Obrazy na stronie
PDF
ePub

tés par des serviteurs de M. Delsignore. Notre médecin devint notre ami, et nous avons été établis chez lui comme nous l'aurions été dans notre propre demeure. Nous avons reçu, pendant douze jours, son affectueuse hospitalité. Pendant tout ce temps, aucun soin, aucune attention ne nous a manqué, et nous avons réparé nos forces épuisées. Je garderai un éternel souvenir des touchantes bontés de M. Delsignore pour moi. Je voudrais aussi que madame Delsignore, gracieuse et charmante Italienne des bords de l'Arno, sût toute la profonde reconnaissance que mon cœur lui garde pour ses soins si généreux et si bienveillants.

Je ne veux pas oublier de vous dire que nous avons congédié, à Alep, Piétro, le drogman de Hafiz-Pacha. Nous avons trouvé ici un jeune Arabe du Sennaar, appelé Ibrahim. Cet Arabe sait un peu d'italien; il a déjà accompagné deux ou trois voyageurs européens, en qualité de domestique et d'interprète. Ibrahim est un curieux personnage dont je voudrais vous esquisser le portrait; il n'a aucune proportion dans ses formes: le buste, excessivement maigre et très-court, contraste avec les bras, les mains, les jambes et les pieds, qui sont d'une longueur démesurée. La tête est petite et pointue; la couleur noirâtre de son visage fait ressortir l'éclatante blancheur de ses dents. Son front est étroit, déprimé, et ses petits yeux noirs sont enfoncés dans leur orbite. Quand il parle, sa figure n'est qu'une horrible grimace: la créature humaine a fait place dans Ibrahim à je ne sais quel étrange animal. La première fois qu'on me présenta mon nouvel interprète, je le pris pour un orang-outang. Tel est ce compagnon, ce drogman, qui doit nous suivre au désert de Palmyre.

D'ALBAR.

LETTRE XXV.

MARRAH; SIÉGE DE CETTE VILLE PAR LES CROISÉS. -R VES HOMS. RECRUTEMENT DE L'ARMÉE ÉGYPTIENNE. PRÉPARATIFS POUR NOTRE VOYAGE A PAL

HAMAH.

[ocr errors]

MYRE.

A MON FRÈRE.

Homs, 19 octobre 1837.

Nour partimes d'Alep le 10 octobre, à trois heures après-midi; nous nous dirigeâmes au sud. A notre droite s'étendaient de beaux vergers d'oliviers, de pistachiers, des plantations de vignes; à notre gauche, le vaste et sombre désert de Palmyre. Au bout de deux heures et demie de marche, nous passâmes à Kan-Touman, grand caravanserai à moitié ruiné, où se reposent les voyageurs. De Kan-Touman à Marrah, on compte quinze lieues: on rencontre à mi-chemin un pauvre village, appelé Sermin, bâti sur l'emplacement de l'antique Thelmenissus. Ce bourg est entouré de nombreuses grottes creusées au ciseau dans le rocher.

La ville de Marrah est située sur un plateau du haut duquel le regard se promène sur une plaine immense et déserte. Marrah, cité florissante au temps de la première croisade, ne présente aujourd'hui qu'un aspect désolé; elle n'est habitée que par quinze cents familles

musulmanes. Les murailles, les tours, les bastions de Marrah ont été détruits de fond en comble par la guerre et les tremblements de terre. Les fossés de Marrah, jadis si profonds, si redoutables, sont maintenant comblés.

M. Michaud a raconté, dans le troisième livre de son Histoire des Croisades, le siége et la prise de Marrah par l'armée chrétienne; il a dit comment la possession de Marrah donna lieu à de graves querelles entre Raymond, prince d'Antioche, et Bohémond, comme de Toulouse, et comment le peuple croisé renversa la ville pour terminer les contestations des deux princes chrétiens. Mais il est des détails curieux, touchant le siége de Marrah, qui n'ont pu entrer dans le récit de l'illustre historien, et ces détails, je les rapporterai ici.

Guillaume de Tyr, voulant justifier les cruautés de l'armée chrétienne après la prise de Marrah, dit que les habitants de cette ville se montraient orgueilleux, à cause de leurs richesses, et étaient devenus d'une extrême arrogance depuis qu'ils avaient battu plusieurs chrétiens dans une rencontre. Mais ce qui excita surtout la colère des soldats de Jésus-Christ, c'est que les Sarrasins de Marrah avaient planté des croix sur les remparts de leur ville, et avaient couvert de boue et d'immondices les signes sacrés de notre rédemption. Les chrétiens eurent beaucoup à souffrir durant le siége de Marrah; aussi. usèrent-ils de la victoire avec toute la fureur de la vengeance. Le chroniqueur Robert, témoin oculaire, nous a laissé une horrible peinture du massacre des habitants, et le sang-froid du narrateur ajoute encore à l'atrocité des détails qu'il donne.

« Les nôtres, dit-il, parcouraient les rues, les places

[blocks in formation]

publiques, les toits des maisons, se rassasiant de carnage, comme une lionne à qui on a pris ses petits; ils taillaient en pièces et mettaient à mort les enfants, les jeunes gens, les vieillards courbés sous le poids des années; ils n'épargnaient personne, et, pour avoir plutôt fait, ils en pendaient plusieurs à la même corde. Chose étonnante! spectacle merveilleux! ajoute le chroniqueur, de voir cette multitude si nombreuse et si bien armée se laisser tuer sans se défendre ! Les croisés s'emparaient de tout ce qu'ils trouvaient; ils ouvraient le ventre des morts (ô détestable amour de l'or!), et en tiraient des byzantins et des pièces d'or; toutes les rues étaient jonchées de cadavres, et des torrents de sang coulaient de toutes parts. O nation aveugle et destinée à la mort! croirait-on que parmi cette grande multitude d'hommes, il n'y en ait pas eu un seul qui voulût confesser la foi de Jésus-Christ? Bohémond fit venir tous ceux qu'il avait fait enfermer dans la tour du château, et ordonna de tuer toutes les vieilles femmes, les vieillards décrépits et tous ceux que la faiblesse de leur corps rendait inutiles; il fit réserver les hommes vigoureux les jeunes filles furent emmenées à Antioche pour y être vendues (1). »

Le siége d'Antioche, qui avait duré si longtemps, et plus tard le siége des autres villes de Syrie, avaient épuisé les ressources du pays. La plupart des habitants s'étaient sauvés dans les montagnes, emmenant avec eux leurs troupeaux. La conquête de Marrah avait attiré de grandes misères sur les croisés : dès le commencement des belliqueuses opérations, la disette fut si grande, que

(1) Bibliothèque des croisades, première partie.

plus de dix mille chrétiens erraient dans les champs comme des troupeaux, fouillant la terre, pour trouver quelques grains de froment, d'orge ou de fèves. La famine se fit surtout sentir après le siége : les pèlerins en vinrent jusqu'à manger les cadavres des Sarrasins, qui tombaient en putréfaction. Les infidèles disaient alors : « Qui pourrait résister à cette nation de Francs, si obstinée et si cruelle? Pendant un an, elle n'a pu être détournée du siége d'Antioche ni par la famine, ni par le glaive, et maintenant elle se nourrit de chair humaine! » C'est ici, comme l'a dit M. Michaud, que les réflexions des chroniqueurs sont beaucoup plus curieuses que les événements qu'ils racontent. « Chose étonnante et horrible à dire et à entendre! » s'écrie Albert d'Aix, « non-seulement les chrétiens mangèrent des Sarrasins, mais encore des chiens cuits! » Baudri, archevêque de Dol, dit qu'on ne doit pas faire un crime aux croisés d'avoir mangé des musulmans, parce qu'ils souffraient la faim pour la cause de Dieu, et que par ce moyen-là ils continuaient à faire la guerre aux infidèles avec leurs mains et avec leurs dents. Raoul de Caen rapporte que les chrétiens firent bouillir de jeunes Sarrasins, et mirent des enfants à la broche: imitant les bêtes féroces, ils dévorèrent des hommes qu'ils avaient fait rôtir. « Mais, ajoute Raoul, ces hommes étaient comme des chiens. » Enfin, Foucher de Chartres s'exprime de la manière suivante : « Les croisés, transportés de rage par l'excès de la faim, coupaient les cuisses des Sarrasins déjà morts, et les dévoraient d'une dent cruelle, SANS LES AVOIR FAIT SUFFISAMMENT RÔTIR. >>

Une distance de huit lieues sépare Marrah de Hamah. La route va du nord au sud. A deux heures de Marrah,

« PoprzedniaDalej »