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bonne compagnie romaine (viri illustres, noti, honesti), de ceux qu'on opposait aux prolétaires, à la plèbe, aux petites gens (capite censi, ærarii, tunicati, trebules, tenues, ignobiles, etc.).

Et ces derniers mêmes étaient-ils exclus de tous les bienfaits de la civilisation? Outre les grandeurs qui appartenaient à quelques riches, d'autres grandeurs étaient communes à tous. Le faste privé était pour quelques-uns ; la munificence publique était au service même du plus pauvre. La société moderne croit avoir beaucoup fait pour le pauvre quand elle lui donne le nécessaire à bon marché. La société antique lui donnait pour rien le superflu.

Faut-il parler en détail de ce luxe monumental dont nous retrouvons après tant de siècles et tant de catastrophes d'admirables et d'ineffaçables vestiges? Élevons-nous, pour la promenade et pour le sommeil de l'homme du peuple, pour lui donner l'ombre en été, le soleil en hiver, beaucoup de portiques comme celui de Pompée, qui formait un rectangle de 400 pieds sur 500, et qu'ornaient 285 statues de bronze, 230 statues de marbre? Notre science peut se passer de ces immenses aqueducs amenés de bien loin, quelquefois dans le seul but d'avoir une eau plus agréable au goût (celui de Nimes n'avait pas d'autre but'); mais avons-nous rien qui ressemble à ces thermes cyclopéens bâtis par les empereurs pour les lazzaroni de Rome? Les chefs-d'œuvre de la peintnre, de la statuaire, de la mosaïque, les ornaient; pour embellir ses bains, Agrippa paya 1,200,000 sesterces deux tableaux d'un artiste grec. Des gymnases, des bibliothèques, des promenades, des bosquets faisaient partie des thermes; l'enceinte de ceux de

1. V. Millin, Voyage dans le midi de la France.

2. 223,000 fr. Pline, Hist. nat., XXXV

Néron devait avoir 700 pieds de long sur 500 de large; l'enceinte des thermes d'Agrippa 900 pieds sur 700; et ces lieux de délices, construits souvent en quelques mois, étaient bâtis pour des siècles, avec des voûtes inébranlables et d'épaisses murailles, comme les citadelles et les donjons de nos aïeux.

Que sont nos misérables salles de spectacle, nocturnes, petites, étroites, enfumées, faites de bois et de plâtre plutôt que de pierre, avec leurs décorations de carton, leurs ornements fanés, leurs couloirs étroits, leurs entrées difficiles, auprès de ces monuments grandioses des divertissements romains, de ces colosses de l'architecture théâtrale, où des milliers d'hommes, protégés par les plis ondoyants d'un voile de pourpre, jouissaient gratuitement et en plein jour de spectacles dont le moindre épouvanterait notre parcimonie? L'amphithéâtre de Nîmes pouvait contenir 17,000 spectateurs ; celui de Vérone, 22,0002; le Colisée, 80,000 3. Chacun des trois théâtres de Rome comptait de 27 à 30,000 places. Grâce à la perfection de l'acoustique théâtrale, cette foule immense pouvait entendre; et de nos jours encore, dans les théâtres ruinés de la Sicile, la voix se fait

1. Millin, ibid. L'amphithéâtre de Pouzzol pouvait contenir 40,000 per

sonnes.

2. Le Colisée avait 1,837 pieds romains de circonférence, 165 de hauteur. Il pouvait contenir 80,000 spectateurs, plus 2,000 dans les arcades supérieures (Nibby). Les anciens topographes disent 87,000.

3. Le théâtre de Scaurus, bâti pour le seul temps de son édilité (an de Rome 695), avait une scène disposée par étages, dont un en marbre avec des colonnes hautes de 38 pieds, l'autre en verre, le troisième doré; 360 colonnes; 3,000 statues de bronze. Il pouvait contenir 80,000 spectateurs; et dans un incendie qui eut lieu chez Scaurus, il périt pour 100 millions de sest. d'objets précieux qui en avaient été rapportés. Pline, Hist. nat, XXXVI, 2, 3, 15 (24).

4. Théâtre de Balbus, 30,095 (P. Victor., in Regione, IX. Notit. imperii). Théâtre de Marcellus, 30,000 (Pline, ibid). Théâtre de Pompée, selon Pline, 40,000 (ibid.) Selon la notice de l'empire, 27,780 seulement. Sur l'amphithéâtre de Pompeii, V. plus bas.

ouir avec une sonorité merveilleuse. De vastes escaliers, des galeries immenses, des passages distribués avec un art et une régularité infinis conduisaient ces milliers d'hommes chacun à la place qui lui appartenait, et les nombreux et larges vomitoires donnaient pour la sortie un prompt écoulement à ces flots de peuple. Dans ces abris d'une joie frivole, rien n'était provisoire ni passager; tout était de marbre, de pierre, de briques cimentées par une maçonnerie que la main des hommes a seule pu détruire et sur laquelle le temps n'a rien fait. Les cirques et les naumachies, ces autres créations du dilettantisme romain, n'avaient pas moins de magnificence. L'étang creusé par Auguste sur le bord du Tibre avait 1,800 pieds de long sur 200 pieds de large '; trente navires à éperons et d'autres bâtiments y combattirent. Le grand cirque avait à peu près la même longueur, une largeur double, et des places pour 150,000 spectateurs au temps d'Auguste, pour 260,000 après la restauration de Néron 2. Un canal de 10 pieds de profondeur se prolongeait le long de son enceinte et pouvait le remplir d'eau; des dauphins de bronze, des autels, des statues, des obélisques amenés d'Égypte, s'élevaient au milieu et traçaient la route des chars 3.

Telles étaient les grandeurs publiques dans lesquelles s'encadraient les grandeurs de la vie privée. Il faut en convenir, si un des contemporains de Cicéron ou même un des sujets de Néron César revenait au monde, notre civilisation, si merveilleuse à certains égards, lui paraîtrait au

1. V. Lapis Ancyr. Il s'agit de pieds romains qui équivalent à 10 ou 11 pouces des nôtres (309 millimètres).

2. V. Pline, VIII, 7. Dionys. Halic., III, 68. P. Victor, in Regione, XI, dit même 385,000.

3. Le cirque de Néron avait 1,450 pieds sur 330 à l'extérieur; l'arène était de 1,300 sur 200. Le cirque Flaminius avait 500 sur 1,000; le grand cirque, 2,187 sur 400.

premier coup d'œil bien mesquine et bien pauvre.

En

ce qui touche la chose publique, le gouvernement des peuples modernes ne lui semblerait-il pas bien laborieux et bien embarrassé? Ces impôts énormes, extorqués sous mille formes diverses par des milliers de publicains, ne le choqueraient-ils point comme durs pour le peuple et insuffisants pour le pouvoir qui fait si peu de chose avec tant d'argent? Une route à faire est une si vaste entreprise! un canal est l'œuvre de tant d'années, œuvre pour laquelle le pouvoir doit encore mendier l'argent des citoyens! Ne jugerait-il pas ridicule, puéril et funeste, ce formalisme si compliqué, grâce auquel rien ne se fait qu'à force d'écritures inutiles, de circuits sans but et sans fin, d'examens où l'on n'examine rien? Et quand, d'un autre côté, il verrait les particuliers, les villes, les provinces dépouillées ou à peu près de toute liberté administrative, au profit de ces gouvernements si embarrassés de leur propre pouvoir; le libre arbitre de trente millions d'hommes, l'indépendance des magistrats, la liberté du souverain lui-même et de ses ministres, confisquée au profit d'une centaine de chefs de bureau, véritables souverains de la nation; quand il verrait ce budget énorme passant en grande partie dans le stérile entretien d'une soldatesque immense et inoccupée : sa pensée ne serait-elle pas de préférer à nos monarchies bureaucratiques, l'empire romain avec la facilité et la dignité de son action, la liberté de ses municipes, le chiffre minime de son budget, la grandeur et la franche allure de son labeur matériel, le petit nombre de ses troupes et les grands travaux accomplis par ses soldats?

Si maintenant, jetant un regard sur la vie privée, il nous voyait dans nos rues et dans nos maisons, agités pour le gain ou la perte de quelques sesterces, ne dédaignant ni

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les immondes travaux de la manufacture, ni les petitesses du trafic; s'il voyait notre allure inégale, notre marche précipitée, notre gesticulation inquiète, nos attitudes sans noblesse, notre habit étriqué et ces braies celtiques qu'on n'osait porter à Rome sous peine de passer pour efféminé; - s'il nous observait, si rarement calmes et libres, haletant au contraire du matin au soir, sortant du repas pour nous mettre aux affaires, quittant à peine les affaires à l'heure tardive du repas, n'ayant de loisir ni pour le gymnase ni pour le bain, n'ayant pas encore notre liberté après le coucher du soleil, mais courant à la hâte, pour satisfaire à mille devoirs incompréhensibles pour lui, et faisant succéder aux tracas, aux petitesses, à l'assujettissement des affaires, les tracas, les petitesses, l'assujettissement du monde; en quelle pitié ne prendrait-il pas ces Ardélions (Rome avait trouvé un mot pour condamner cette vie de stérile inquiétude), « qui ont une telle hâte de vivre et vivent sans but, qui agissent beaucoup et ne font rien, qui s'essoufflent gratuitement, et, tout en s'agitant, demeurent oisifs 1?» N'opposerait-il pas à l'orgueil de notre époque une parole vraiment belle de Sénèque, bonne à répéter et à approfondir dans tous les sens : «Rien n'est grand que ce qui est calme2? »

Jetant les yeux sur l'ensemble du monde, il verrait sans doute sur beaucoup de points, mais depuis quelques années à peine, des communications plus actives, plus promptes, plus journalières qu'elles ne le furent jamais. Et cependant le monde civilisé lui paraîtrait bien loin encore de l'unité

1.

Est Ardelionum quædam Romæ natio,
Trepidè concursans, occupata in otio,
Gratis anhelans, multa agendo nil agens,
Sibi molesta et aliis odiosissima.

(Phèdre, I, 5.)

2. Nihil magnum nisi quod est placidum. (De Ird, I, in fine.)

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