guerriers de la tribu de Maher prirent à la tribu d'Abad, après un combat d'où ils sortirent vainqueurs, quatre cents chameaux et cinquante chevaux. Parmi ces quatre cents chameaux, deux cents appartenaient à Rébéah, et parmi

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