Obrazy na stronie
PDF
ePub

Jules César, deux hommes avaient été sacrifiés au Champ de Mars; et Octave, dans Pérouse, avait offert aux månes non encore apaisés de son père un holocauste de trois cents sénateurs et chevaliers immolés en forme de victimes le jour même des ides de mars et à l'autel du dieu César 2.

Aux sacrifices humains répondaient les prostitutions religieuses, tout à fait libres sous la domination romaine. Cette coutume, que nous retrouvons jusque dans les Indes, l'Afrique, la Syrie 3, l'Égypte, Babylone, l'Asie Mineure, la Grèce 5, le monde païen tout entier nous en a fait voir le honteux souvenir. Ici la femme doit une fois au moins en sa vie consacrer à Milytta le prix de son infamie; ailleurs, il y a une Vénus prostituée (пóр, návμg) dont le temple est gardé par les courtisanes. On compte les lieux ainsi sanctifiés par la débauche : l'île de Chypre; le mont Éryx en Sicile ; Corinthe surtout où plus de mille courtisanes, consacrées à Vénus par la piété de ses dévots, veillent sur le temple de la déesse 7; où par elles on croit obtenir la protection céleste; où se lisent encore les vers de Simonide, dans lesquels la Grèce, sauvée des mains de Xercès, rend grâce de son salut aux prostituées 3.

N'est-ce pas assez? Faut-il parler des mystères, et, après avoir montré ce que la religion publique mettait au jour,

Pline; et plus tard sous Domitien. V. Pline, Hist. nat., XXVIII, 2 (3); Plutarq., in Marcello, 3; Quæst. rom., 83; Orose, IV, 13. Pline et Plu

tarque en parlent comme d'un fait contemporain.

1. Dion, XLIII, 24.

2. Suet., in Augusto, 15.

3. Lucien, de Deâ Syrå. Herod., II. Eusèbe, de Vit. Constant., III, 55. 4. Herod., I, 182.

5. Herod., I, 199. Baruch, VI, 42, 43. Pour une époque postérieure, Strabon, XVI.

6. Justin, XVIII, 5. Strabon, VI, 2.

7. Athénée, XIII, 4. Strabon, VIII, 6. 8. Id., ibid.

faire voir ce qui, en une telle corruption, avait encore besoin de voiles. La fin et le but des mystères à cette époque, leur grand arcane, leurs traditions et leurs cérémonies impures nous sont révélées par des hommes qui, euxmêmes païens et initiés, ont fini par être éclairés de la lumière divine, et, affranchis par elle, ont dit sans crainte les infâmes secrets de leur servitude 1. Quelques mots des païens suffiront du reste pour nous éclairer : « Quel autel, dit Juvénal, n'a aujourd'hui son Clodius 2 ? » — « Ne te fais pas initier aux Bacchanales, ta réputation, ton honneur, tes mœurs y vont périr. » C'est une courtisane qui parle ainsi à son amant 3. « J'ai honte de raconter, dit Diodore de Sicile, la naissance d'Iacchus, qui est le fondement des mystères Sabaziens. » Faut-il en dire plus? dire ce qu'a encouragé Platon, ce que Théocrite a chanté? peindre enfin cette universalité d'hommages infâmes envers tous les dieux, même envers les dieux animaux qu'adorait l'Égypte *?

A cet égard, sans aucun doute la religion était pire que l'homme; elle commandait le crime, et cette dette n'était pas acquittée sans répugnance. Sous le toit domestique, la jeune Athénienne était modeste et voilée; mais au temple,

1. V. Clém. Alexandr., Protreptikon, 2; Arnobe, Adv. gentes, 5; Théodoret, Disp. I. La tradition, rapportée par saint Clément au sujet de Cérès et de Proserpine, me paraît remarquablement confirmée par les vers suivants de Lucain qui seraient alors comme une demi-révélation du secret des mystères :

Eloquar, immenso terræ sub pondere quæ te
Detineant, Ennæ, dapes, quo fœdere mæstum
Regem noctis ames, quæ te contagia passam
Noluerit revocare Ceres....

2. VI, 345. V. t. I, p. 85.

3. Tite-Live, XXXIX.

(Phars., VI.)

4. Athénée, Deiphnosoph., XIII, 20. Hérodote, II, 46. Strabon, XVII.

il fallait qu'elle jouât son rôle dans les infâmes phallophories, qu'aux fètes de Cérès elle chantât ces hymnes comparés par un écrivain aux chants qui peuvent s'entendre dans un lieu de débauche 1. La matrone romaine était austère et grave; mais aux jours des mystères de la bonne déesse, ou de telle autre fête, il fallait, dit saint Augustin, que la mère de famille fit au temple ce qu'au théâtre elle n'eût pas voulu regarder jouer par des courtisanes. Pauline, cette noble et vertueuse dame, venant au temple d'Anubis pour obéir aux ordres de ce dieu, croyait certainement faire acte de religion; et l'impureté, si nous en croyons un moderne, présidait au culte même des chastes Vestales. Le temple était donc plus impur que la famille, que la cité, que le théâtre. «Rendons grâces aux acteurs, dit le Père de l'Église que nous citons, de ne pas montrer à nos yeux ce qui est caché dans l'ombre du sanctuaire, de ne pas admettre sur la scène des ministres pareils à ceux de la religion, d'être, en un mot, plus réservés sur les tréteaux que le prêtre dans son temple 3. »

Pourquoi donc le sens honnête de la famille, l'intérêt moral de la cité, la raison du philosophe, blessés par cette tyrannie du vice, n'osaient-ils pas se révolter? Y eut-il jamais époque si infâme, où le père prit plaisir à corrompre sa fille, l'époux à prostituer son épouse? D'où venait cette dépravation pour ainsi dire surnaturelle ajoutée à la dépra

1. Clecmedes, de Meteoris, II.

[ocr errors]
[ocr errors]

2. V. Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, II, 2. Lisez aussi un passage de Pline, Hist. nat., XXVIII, 4. 3. Saint Aug., de Civit. Dei, VII, 21. V., pour des faits tout pareils, Hérodote, Théodoret, saint Clément, Plutarque, du Désir des richesses, Diodore de Sicile, et les emblèmes religieux trouvés à Pompeii. Les cérémonies de ce genre se célébraient surtout en l'honneur de Bacchus et de Cérès. Sur la corrélation de ces deux cultes, V. S. Aug., ibid., VII, 16, confirmé par les détails que donnent les écrivains antiques, comme aussi par les inscriptions de Pompeii.

vation naturelle du cœur humain? Pourquoi le philosophe Aristote, dont la raison s'indigne de ces excès et qui chasse de la cité toutes les images obscènes, en excepte-t-il celles des dieux? Pourquoi, quand il s'agit de leurs honteuses fêtes, se contente-t-il d'en exclure la jeunesse, sans oser les supprimer tout à fait? Lui-même en donne la raison : << Parce que les dieux veulent être honorés ainsi. »

«

Quels étaient donc ces dieux, quelles étaient ces puissances occultes qui commandaient le sacrifice humain et la prostitution, le meurtre et le déshonneur? L'Écriture nous répond: Omnes dii gentium dæmonia 2. L'idolâtrie n'était donc pas seulement un caprice de l'esprit humain, une conséquence naturelle ou fortuite des égarements de l'intelligence et du cœur. Elle avait une cause extérieure, active, tyrannique, régnant dans les âmes, adorée dans les temples, mise en un mot en pleine possession du monde. <«< Tous les royaumes de la terre me sont livrés, dit le tentateur, et je les donne à qui je veux 3. »

Ainsi la dévotion et la religion païenne, non-seulement étaient sans pouvoir pour enseigner, pour encourager, pour commander la vertu; mais encore, le plus souvent, elles excusaient, elles aidaient, elles commandaient le vice.

Et cependant tout n'était pas tellement vicié sous la loi païenne, que certains penchants honnêtes n'y rencontrassent une ombre de satisfaction; que le polythéisme, si puissant par sa correspondance avec les mauvaises inclinations de notre nature, ne trouvât aussi une certaine force dans ses rapports avec de plus nobles instincts. Comme l'a fort bien dit M. de Maistre, dans le paganisme

1. Politic., VII, 17. 2. Psalm., XCV, 5. 3. Luc, IV, 5 et 6.

tout était corrompu plus encore que mauvais; la tradition du bien ne devait jamais être complétement perdue; l'homme fait à l'image de Dieu devait toujours garder quelque souvenir de sa divine origine.

Je l'ai dit ailleurs; non-seulement l'homme déchu et condamné trouvait en lui-même une crainte instinctive qu'il fallait apaiser, la peur d'un dieu ennemi dont il fallait acheter la clémence, l'effroi de la mort pour laquelle il fallait obtenir un délai, toutes les misères, en un mot, et toutes les faiblesses d'une âme craintive et flétrie ; mais encore l'homme, sorti des mains de Dieu, se sentait ramené vers son auteur par de plus nobles pensées. Quand il avait commis une faute, il lui fallait un secours pour se croire réconcilié avec le ciel et pour que ses remords ne fussent pas éternels. Quand il avait perdu son ami, il lui fallait la douce consolation de demander, et de croire qu'il pouvait obtenir, le repos pour ces mânes chéris qui venaient dans la nuit voltiger autour de sa couche. Quand sa parole était reçue avec défiance, il lui fallait une puissance suprême qu'il pût prendre à témoin de la vérité de ses discours. En de telles nécessités, est-ce la philosophie qui viendra le secourir? La philosophie lui dira peut-être que sa vie, quoi qu'il fasse, est sans espérance; que sa prière ne changera rien aux lois immuables du sort; que ses morts sont morts pour toujours, que leurs månes ne l'entendent plus et que jamais il ne les reverra. Elle peut lui dire que ses crimes ont été l'œuvre du destin, que le remords est une folie, l'expiation une chimère, la loi morale une rêverie. Elle peut lui dire encore qu'attester les dieux, c'est attester ceux qui ne nous entendent point, et que le serment de l'homme n'est pas plus croyable que sa parole. Belles, consolantes, salutaires pensées !

« PoprzedniaDalej »