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à une demi-heure à droite du chemin, gisent sur un vaste plateau des pierres de taille, des murs à demi enfouis dans la terre, des colonnes brisées, des chapiteaux, des corniches d'un beau travail; un portique orné de deux pilastres corinthiens s'élève au milieu des débris de cette antique cité; point d'arbres, point d'eau, pas un brin d'herbe, pas une habitation humaine parmi ces ruines; partout la solitude et le silence du désert. En arrivant au milieu de cette ville désolée, je vis un grand aigle fièrement posé sur le faîte du portique; ses ailes étaient à demi déployées, comme si l'oiseau avait voulu se tenir tout prêt à remonter dans l'espace; ses pénétrants regards s'attachaient à moi et me suivaient partout avec je ne sais quelle menaçante expression. Le grand aigle semblait me reprocher d'être venu troubler la paix de ces ruines, dont il s'était fait comme le gardien.

Je n'ai pas trouvé dans mes souvenirs le véritable nom de cette ville, et mon guide n'a pas su me dire non plus la dénomination que les gens du pays ont donnée à ces débris. Ne pourrions-nous pas croire que ces restes ont appartenu à Albar ou Albarie, cité mentionnée par les chroniqueurs de la première croisade (1)? Guillaume de Tyr place Albar à six milles de Marrah, et cette distance convient précisément à la situation de ces ruines. Un fait de la première croisade se rattache à Albarie. Tandis que les chefs de l'armée chrétienne soumettaient, après la prise d'Antioche, plusieurs villes de la Cilicie et de la Mésopotamie, Raymond, comte de Toulouse, jaloux aussi, dit le chroniqueur, de ne pas s'engourdir dans

(1) Bibliothèque des croisades, première partie.

l'oisiveté, partit d'Antioche avec un grand nombre d'hommes armés, et vint mettre le siége devant Albar. Cette ville, occupée par les Turcs, était très-fortifiée; mais les croisés l'attaquèrent avec tant de vigueur, que les habitants furent bientôt obligés de se rendre. Pierre de Narbonne, confesseur du prince Raymond, devint évêque de la ville d'Albar, et l'église de cette ville fut élevée à la dignité de métropole. Pierre de Narbonne fut, selon Guillaume de Tyr, le premier évêque latin donné à l'Orient depuis que les croisés avaient pénétré dans ce pays (1).

Je continuai ma route vers Hamah. A droite, à une distance de deux lieues, apparaît une longue chaîne de montagnes habitées par des ansariens; à gauche, c'est le désert, toujours le désert, avec sa physionomie monotone. On rencontre de temps à autre, sur le chemin, des villages détruits par l'armée égyptienne, en 1838. Trois heures avant d'arriver à Hamah, on laisse à gauche un caravanserai, appelé Kan-Schi-Kan, habité par une trentaine de familles musulmanes.

Hamah, l'ancienne Epiphania, est une charmante ville assise au penchant de deux collines, formant une large vallée, toute plantée de beaux arbres fruitiers. La vallée de Hamah, ouverte à l'orient et à l'occident, est traversée par l'Oronte, appelé Assi (le Rebelle) par les gens du pays. L'Oronte divise Hamah en deux parties : quatre ponts jetés sur le fleuve joignent les deux parties de la cité. Un grand nombre d'aqueducs se montrent sur les deux rives de l'Oronte. La ville de Hamah, se trouvant plus haute que le fleuve, est abreuvée au moyen

(1) Guillaume de Tyr, tom. I, chap. vi.

de grandes roues hydrauliques, dont l'une a jusqu'à soixante et dix pieds de diamètre. Ces roues élèvent l'eau à cinq ou six pieds au-dessus de leur hauteur, et la versent dans les aqueducs, qui la portent dans les divers quartiers de la cité. Ces machines hydrauliques font un bruit d'enfer en tournant : ce bruit est insupportable pour les étrangers qui n'y sont pas habitués. Mais ces immenses roues, ces longs aqueducs, ces eaux perpétuellement agitées, les maisons, les kiosques de Hamah, mêlés aux grenadiers à la fleur écarlate, aux pommiers, aux cerisiers, aux abricotiers de la vallée, produisent des paysages délicieux et pleins d'originalité. <<< Contemple la ville de Hamah et ses eaux répandues sur différents points,» a dit un poëte arabe, « le fleuve Rebelle fait tourner de nombreuses machines dont le mouvement est soumis à ses lois. >>

Hamah compte plusieurs bains publics, des kans, des bazars bien approvisionnés, des mosquées. Les maisons sont construites en terre ou en briques rouges cuites aux feux du soleil. La population de Hamah est de vingt-quatre mille habitants, dont six cents chrétiens; le reste est musulman. Les habitants de cette ville ont la réputation d'avoir beaucoup d'imagination; ils sont, dit-on, tous poëtes, et on les a surnommés les oiseaux parlants. C'est à Hamah que les hadji de Stamboul et de l'Anatolie achètent la toile pour faire les ihrams (voiles pénitentiels), employés pendant le saint pèlerinage de la Mecque.

Nous remontâmes à cheval, le 17 octobre, à midi. Au bout de cinq heures de marche, nous traversâmes l'Oronte sur un vieux pont de pierre. Le fleuve coule ici entre deux collines dépouillées d'arbres et très

rapprochées l'une de l'autre. Au sommet de la colline occidentale apparaît un petit village appelé Rastan; il occupe une partie de l'emplacement de l'antique Aréthuse, où fut martyrisé Marcus, évêque de cette ville. Saint Grégoire de Naziance a décrit les horribles tourments que le peuple d'Aréthuse fit subir au vénérable évêque.

Marcus avait livré à l'incendie et à la destruction un temple païen cher au peuple d'Aréthuse; la multitude fit éclater sa colère contre Marcus; celui-ci songea d'abord à prendre la fuite pour se dérober au courroux du peuple; ce n'était point par lâcheté, mais il se rappelait ces paroles de l'Évangile : « Quand on vous chassera d'une ville, allez dans une autre pour y enseigner la parole de Dieu. » Cette fuite ne fut pas longue; Marcus revint à Aréthuse, et se livra au peuple. L'arrêt de l'évêque fut bientôt prononcé; l'empereur Julien ne fit rien pour l'arracher des mains de la populace, quoiqu'il pût se ressouvenir que Marcus l'avait sauvé, à l'âge de six ans, de la vengeance de Constance, qui l'avait condamné à mort ainsi que son frère Gallus.

L'évêque d'Aréthuse fut traîné sur les places publiques; on se le passait de mains en mains, chacun lui adressait un outrage ou lui faisait subir une torture. Cette sanglante tragédie devint comme le passe-temps de la populace aréthusienne. A la fin, on enduisit son corps de miel, on l'éleva sur un pieux, et le vénérable évêque resta ainsi exposé à l'affreuse piqûre des guêpes et des abeilles sous les ardeurs du soleil de midi. Pas une plainte ne s'échappait de la bouche du martyr; il gardait sa sérénité au milieu des tourments. Du haut de l'arbre de douleur où Marcus était attaché, il contemplait

paisiblement les colères de la foule, et lui pardonnait. Cette calme résignation des martyrs dans les supplices est un bien touchant et bien magnifique spectacle de ces premiers temps de l'Église naissante. « Que sont les maladies les plus cruelles comparées aux flammes, a dit Sénèque, aux chevalets, aux lames rougies, à ces plaies faites par un raffinement de cruauté sur des membres déjà enflammés par des cruautés précédentes! Et cependant, au milieu de ces supplices, un homme a pu ne pas laissér échapper un soupir; il pu ne pas supplier: ce n'est pas assez encore, il a pu sourire et même de bon cœur ! » Tertullien nous a expliqué cette grandeur sublime des martyrs. « Quand l'âme est aux cieux, nous dit ce grand homme, le corps ne sent plus la pesanteur des chaînes; elle emporte avec soi tout l'homme! >>

Sept heures de marche conduisent de Rastan à Homs, cité bâtie au milieu d'une plaine dépouillée d'arbres; Homs, l'ancienne Émesse, est enfermée dans l'enceinte d'une muraille dont la circonférence est d'environ trois milles. Homs n'occupe pas tout l'espace entouré de murs; le côté oriental de la cité ne présente que des décombres. Pokoke a dit que les murs de Homs avaient été construits par les chrétiens de la première croisade; c'est une erreur: Homs n'a jamais appartenu aux croisés. On ignore l'époque précise de la fondation d'Émesse. Méhémet-Édib, auteur du Livre des Prières, rapporte que Homs ou Hams fut bâtie par Hams, fils de Mehr, de la tribu des Amalécites, et qu'elle en a conservé le nom. Le même auteur ajoute que Homs est un lieu de bénédiction, et l'une des cités du paradis. Ce titre aurait mieux convenu à Hamah, ville bâtie au milieu de jardins

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