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milice irrégulière, soldats sans discipline, que Rome appelle, qu'elle renvoie, dont elle augmente d'un jour à l'autre ou diminue le nombre 1. Leurs armes ne sont pas consacrées par la religión, ni légitimées par le serment; ils n'ont point de place marquée dans le camp romain, point de rang déterminé au champ de bataille; le général les jette sur ses ailes, les dissémine en éclaireurs, les disperse au loin entre les rangs de la légion.

La légion, au contraire, c'est toujours Rome militante; c'est la milice romaine par excellence, avec tout ce que l'esprit romain a de régulier, de permanent, de hiérarchique, de religieux. Autorisée par les augures, consacrée par les sacrifices, elle garde au milieu de son camp solennellement orienté, le tribunal et l'autel, le signe du commandement et celui de la religion. Elle a ses rangs marqués au champ de bataille, et cette triple ligne de hastati, de princes et de triaires, inébranlable infanterie (robur peditum) rempart humain, contre lequel le monde s'est brisé. Le serment est le lien de la légion; nul ne devient soldat que par le serment, sans lequel il ne peut tuer légalement, et sans lequel chacun de ses hauts faits serait

un meurtre.

La légion est donc, comme Rome, une cité régulière, où tous les rangs sont fixés, depuis le dernier des hastati jusqu'au tribun; - comme Rome, une cité progressive, où le dernier conscrit peut arriver de grade en grade au rang de primipile et à l'anneau de chevalier;

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comme

1. Et apud idonea provinciarum sociæ triremes alæque et auxilia cohortium, neque multò secùs in eis virium; sed persequi incertum fuerit, cùm ex usu temporis, hùc illùc mearent, gliscerent numero, et aliquandò minuerentur. (Tacite, Annal., IV, 5.)

2. Primum militiæ vinculum est religio et signorum amor et deserendi nefas. (Senec., Ep. 95.)

Rome, enfin, une cité permanente : les soldats changent, la légion reste. Son nom, ses souvenirs, son glorieux surnom, son emblème 2, son histoire, demeurent. Ses campements eux-mêmes sont pour des siècles. Le soldat la connaît et il l'aime; il l'aime comme une de ces mères sabines, austères et dures, qui imposaient de rudes fardeaux aux épaules de leurs fils. Il l'aime, parce qu'avec elle il a vécu, combattu, souffert vingt ans; parce que, privé, pendant vingt ans, des joies de la famille et du mariage, il a fait sa famille de la légion 3. L'aigle, le symbole et le dieu de la légion, l'aigle a son culte et ses autels, patrimoine révéré que se sont passé l'une à l'autre plusieurs générations de soldats.

L'Espagnol ou le Gaulois, si la gloire militaire lui sourit peu, se laissera donc enrôler dans sa milice nationale, sera pendant quelques années, à titre d'auxiliaire, conduit à la suite de la légion romaine; puis, sa dette acquittée, reviendra cultiver son champ et payer comme auparavant le tribut au publicain. Mais si l'honneur le touche davantage, il comprendra que l'honneur ne s'acquiert que sous les drapeaux de la cité romaine. Il tâchera d'entrer dans la légion pour devenir Romain, ou d'être Romain pour avoir place dans la légion. Ainsi la force, le courage, l'ambition guerrière, que Rome devrait redouter chez ses sujets, elle sait les tourner à son profit. La nation étrangère, déshabituée de la milice, s'affaiblit de tout ce qui accroît la force de Rome, et bientôt il n'y aura plus au

1. Adjutrix, pia, fidelis, victrix, fulminatrix, rapax, etc... 2. Ainsi l'alouette (alauda) pour la fameuse légion de César.

3. Liv., XLIII, 34. Dion, LX, 24. Tacite, Annal., III, 33, XIV, 27. Le mariage n'était pas interdit au soldat, mais il ne pouvait conduire sa femme avec lui V. 61 Dig. de donation, inter vir. et uxor. (XXIV, 1). 4. Propria legionum numina. » (Tacite, Annal., II. 17.)

monde de patriotisme et de vaillance que la vaillance et le patriotisme romains.

Ainsi, soit dans la milice, soit dans l'empire, l'allié, l'auxiliaire, l'étranger nous apparaît avec sa diversité, sa bigarrure, son indépendance; Rome, avec son esprit d'ordre, de régularité, de permanence. L'unité, la perpétuité, la loi n'est qu'en elle; elle seule est centre; vers elle doit marcher qui veut parvenir. Le soldat provincial, le sénateur de Marseille ou de Cordoue, le commerçant enrichi qui veut mettre sa fortune à l'abri des exactions du proconsul, le rhéteur qui veut briller sur un plus grand théâtre, l'homme, en un mot, qui veut être quelque chose, je ne dirai pas dans Rome, mais dans la dernière des colonies, tâche de conquérir ou d'acheter la cité romaine. Vers Rome converge tout ce qu'il y a d'ambition, de talent, de ressource, d'énergie 1. Rome est le grand but. Cette liberté, cette dignité romaines, l'Italie a combattu soixante ans pour les obtenir (663) 2. La Gaule Cisalpine et quelques villes hors de l'Italie, seules l'ont acquise avant la fin de la république. Le reste du monde lutte pour y arriver. Le monde qui a renoncé à être autre chose que

1. Additis provinciarum validissimis fesso imperio subventum. (Tacite, Annal., XI, 23.) Et le rhéteur Aristides: « Vous avez fait citoyens et admis dans votre nation les plus distingués, les plus nobles, les plus puissants d'entre vos sujets... Dans chaque cité, un grand nombre d'hommes appartiennent à votre race plutôt qu'à celle dont ils sont sortis; beaucoup de ces Romains n'ont jamais vu Rome. Et cependant vous n'avez pas besoin de garnison pour conserver les villes sous votre obéissance, parce que dans chaque ville les citoyens les plus puissants vous appartiennent et vous gardent leur propre cité... Il n'y a pas de jalousie dans votre empire. Vous avez proposé tout à tous, etc... » De Urbe Româ.

2. V. t. I, p. 40, 45.

3. En 665 (Asconius, in Pisone), 702 (Dion, XLI, 24; XLIII, 39. Liv., Ep. 110) et 705 (Dion). V. t. I, p. 89 et 162. Cadix et plusieurs autres villes espagnoles sous la dictature de César. Liv., Ep. 110. Dion, XLI, 24; XLIII, 39. Je ne parle pas des concessions d'Antoine qui, pour la plupart, furent révoquées par Auguste.

Romain, veut être Romain le plus possible. Lois, libertés, priviléges, droits politiques et civils, c'est à Rome qu'il demande tout cela; c'est en communauté avec Rome que tout cela peut avoir quelque prix.

Mais Rome à son tour, quand elle a revêtu de sa toge l'Espagnol ou le Gaulois, acquiert sur lui une autorité nouvelle. A cet homme qu'elle a grandi elle impose de nouveaux devoirs, ceux de la dignité, de la piété, du patriotisme romains. Qu'il rende son hommage aux dieux de Rome; qu'il s'éloigne des autels sanguinaires que Rome a condamnés; Auguste interdit à tout citoyen romain de prendre part au culte druidique1. Qu'il se garde d'ignorer la langue de sa nouvelle patrie; Claude a dégradé un citoyen qui ne parlait pas la langue latine 2. Qu'il se garde enfin d'en dépouiller le costume et de reprendre l'habit barbare. Qu'il chérisse, Rome le lui permet, son ancienne patrie; mais qu'il se rappelle que sa patrie nouvelle est plus auguste et plus grande, et que le municipe, cette étroite cité, n'est qu'une portion de l'empire, commune cité des nations3. En un mot, Rome lui impose en échange de tout ce qu'il reçoit d'elle, son culte, son costume, sa loi, ses mœurs. Elle l'a conduit par la civilisation à vouloir et

1. Suet., in Claud., 25.

2. Suet., ibid., 43.

3. Roma illa una patria communis. (Cic., de Legib., II, 2.) Roma communis patria nostra est. (Modestin., Dig., liv. XXXIII, ad Municip.) « Nous appelons donc également notre patrie et la cité où nous sommes nés et celle qui nous a recueillis dans son sein. Notre amour doit nécessairement s'attacher davantage à celle qui est la cité universelle, pour laquelle nous devons mourir, à qui nous nous devons tout entiers, à qui nous devons donner et consacrer tout ce qui est à nous. Mais à son tour celle qui nous a enfantés n'est guère moins douce à notre cœur que celle qui nous a accueillis, et je ne nierai jamais qu'Arpinum ne soit ma patrie, tout en reconnaissant que Rome est la grande patrie dans laquelle mon autre patrie est contenue. » Cic., ibid.

à conquérir le droit de cité; elle le conduit, en vertu du droit de cité qu'il a reçu, à recevoir en toute chose la loi de sa civilisation.

En tout ceci, où est la force? où est le commandement? où est le souvenir de l'origine militaire du pouvoir romain? Comment ce qui était un monde est-il devenu une seule cité? Comment Rome a-t-elle su donner une même patrie à tant de peuples divers 1? C'est qu'elle agit comme centre et non comme force, par l'attraction plus que par la contrainte. Elle a eu bon marché des nationalités en les respectant, et pour ne pas avoir obligé le monde à venir à elle, elle a vu le monde la forcer presque à le recevoir 2.

Telle a été la politique romaine. Avais-je tort de dire que la notion du pouvoir était tout autre pour Rome que pour nous. En voici, ce me semble, une preuve remarquable. Si dans le sein d'une nation moderne une révolte était près d'éclater, que dirait-on pour faire comprendre au sujet rebelle toute l'imprudence de son entreprise? On lui parlerait sans doute de la puissance du souverain, du

1.

Fecisti patriam diversis gentibus unam;

Profuit injustis te dominante capi,

Dumque offers victis proprii consortia juris,

Urbem fecisti qui prius orbis erat.

(Rutilius.)

Breviterque una cunctarum gentium in toto orbe patria fieret. (Pline, Hist. nat., III, 5.)

2.

Hæc est in gremium victos quæ sola recepit
Humanumque genus communi nomine fovit,
Matris, non dominæ ritu, civesque vocavit
Quos domuit, nexuque pio longinqua revinxit.

(Claudian.)

Rome, dit Aristides, est au milieu du monde entier comme une métropole au milieu de sa province... De même que la mer reçoit tous les fleuves, elle reçoit dans son sein les hommes qui lui arrivent du sein de tous les peuples... De Urbe Romd.

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