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quilibre de son âme. Plus scientifique que le stoïcisme, il portait volontiers l'âme humaine vers ce que l'étude peut lui donner de consolant. Au lieu d'emprisonner l'intelligence, il lui ouvrait ces espaces infinis que les sciences occultes ont la prétention de lui faire parcourir : il penchait vers la magie; il admettait la philosophie des nombres 2, cet enfantillage de la pensée, par lequel tant de grands esprits se sont laissé séduire; il rêvait les visions et les prodiges, et, en ce siècle superstitieux, quelques âmes plus pures aimaient à trouver là, sous le nom de philosophie, une superstition de plus.

Ces deux écoles, disons mieux, ces deux influences, car il n'y avait pas d'écoles constituées, contenaient les destinées futures de toute la philosophie païenne. Cette intelligence sévère et précise du devoir, telle que l'avaient dévoloppée les stoïciens, embellie et adoucie par quelque chose de plus religieux et de plus noble, devait aboutir au stoïcisme d'Épictète et de Marc-Aurèle, glorieuse école non de philosophes, mais de moralistes. Cette théurgie pythagoricienne, élevée, malgré ses puérilités superstitieuses, à une puissance toute nouvelle de conception philosophique, devait, au bout de deux ou trois siècles, produire ce néo-platonisme d'Alexandrie, dernière lueur de l'hellénisme et de la philosophie mourante, dernier soutien et dernier apologiste du polythéisme depuis longtemps condamné.

Mais ce travail ne devait s'opérer qu'après de longues années. Dans l'atonie philosophique qui suivit les guerres

1. Le philosophe Arcesilas exilé pour cause de magie, sous Auguste. 2. Sur la philosophie des nombres, V. Porphyre, in Vitd Pythag., 32, 53; Plutarq., de Delphico; Gellius, III, 10; Macrobe, in Somnio Scipion., I, 5, 6; Hierocles, Curmen aureum; Tennemann, Hist. de la philosophie, 4e période, II, 2, § 4.

civiles de Rome, les traces du pythagoréisme et du stoïcisme, comme celles de toute philosophie, sont rares et obscures. Nous allons tâcher de démêler un rayon de lumière au milieu des ténèbres d'un siècle inintelligent, de rechercher le filon inaperçu qui nous mènera jusqu'à une mine plus abondante, de rattacher les uns aux autres des noms sans gloire et d'obscures générations de philosophes, pour montrer dans les docteurs futurs de l'école d'Alexandrie les descendants éloignés des grands maîtres de la Grèce.

Le stoïcisme politique des Tubéron et des Brutus avait été vaincu à Pharsale. César, qui régnait sous le nom de dictateur, offrit le laticlave à un homme que sa naissance appelait à suivre la carrière des honneurs : Quintus Sextius le refusa pour se jeter dans la philosophie'. Sextius, dit Sénèque, philosophait avec le cœur d'un Romain, avec le langage d'un Grec. Il ne professait, n'argumentait, ne disputait pas 2; dans ses écrits mêmes, il agissait et il vivait. L'homme le plus sage, disait-il, doit être, comme une armée en marche, toujours prêt à combattre l'ennemi. L'ambition comme l'énergie romaine ne laissait pas que de lui être restée au cœur, et, dans son regret de ces honneurs qu'il avait abandonnés, il fut un moment sur le point de se jeter à la mer 3. Mais la philosophie lui apprenait à vivre. Le pythagoréisme lui avait enseigné la frugalité, et cette pratique pieuse transmise par le maître de

1. Senec., Ep. 98.

2. Virum acrem, græcis verbis, romanis moribus philosophantem. (Senec., Ep. 59.) Alii instituunt, disputant, cavillantur... vivit, viget, liber est, suprà hominem est. (Ep. 64.)

3. Plutarq., Quomodò sentias te proficere.

4. «Il s'abstenait de la chair des animaux, non pour la même cause que les Pythagoriciens qui croyaient à la métempsychose, mais par crainte d'être cruel, et parce que les aliments végétaux suffisent, » Senec., Ep. 108.

Samos à ses disciples, de se retirer tous les soirs dans le secret de son âme, d'interroger sa conscience, de repasser et de juger toutes les actions et toutes les pensées du jour1. D'un autre côté, le stoïcisme, (quoique ce mélange de traditions diverses fit contester à Sextius le titre de stoïcien 2), le stoïcisme lui enseignait cette orgueilleuse doctrine que Jupiter n'est pas plus puissant que l'homme de bien 3. Sextius et son fils, qui philosopha après lui sous le règne d'Auguste, formèrent une école pleine, à son principe, de zèle et de vigueur, mais bientôt éteinte par la lourde et inintelligente influence que répandait le trône des Césars 4.

1. De Irâ, III, 36.

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2. Magni viri, et, licet negent, Stoici. (Ep. 64.) Il disait, en effet, comme les stoïciens, « que Jupiter n'est pas plus puissant que le sage. » Ep. 72.

3. Ep. 73.

4. Sextiorum nova et romani roboris secta, cùm magno impetu cepisset, inter initia ipsa exstincta est. (Senec., Natur. quæst., VII, 32,) — Un jour, pour prouver que lui aussi, s'il eùt voulu, il aurait pu s'enrichir, il fit sur l'huile une spéculation heureuse et rendit ensuite l'argent qu'il avait gagné. « Iratis, aiebat, profuit aspexisse speculum. » (Senec., de Irâ, II, 36.) V. encore, sur les Sextii, Pline, Hist. nat., XVIII, 28; Sénèque le père, Contr., II, præf. Burigny, Mémoire de l'Académie des inscriptions, t. XXXI, (1761).

Autres philosophes du temps d'Auguste: Aréus ou Arius, philosophe d'Auguste. (Senec., ad Marciam, 4, et Dion, LII, p. 491. V. ci-d. tome III, p. 224.)- Athénodore de Tarse, stoïcien, cité par Strabon; ami de Cicéron (Attic., XVI, 14); histoire d'un fantôme qui lui apparut (Pline, Ep. VII, 27); il donne des leçons à Auguste, à Apollonie; son influence sur l'esprit d'Auguste; témoignage que lui rend Mécène (Dion, ibid. Julian., de Cas. Zosime, Elien, Senec.); son trait de hardiesse vis-à-vis de l'empereur (Dion, LVI, p. 598); il obtient, dans sa veillesse, la permission de retourner à Tarse (Plutarq); son rôle politique dans cette ville (Strabon. Dion Chrysost., in Tars.); il meurt à 82 ans et est déifié par les Tarsiens (Lucien Macrobi). Ses ouvrages des Catégories, contre Aristote; de la Logique (Diog. Laert., III); des Devoirs, dont Sénèque cite deux passages; de la Noblesse Cic., Fam., III, 7); du Travail et du Délassement (Athénée); de la Divination (Diog. Laert.); de la Nature des fautes, contre les stoïciens; des Epidémies (Plutarq.); les Promenades (Diog. Laert.); Histoire de Tarse (Steph.

Nous lisons cependant que Sotion et Fabianus furent au nombre de ses auditeurs. Fabianus, rhéteur plus que philosophe, écrivit cependant, à ce que l'on rapporte, plus de livres de philosophie que Cicéron. Il nous est représenté comme un homme dont le visage était plein de douceur, l'éloquence simple, élégante, facile, la science étendue, la pensée rapide, concise, élevée; quoique rhéteur, moraliste sérieux, ennemi des vices de son époque, ennemi surtout de son esprit déclamatoire et de sa philosophie théâtrale 1. Sotion 2 se rattachait au pythagoréisme; il le fit aimer à Sénèque encore enfant, il enseignait la métempsychose, et soutenait que rien ne périt dans le monde, mais que tout, au contraire, subit d'éternelles et constantes révolutions, tandis que Fabianus, avec les stoïques, croyait à l'embrasement universel.

Attale le stoïcien nous est mieux connu. Il vit un jour passer les dépouilles d'une ville prise que l'on portait en triomphe. Il trouva le cortége bien court : « Toute cette richesse, dit-il, ne remplit pas une journée; devrait-elle remplir notre vie 3? » Ne demandez pas à cette philosophie une logique plus suivie, une spéculation plus haute; elle tenait école, non pas de science, mais de vertu : elle ne professait pas, elle prêchait. Elle prêchait la probité, le Byzant.). V. Hoffmann, de Athenodoro Tarsens. Dissertation de l'abbé Sevin, Acad. des inscript., t. XIII, (1737). Un (autre?) Athénodore était ami de Claude dans sa jeunesse (Suet., in Claud., 4.) Un des livres d'Athénodore était dédié à Octavie, sœur d'Auguste. Plutarq.

Un Q. Septimius tenait école de philosophie sous Auguste. Suet., de Illustr. grammat., 18. Horace, Ode II, 6; Ep. I, 9.

1. V., sur Papirius Fabianus, Sénèque le père, Controv., præf. Sénèque, de Brev. vitæ, 10, 14; Ep. 11, 40, 52, 58, 100, 101; Natur. quæst., III, 27. Pline, Hist. nat., XXXVI, 15.

2. (An de J.-C. 14. Hieron., ad Euseb. chronic.) V., sur Sotion, Eusèbe, ibid.; Senec., Ep. 49 et 108; Gellius, I, 8. Il était d'Alexandrie et il avait fait un traité de la colère. Eusèbe, Stobée.

3. Senec., Ep. 110.

courage, la force, la frugalité, la tempérance à ce siècle lâche, sensuel et fastueux. Elle imposait d'austères observances, l'abstinence de la chair, la dureté de la couche, la renonciation aux délices de la table. Ce n'était pas une raison puissante, c'était une déclamation éloquente et honnête. Les disciples venaient autour de cette chaire; les uns simples curieux, amateurs de rhétorique, qui notaient sur leurs tablettes les beaux mots et les phrases sonores; les autres qui prenaient au sérieux l'homme et la vertu, qui se pressaient autour du maître, l'interrogeaient, sortaient de ces entretiens plus courageux, plus tempérants, plus amis de la pauvreté, et prenaient en pitié le genre humain și inférieur à un seul homme 1. L'orgueil, en effet, était au fond de cette vertu. Le philosophe Attale disait fièrement qu'il était roi, pendant que la police de Séjan, qui spéculait sur les vices et gouvernait par le désordre, inquiète de cette insurrection de la vertu, commençait à soupçonner le philosophe et à manœuvrer autour de lui.

Voilà ce qu'il y avait de philosophie sous Tibère. Je laisse de côté l'influence platonicienne représentée à Alexandrie par le juif Philon qui se sert du platonisme pour expliquer et pour défendre la religion de Moïse : travaux propres au judaïsme, dont Rome pouvait ressentir, mais dont elle n'avouait pas l'influence. Pour Rome et pour le monde, les noms presque inconnus de quelques moralistes épars, un certain mélange de la morale pratique du stoïcisme avec l'esprit d'observance des pythagoriciens, des lambeaux de science et d'une science souvent

1. Ep. 77, 108.

2. Sénèque le père, Suasoria, II. quæst., II, 50; Ep. 9, 72, 110.

V. encore sur Attale, Senec., Nat «La mémoire des amis morts, disait-il,

est comme un fruit un peu amer, mais qui finit par plaire, ou comme un vin vieux dont le temps finit par ôter l'aigreur.» (Ep. 63.)

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