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ESSAI

SUR L'INDIFFÉRENCE

EN MATIÈRE

DE RELIGION.

CHAPITRE XIII.

Du fondement de la certitude.

RIEN ne subsiste que par la vérité, car la vérité est l'être, et hors d'elle il n'y a que le néant. Le désir de connoître, inné dans l'homme, n'est que le désir même d'exister, et comme l'effort naturel de l'intelligence vers la vie. De là cette ardente recherche du vrai, et cette joie vive et pure que nous éprouvons à sa vue. Ce sentiment a des racines si profondes en nous, que rien ne le peut détruire, pas même la passion dépravée de l'erreur. On ne hait la vérité, et l'on n'aime l'erreur, que lorsqu'à force de travail on est parvenu à se représenter l'erreur comme vraie, et la vérité comme fausse; que lorsqu'on a, pour ainsi dire, recouvert le néant d'un vain simulacre de l'être, comme on entoure un cercueil d'images de la vie, et d'emblèmes d'immortalité.

TOME 2.

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Cependant, quand nous venons à porter la main sur l'édifice de nos connoissances, à en sonder curieusement la base, nous ne trouvons que des abîmes, et le doute ténébreux sort des fondemens de l'édifice ébranlé. L'homme ne peut, par ses seules forces s'assurer pleinement d'aucune vérité, parce qu'il ne peut, par ses seules forces, se donner ni se conserver l'être. Il ne voit, dit Montaigne, le tout de rien; et voilà pourquoi la philosophie, qui veut tout voir et tout comprendre, la philosophie qui rend la raison de chaque homme seul juge de ce qu'il doit croire, aboutit au scepticisme universel (1), ou à la destruction absolue de la vérité et de l'intelligence.

Nul moyen d'éviter cet écueil, dès qu'on cherche en soi la certitude; et c'est ce qu'il faut montrer à l'homme pour humilier sa confiance superbe: il faut le pousser jusqu'au néant, pour l'épouvanter de luimême; il faut lui faire voir qu'il ne sauroit se prouver sa propre existence, comme il veut qu'on lui prouve celle de Dieu : il faut désespérer toutes ses croyances, même les plus invincibles, et placer sa raison aux abois dans l'alternative, ou de vivre de foi, ou d'expirer dans le vide.

Mais ôtons d'abord l'équivoque de ce mot de raison, par lequel on désigne deux facultés totalement

(1) C'est ce que nous avons déjà prouvé par le fait, en montrant que l'hérétique, le déiste et l'athée, partant tous du principe de la souveraineté de la raison individuelle, ou n'admettant comme vraj (toute foi et toute autorité mise à part) que ce qui est clair, évident, démontré à leur raison, sont inévitablement conduits, d'erreur en erreur, au doute absolu.

distinctes, et qu'il est dangereux de confondre la faculté de connoître, et la faculté de raisonner. La raison, dans le premier sens, est le fonds même de notre nature intelligente. Être intelligent ou raisonnable, c'est être capable de percevoir la vérité (1); et l'homme a plus ou moins de raison, ou sa raison est plus ou moins éclairée, plus ou moins étendue, selon qu'elle renferme plus ou moins de vérité. Il n'importe comment nous parvenions à la connoître, pourvu que nous soyons certains de la posséder. La certitude est la base essentielle de la raison: car être incertain si l'on connoît, c'est ne pas connoître; le doute n'est qu'une ignorance aperçue. D'un autre côté, l'on peut avoir une idée très nette d'une vérité sans la comprendre ainsi, comprendre n'est point une condition nécessaire de la raison. En effet, nous connoissons avec certitude certaines vérités que nous ne comprenons nullement: comme l'action de la volonté sur les organes, la transmission du mouvement, et mille autres phénomènes semblables; et quiconque a réfléchi sur l'entendement humain, avouera sans hésiter que nous ne concevons rien parfaitement.

La raison, dans le second sens, est l'opération de l'esprit par laquelle, comparant des vérités connues, nous en découvrons les rapports, et nous en tirons des conséquences. Ainsi quand nous disons que la raison nous trompe, lorsque nous déplorons sa foiblesse et ses erreurs, cela ne doit pas s'entendre de la faculté

(1) Tertullien ne définit pas autrement l'homme: Animal rationale, sensis et scientiæ capacissimum, De Testim. animæ, c. I.

de connoître, ou de la raison proprement dite, mais de la faculté de raisonner : facultés si différentes, que la perfection de la raison, ou la connoissance complète de la vérité, exclut le raisonnement; car raisonner, c'est chercher : et l'on ne cherche point ce qu'on possède, ce qu'on aperçoit pleinement par une claire intuition.

Cela posé, notre premier soin doit être de nous assurer s'il existe pour nous un moyen de connoître certainement, et quel est ce moyen; autrement, notre raison manquant de base, il nous faudroit douter de tout sans exception. Or les seuls moyens de connoître, que chacun de nous trouve en soi, sont les sens, le sentiment et le raisonnement. Aussi n'existet-il que trois systèmes généraux de philosophie. L'un de ces systèmes place dans les sens le principe de certitude; c'est le matérialisme, dont Locke est le père: le second place le principe de certitude dans le sentiment; c'est l'idéalisme, enseigné d'abord par Barclay, et plus dangeurement ensuite par Kant: le troisième place dans le raisonnement le principe de certitude; c'est le dogmatisme moderne ou le cartesianisme, qui règne depuis environ deux siècles dans l'École. Examinons ces trois systèmes, et voyons s'ils nous offrent la certitude qu'il nous importe si essentiellement d'obtenir.

De toutes les philosophies, la moins solide est celle qui rapporte aux sens l'origine de nos connoissances, et fait dériver les idées mêmes des sensations: car qu'est-ce que nos sens peuvent nous apprendre de

certain, et sur nous-mêmes et sur les autres êtres? Qu'oserons-nous affirmer sur leur témoignage? La première leçon qu'ils nous donnent, c'est de nous en défier. Chacun d'eux, pris à part, nous abuse par de vaines illusions; ils se convainquent à toute heure mutuellement d'imposture; et lorsqu'en modifiant l'un par l'autre leurs rapports divers, on parvient à les accorder sur un point, quelle assurance a-t-on que ce point, au lieu d'être une vérité, ne soit pas une erreur commune? Pourquoi, nous trompant séparément, ne nous tromperoient-ils pas tous ensemble? Comme des témoins suspects, et mille fois reconnus pour menteurs, nous les interrogeons isolément, nous rapprochons, nous comparons leurs dépositions disparates, nous essayons de les concilier; mais quand nous y réussirions toujours, en serions-nous plus avancés? Qui nous dit qu'un sixième sens, par un témoignage contraire, ne troubleroit pas leur accord? Sur quoi se fonderoit-on pour le nier? Supposons-nous des sens différens de ceux dont la nature nous a doués; nos sensations, nos idées ne seroient-elles pas aussi différentes? Peut-être suffiroit-il, pour ruiner toute notre science, d'une légère modification dans nos organes. Peut-être y a-t-il des êtres organisés de telle sorte que, leurs sensations étant en tout opposées aux nôtres, ce qui est vrai pour nous soit faux pour eux, et réci– proquement. Car enfin, si l'on veut y regarder de près, quel rapport nécessaire existe-t-il entre nos sensations et la réalité des choses? Et quand il existeroit un tel rapport, comment les sens nous l'apprendroient

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