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légions du sénat et des lois violées, est écouté froidement : Caton leur parle des dieux de la patrie et les conduit à la victoire 1.

Le contraste ainsi établi entre les hommes instruits et le vulgaire, entre la doctrine des écoles et la doctrine de l'État, que devaient faire les sages? Déchirer le voile, abattre l'idole, détromper le monde, et, après avoir renversé la religion qui avait prêté à la chose publique le soutien de ses mensonges, prier la philosophie de prêter à la chose publique l'appui de sa vérité?

Mais la vérité philosophique, où était-elle done? Les trois grandes écoles permanentes de Zénon, de Carnéade, d'Épicure, s'entendaient assez bien pour affaiblir la foi religieuse. Cela fait, rien de commun ne demeurait entre elles. L'épicurien avait pour principe de ne pas se mêler de la chose publique, à plus forte raison de ne pas se dévouer. L'académicien arrondissait ses périodes, discutait le pour et le contre et ne concluait pas. Là certes n'était pas le salut de l'empire.

Au stoïcisme appartenaient, il est vrai, des prétentions plus dogmatiques et une morale plus grave. Nature intelligente et nature corporelle, âmes et corps, hommes et dieux, tout, disaient les stoïciens, fait partie d'un seul être et s'enchâsse dans un système harmonieux; la gloire de chaque portion est de ne pas troubler cette harmonie et de marcher d'accord avec le tout. La nature matérielle le fait sans peine et sans mérite, puisqu'elle n'a pas de pensée qui discerne, ni de volonté qui résiste. Les dieux le font sans mérite également, puisque dans cette harmonie ils trouvent leur félicité actuelle, sensible, permanente. Mais l'homme,

1. Plutarq., in Cæs.

qui ne peut accomplir cette loi qu'avec labeur, l'accomplit aussi avec gloire. L'homme, en accomplissant cette loi, peut s'égaler aux dieux; il peut être par la force de son âme ce que sont les dieux par la félicité de leur condition, impassible, imperturbable, supérieur à toute douleur et à toute crainte. Mais il faut pour cela qu'il écoute sa raison, organe de la loi universelle; sa raison lui enseignera que rien n'est bon que ce qui est juste, rien n'est mauvais que ce qui est honteux qu'il ne redoute donc ni la souffrance, ni la misère, ni la mort; ce ne sont point des maux.

Cette morale était véritablement la partie puissante du stoïcisme; celle dont le développement avait donné le plus de gloire à Chrysippe, le premier successeur de Zénon; celle que les derniers maîtres, Panétius et Posidonius, avaient fait prévaloir sur la philosophie physique et le panthéisme de Zénon. La doctrine pratique dominait la doctrine spéculative; elle attirait au Portique les âmes les plus hautes, tandis que le vulgaire des âmes allait à Epicure. Elle jetait les hommes dans la vie active, elle les dévouait à leur patrie; Brutus et Caton s'étaient instruits à cette école.

Mais voulez-vous en bien connaître la valeur? Consultez Cicéron, par excellence l'homme intelligent de son siècle, âme ouverte à tout bien, mais esprit capable de tout discuter. Cicéron est, en fait de morale, disciple de Posidonius et de Panétius; ses Offices sont modelés sur leurs ouvrages il établit avec eux le principe du droit et de la justice. La justice est chose si salutaire, si sainte, si désirable, que Cicéron est tout prêt à l'affirmer. Mais cependant un scrupule le trouble: Carnéade est derrière lui qui l'obsède de son doute académique et de ses perpétuelles

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objections. L'Académie, « cette perturbatrice de toute certitude,» le tourmente de sa critique imperturbable et de son éternelle suspension des jugements. Cicéron « la supplie de garder le silence: » il tremble qu'elle « ne se prenne à ce beau système et ne le mette en poudre. Il voudrait l'apaiser et la contenir, il n'ose l'expulser 2. »

Pourquoi ces craintes? pourquoi Cicéron se sent-il si faible? pourquoi la morale du Portique est-elle si désarmée devant le scepticisme académique? Cela est tout simple, la base lui manque; la raison de croire n'existe pas. Sur le panthéisme et le fatalisme, que peut-on fonder en fait de morale? La morale du Portique n'est pas le fruit de son dogme, elle n'est pas la conclusion régulière d'une doctrine quelconque. C'est tout simplement un effort instinctif, une conception héroïque de l'orgueil humain, sans fondement logique, sans raison acceptable, sans justification vis-à-vis des hommes, par suite sans autorité sur eux.

Ainsi, en définitive, Cicéron accepte le doute de Carnéade comme le dernier corollaire de la philosophie grecque. Immortalité des âmes, existence des dieux, sublimes croyances que Cicéron, suivant l'instinct naturellement religieux de son âme, voudrait affirmer comme certaines, et qu'il est réduit à présenter comme probables ! Il les fait prêcher par un stoïcien comme on nomme un avocat d'office à une cause douteuse. Quant à lui, retranché der

1. Turbatricem omnium rerum. (Leg, I, 13.)

2. Exoremus ut sileat... Si invaserit in hæc, nimias edet ruinas, quam ego placare cupio, submovere non audeo. (Leg., I, 13.)

3. De Inventione, I, 20; Tuscul... Sulpitius, l'ami de Cicéron, doute de l'immortalité de l'âme... Si quis in inferis sensus est. (Fam., IV, 5.) Cicéron, plaidant pour Cluentius, la nie pour le besoin de la cause; mais, à la fin de sa vie, lorsqu'il pleure sa fille, il admet cette foi consolante. V. les fragments de sa Consolation cités par lui-même (Tuscul., I, 27) et par Lactance. Div. instit., I, 5; de Irâ Dei, 10.

rière son doute philosophique, il écoute ses interlocuteurs, l'épicurien avec chagrin et répugnance, le stoïcien avec affection et plaisir, trouvant ses discours bons, vertueux, plausibles, probables même, mais n'osant prononcer qu'ils sont vrais1.

Que reste-t-il maintenant à la philosophie, si ce n'est de faire son dernier effort et de produire comme suprême conséquence le scepticisme absolu? Énésidème arrive, qui ne se contente pas du demi-scepticisme, du probabilisme ingénieux de Carnéade; il réveille le système oublié de Pyrrhon. Contre l'Académie, contre le Portique, contre l'école même d'Épicure, il pose en principe le doute absolu et la complète impuissance de toutes les spéculations humaines 2.

Arrêtons-nous un instant en face de cette négation de toute vérité, qu'Énésidème proclame après Pyrrhon, et qui semble le triste et définitif résultat de tout le travail philosophique soit dans la Grèce, soit dans le monde romain. Donnerons-nous raison à Pyrrhon et à Énésidème? Dironsnous que l'esprit humain, livré à lui-même, doit arriver logiquement à la confession de sa radicale impuissance à obtenir la moindre parcelle de la vérité? Dénierons-nous à quelques-unes des grandes vérités que le christianisme a fait luire sur le monde, au dogme de l'existence et de l'unité de Dieu, à la notion du devoir et à celle de l'immortalité de l'âme, ces preuves logiques, que la révélation chrétienne sans doute rend inutiles, mais dont l'esprit de l'homme aime toujours à les entourer?

Consultons ici un plus grand docteur et un plus grand

1. Ità discessimus ut Velleio Cottæ disputatio verior, mihi Balbi ad veritatis similitudinem videretur esse propensior. (De Nat. Deor., III, in fine.) 2. Sur Énésidème, V. son successeur, Sextus Empiricus

philosophe qu'Aristote ou Platon. Saint Paul ne nie pas que, dans le seul spectacle de ce monde, il n'y ait une preuve et de la providence et de l'unité et de l'éternité de Dieu, que les vertus invisibles de Dieu ne se révèlent par des preuves visibles, assez certaines pour convaincre tout homme de bonne foi. Pourquoi donc ces grandes vérités ont-elles subi tant d'altération, et ne sont-elles jamais devenues populaires? Pourquoi le Dieu un, éternel, créateur, a-t-il été nié par un grand nombre, méconnu par presque tous, tout au plus timidement et obscurément confessé par quelques philosophes qui tremblaient de laisser voir au vulgaire le rayon de vérité qu'ils possédaient? Saint Paul l'explique : « Ils ont connu Dieu; » ce n'est pas leur intelligence qui leur a fait défaut; c'est « leur cœur qui s'est obscurci; » c'est l'orgueil et les passions des sens, qui les ont empêchés « de glorifier Dieu comme Dieu et de lui rendre leurs actions de grâce. » Et par là «< ils sont inexcusables,» pour avoir connu et n'avoir point cru, pour « avoir détenu la vérité de Dieu captive dans l'injustice 1. »

Le pyrrhonisme n'est donc pas la conclusion logique de toute spéculation humaine; la raison de l'homme n'est donc pas absolument incapable de parvenir à la vérité. Mais les passions la troublent; mais sa lumière n'est pas assez forte pour tenir contre les obscurités qui s'élèvent d'un cœur corrompu. C'est là ce qui fait que l'homme <«< s'évanouit dans ses pensées, » et que, gràce au trouble de l'âme, cette connaissance de la vérité par la raison n'en devient pas une formelle reconnaissance par le cœur. L'homme connaît, mais l'homme n'est pas persuadé : l'in

1. Rom., I, 19, 20 et seq.

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