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rivière soient potables, les habitants préfèrent celles des fontaines de Haïlan, village situé à deux heures au nord-est de la cité. Ces eaux sont amenées à Alep par des canaux, tantôt au niveau de la terre, tantôt souterrains. Ces canaux aboutissent à toutes les fontaines et à tous les bains de la ville. On pense à Alep que ce sont les eaux de Haïlan qui donnent cette singulière maladie appelée par les gens du pays habab-el-séné (ulcère d'un an); par les Européens, bouton d'Alep. Les habitants d'Alep ont une fois dans leur vie, une fois seulement, le habab-el-séné. Les étrangers qui séjournent à Alep quelques semaines n'échappent point à la maladie; si elle ne vient pas dans six mois, elle viendra dans six ans, dans vingt ans : il faut qu'elle paraisse. Un voyageur anglais, nommé Hamilton, eut le bouton d'Alep à Londres, dix-huit ans après avoir quitté la Syrie. Le habab-el-séné se montre indistinctement sur toutes les parties du corps, mais il choisit particulièrement le bout du nez, les joues et le front. On rencontre dans les rues d'Alep une infinité de personnes qui ont eté défigurées par le bouton. Quand il n'y en a qu'un seul, on le nomme bouton mâle; quand il y en a plusieurs, ce qui arrive fort souvent,' on l'appelle bouton femelle. Le habab-el-séné paraît d'abord petit comme la tête d'une épingle; il se développe pendant neuf mois et prend la grosseur d'une noix; il suppure pendant dix mois environ, puis une croûte se forme au bout d'un an, à partir du jour même où le bouton est né. La croûte tombe et laisse une marque qui ne s'efface jamais (1).

(1) Mon séjour à Alep ou dans les environs de cette ville n'a été que d'un mois, et le terrible habab-el-séné n'a pas man

Les indigènes ne font aucun remède pour guérir le bouton: ils le regardent comme un excellent préservatif contre les maladies, comme un gage de santé. Nous ne saurions attribuer le bouton aux eaux de Haïlan, puisqu'il est endémique, non-seulement à Alep, mais à Aïntab, à Horeroun-Kala, village situé à douze lieues au nord de cette dernière ville. Le bouton existe aussi dans plusieurs villes du Diarbékir où certainement les eaux ne doivent pas avoir la même qualité que celles du Chalus et celles des fontaines de Haïlan. Il est à désirer que la science médicale fasse une étude approfondie de ce bouton d'Alep, qui jusqu'à ce jour est resté une bizarrerie inexplicable.

Il y a une quarantaine d'années que la ville d'Alep était encore, après Stamboul et le Caire, la place la plus importante de l'empire ottoman. Par sa position géographique, Alep était devenue comme l'entrepôt général de toutes les marchandises de la Perse, de l'Inde et de la Turquie. Les marchandises de l'Europe et celles du nouveau monde lui arrivaient par les ports d'Alexandrette et de Lataquié. Quatre caravanes partaient chaque année d'Alep pour les principales villes de l'Asie, et des caravanes de l'intérieur de la Perse venaient lui apporter deux fois par an les trésors de ces riches contrées. Alep échangeait les productions de la Palestine, de la Syrie, de l'Asie Mineure, de l'Europe et de l'Afrique, contre les productions des pays les plus lointains de l'Asie. Alep était à cette époque, a dit un poëte

qué de m'atteindre. J'ai eu un bouton sur chaque poignet et un sur le coude du bras droit. Ces trois boutons se montrèrent quatre mois après que j'eus quitté Alep.

arabe, le bazar de l'univers; les diverses marchandises que la ville recevait en un seul jour pouvaient à peine, dans l'intervalle d'un mois, trouver un débouché facile au Caire et à Damas. Cet immense commerce avait fait donner à Alep le surnom de Nouvelle Palmyre. Dans ses beaux jours, Alep comptait douze mille métiers de tout genre, cent fabriques de fil d'or, un grand nombre de teintureries, de savonneries et de tanneries. Après avoir été la Palmyre des temps modernes, Alep, comme ville de commerce, est devenue presque semblable à la cité abandonnée dont parle Isaïe: Elle a été délaissée comme la hutte après la saison des fruits, comme une cabane dans un champ de concombres, comme une ville ruinée. Les caravanes de la Perse qui lui apportaient jadis des soies, des mousselines, de la rhubarbe, des parfums, des pendants d'oreilles, des colliers, des perles, des diamants qui ornaient le front des reines et des sultanes, ces caravanes, dis-je, qui apportaient à Alep tant de richesses, se réduisent maintenant à une douzaine de chameaux qui arrivent chargés de toumbéki, feuille exotique qu'on fume dans le narguillé.

Quelles sont les causes de l'anéantissement total du commerce à Alep? Ces causes sont faciles à expliquer. Le premier coup porté à la prospérité de la nouvelle Palmyre fut, vers la fin du xve siècle, la découverte du cap de Bonne-Espérance, qui ouvrit par mer un chemin entre l'Europe et les Indes orientales. Avant l'importante découverte de ce passage, la Méditerranée et Alep étaient les seules routes suivies par les marchands. Les Anglais ont établi sur le golfe Persique et à Bagdad de fortes maisons de commerce qui accaparent toutes les marchandises jadis destinées à Alep. Cette

ville, n'étant plus le grand marché des richesses de l'Orient, a cessé d'être visitée par le commerce des contrées environnantes. L'Asie Mineure a oublié les chemins d'Alep, et c'est à Smyrne, à Erzeroum, qu'elle porte les productions de son sol, les tributs de son industrie; Damas et Beyrouth reçoivent les marchandises de la Palestine et de la Syrie.

La décadence du commerce d'Alep devait naturellement entraîner la dépopulation. En 1797, le voyageur anglais Brown trouva à Berræ deux cent mille habitants, dont mille Grecs, six mille Arméniens, quatre mille Maronites, cinq mille juifs et le reste musulman. En 1819, M. Rousseau, consul de France à Alep, ne trouva plus qu'une population de cent cinquante mille habitants. On ne compte aujourd'hui dans l'ancienne capitale de la Syrie que soixante et dix mille âmes, offrant un mélange de toutes les sectes répandues en Orient. Cependant Alep pourrait se suffire à elle-même par l'agriculture: les vastes jardins qui s'étendent au nord, au couchant et au midi, donneraient toutes sortes de productions. Depuis la conquête de la Syrie par Ibrahim-Pacha, les habitants cultivent peu la terre, parce que les soldats égyptiens et le gouvernement lui-même leur enlèvent le fruit de leurs peines. Donnez un bon gouvernement au peuple d'Alep, et on verra disparaitre la misère qui le ronge maintenant.

Voici quelques détails qui pourront donner une idée du mouvement commercial entre la Syrie et la France. Chaque année, Marseille, cette ville déjà si riche et si florissante et qui pourra le devenir davantage, si la France soutient son antique prépondérance dans le Levant; chaque année, Marseille, disons-nous, expédie

POUJOULAT.

T. II.

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en moyenne, pour la Syrie, quatorze bâtiments d'un tonnage moyen de cent soixante et dix tonneaux; neuf environ pour Beyrouth, deux ou trois pour Alep, trois ou quatre pour Tripoli. En valeurs, les expéditions de Marseille pour le littoral syrien peuvent être évaluées à près de quatre millions, et se composent en majeure partie de draps sortis de nos fabriques du Languedoc, de bonnets ou de bournous, fournis par nos fabriques d'Orléans, de denrées coloniales, de soieries, de drogueries, quincailleries, etc. Nos retours se forment de soies gréges, coton et laine, tissus de l'Inde, safran, noix de galle, perles fines, etc., et s'élèvent à environ six millions. Le numéraire comble la différence. Comme on le voit, le mouvement d'affaires s'élève à dix millions de francs. On estime qu'il était d'un tiers en plus il y a vingt ou trente ans. Que deviendra notre commerce en Syrie, si la France ne garde pas son influence dans cette contrée, si des nations rivales viennent nous remplacer sur ces rivages où nos pères s'établirent victorieusement?

En arrivant à Alep, nous étions descendus dans le monastère latin, où tout voyageur européen reçoit l'hospitalité; nous étions faibles et malades: les fatigues, les privations de la route, nous avaient cruellement éprouvés. Nous fùmes obligés d'appeler un médecin au secours de notre santé délabrée. Un docteur franc, M. Delsignore, vint nous visiter. Notre installation au couvent ne lui ayant pas semblé assez commode, assez douce, il nous offrit aussitôt sa propre maison; et telle était son obligeance, telle était la vive sincérité de ses paroles, qu'un refus de notre part aurait été presque un ou trage: en quelques instants, nos bagages furent empor

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