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Cet ouvrage a été déposé, conformément aux lois, en octobre 1923.

Les ayants-droit et l'éditeur réservent tous droits de reproduction et de traduction.

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« Le plus beau monument qu'on puisse élever à Louis Veuillot, c'est l'édition définitive de ses Œuvres complètes. »

Voici dix ans que j'entendais formuler, par de judicieux critiques ou des admirateurs convaincus, cette affirmation. C'était en 1913, à l'heure où, par des manifestations glorieuses, on célébrait le Centenaire. Un an plus tard, la publication des Euvres complètes était entreprise : les deux premiers volumes, entièrement composés, devaient paraître au mois d'octobre 1914. Il suffit d'évoquer cette date on comprend les raisons qui suspendirent le travail. Mais, si la guerre et les mille difficultés qu'elle traîne encore à sa suite ont retardé longtemps cette édition, elles sont loin d'en avoir affaibli l'opportunité. Bien au contraire, elles l'ont rendue plus actuelle.

Après les bouleversements qui ont secoué la patrie jusqu'aux profondeurs de l'âme, la pensée française a besoin de se ressaisir aux esprits dirigeants. Dans le double domaine de la culture et de l'action, nous sommes en plein effort. Exaltée et libérée par la victoire, l'intelligence nationale est impatiente de s'épanouir en créations nouvelles, assez puissantes et lumineuses pour s'imposer, à la fois, dans l'ordre du temps à l'avenir, dans celui de l'espace au genre humain. Mais les ressorts mêmes de cette victoire attestent, aux regards

LOUIS VEUILLOT. - a

clairvoyants, que la patrie et la race ont dû leur redressement et leur délivrance à ce qu'il y a de plus ancien, de plus solide et de plus permanent dans la tradition française, et aussi, mais ce sont, en réalité, les mêmes forces et les mêmes lumières, à ce qu'il y a de plus profond et de plus assuré dans la conscience humaine. Et c'est pourquoi la génération nouvelle, en quête des vertus nécessaires au rayonnement et à la pérennité de la pensée nationale, ira les demander de préférence à ces maîtres d'hier, dont l'œuvre a reçu, magnifié et transmis, avec la fidélité la plus exacte et le plus sûr génie, ce dépôt sacré. C'est vers eux qu'elle se retourne, et vers ceux-là, surtout, qui apportent, à son besoin d'agir et de construire, des convictions robustes et fécondes.

C'est la définition même de Louis Veuillot que je viens d'écrire il nous offre, éclairée d'une langue à la fois traditionnelle et neuve, une doctrine enracinée dans l'éternel et génératrice de vie.

En lui, s'affirme la triple puissance qui prolonge, à travers les générations, l'influence et la magistrature d'un écrivain : la maîtrise du verbe qui le constitue classique; la clairvoyance et la profondeur de l'observation, qui l'érigent en témoin de son temps; la rectitude et la vigueur de la pensée, qui lui assurent une valeur de flambeau.

Je voudrais ici, non par des commentaires et des jugements personnels dont on suspecterait l'impartialité, mais par quelques paroles synthétiques empruntées à son œuvre et par les témoignages convergents de la critique indépendante, de l'autorité religieuse et de l'esprit catholique, esquisser rapidement ce triple caractère, qui établit la survivance et l'opportunité de Louis Veuillot.

I

Un maître de la langue; un classique !

Déjà, de son vivant, les plus probes et les plus clairvoyants de ses adversaires, en pleine ardeur du combat, lui reconnaissaient ce mérite. On a cité maintes fois les aveux d'un Rémuzat, qui aurait voulu l'accueillir à l'Académie française, et d'un Cousin, qui confessait que le directeur de l'Univers eût toujours pour lui le Pape et la grammaire. Au-dessus de ces boutades, entendez encore l'attestation de Sainte-Beuve! Le plus fameux, sinon le plus éminent, des critiques du dix-neuvième

siècle, hostile à Louis Veuillot souvent jusqu'à l'injustice, admet que les Mélanges contiennent des chefs-d'œuvre et que le roman de l'Honnête Femme, « réel au-delà de tout », a devancé Flaubert et, par mainte observation, dépassé Balzac. Au surplus, l'auteur de Madame Bovary, tout le premier, ne saluait-il pas, dans l'écrivain catholique, un précurseur.

Mais c'est surtout devant le cercueil de Louis Veuillot que s'affirma l'hommage universel. Trois ans de silence avaient suffi pour faire jaillir, du milieu des derniers cris de la bataille, les premiers arrêts de la postérité. Je ne recueillerai pas ici les admirations des amis de l'Univers. Ecoutez seulement quelques appréciations d'adversaires et d'ennemis! Dans le Français, l'organe officiel des libéraux, Thureau-Dangin, pour célébrer cet « écrivain-né, d'une langue forte et saine, pleine de trait et de nerf », évoque tour à tour les plus grands noms de l'histoire littéraire : il retrouve, en lui, du Rabelais et du Molière, du Voltaire et du Bossuet. « C'est aussi beau que du Bossuet », proclame également le Figaro, après avoir cité un article du maître. Ce pendant que la République française, encore imprégnée de Gambetta, voit, dans ce clérical, un « journaliste de premier ordre » et que le Télégraphe, après avoir accusé Louis Veuillot de s'être arrogé le gouvernement de l'Église, l'élève, comme satiriste, au tout premier rang. Paul-Louis Courrier, dit-il, ne fut que le Marivaux du pamphlet ; « Veuillot en fut souvent le Bossuet, parfois le Corneille ». Enfin, le Constitutionnel : « La postérité, résume-t-il, saluera en lui le dernier écrivain de la grande école du respect de la langue, le dernier des Pères de cette église littéraire de la France. »>

C'était aussi la pensée d'un jeune critique, dont l'incroyance religieuse, en glorifiant Louis Veuillot, lui enviait « le grand avantage des écrivains qui ont adopté une solution définitive sur la vie humaine ». Il avait nom Paul Bourget. Plus tard, il ne se contentera plus d'exalter ce « maître prosateur » et ce « grand écrivain »; mais, en proclamant qu'il « égala nos grands classiques », il s'inclinera aussi, avec conviction, devant « ses hautes vertus de défenseur de la foi ».

Louis Veuillot « égala nos grands classiques ». C'est à l'occasion du Centenaire, en 1913, que l'illustre romancier prononça ce jugement. Cette sentence, désormais, ne faisait plus figure d'audace; elle semblait plutôt une ratification. Depuis longtemps, les ennemis de la veille, apaisés par la mort, et les critiques de la génération nouvelle, éclairés par les perspec

tives du recul et les sérénités de l'histoire, avaient rendu cette justice.

La publication des Lettres, révélation de l'homme de cœur, en même temps que confirmation de l'homme d'esprit, commença cette ascension vers la gloire incontestée. Sarcey, si rudement cinglé par le journaliste, s'enthousiasma pour l'épistolier. Ce fut bientôt une preuve de culture et de goût, que d'admirer ce grand catholique. Et les universitaires euxmêmes, oublieux des ardentes et rudes querelles d'autrefois, furent des premiers, remarque André Bellessort, « à lui restituer la place à laquelle il a droit dans notre littérature et dans l'histoire de la pensée française ». André Hallays, dans le Journal des Débats, souligna «la splendeur du style » et « la noblesse de la vie » de cet ancien adversaire; Emile Faguet chanta sa langue « puisée aux meilleures sources », et sa « qualité classique », et sa « profondeur claire ». On vit le Signal protestant réclamer pour ce « papiste » une statue sur la place publique, et le libre-penseur Descaves s'indigner qu'il n'eût point sa rue dans Paris; Joseph Fabre enfin, sénateur de gauche, applaudissait en lui « le plus génial et le plus français de nos polémistes >>.

Mais, l'un des premiers, dans un travail étonnant de lucidité, de justesse et de profondeur, auquel j'aurai souvent à recourir, Jules Lemaître, aux yeux des hommes de culture et des hommes de goût, avait définitivement consacré Louis Veuillot, classique : « Il est de tout premier rang, avait-il conclu, et par l'importance des idées qu'il a traduites et par la perfection de la forme »; aussi, «je n'hésite pas un moment à le compter dans la demi-douzaine des très grands prosateurs du siècle.>>

Désormais, Louis Veuillot appartient à l'histoire des lettres françaises. C'est un classique : un classique, au surplus, « d'allure très moderne », précisait il y a vingt ans le chanoine Crosnier, dans un article agréable et fin sur le poète ; un classique, ajoutait hier encore M. Strowski, qui « ne vieillira pas », car il « semble avoir écrit pour nous ».

Des classiques, il peut donc offrir, aux nouvelles générations, les préceptes et les modèles.

Cette valeur, il la possède en premier lieu par sa formation littéraire : haut et précieux enseignement de l'art d'écrire et du sens français.

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