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Ce n'est pas qu'on en soit sûr ! Même aux yeux de l'ignorant, cette science et cette probité de l'hérésie sont douteuses, plus douteuses que l'existence et la divinité de Jésus. Mais l'hérésie a pour elle les complicités du cœur. Là est le feu sombre qui jette ses fumées sur l'évidence. Que Dieu soit autre, ou qu'il ne soit pas ! Voilà le vœu secret, l'arcane où l'incroyance scientifique est assurée de rencontrer la crédulité.

Cependant il n'y a point de science contre Jésus-Christ. Il n'y en eut jamais. L'incroyance scientifique n'est qu'une ignorance travaillée, un masque dont l'impiété se sert pour tromper la conscience humaine et lui fournir des raisons quelconques de ne pas croire. Sitôt que la conscience veut s'éloigner de Jésus-Christ, elle cesse d'être difficile sur le chemin et sur le guide: elle accepte tout chemin, elle accorde au guide hypocrite toutes les vertus qu'il veut s'attribuer, elle pardonne au guide cynique tous les vices qu'il laisse voir.

Chez ces savants adversaires du Christ, ce qui éclate le plus, c'est la volonté d'ignorer. Ils sont impies, ils ne sont pas véritablement incroyants. Que d'application à fermer les yeux ! que de ruses viles pour épaissir la nuit ! et lorsqu'enfin l'évidence les contraint de hurler la négation, quel délire, équivalent aux actes de foi les plus formels! Dans l'Évangile, les démons, voyant Jésus, lui crient : Fils de Dieu, va-t'en, laisse-nous ! Car le démon, le père du grand mensonge, c'està-dire de la fausse science, père aussi de la négation, est très savant et très croyant. Mais, déchiré d'un orgueil éternel, il hait, il blasphème et il nie.

Sur tous les terrains où elle a voulu s'engager, la négation a été battue. Ses œuvres les plus vantées n'ont jamais soutenu la critique. Après un court triomphe de surprise, les ennemis eux-mêmes finissent par répéter le beau cri de Tertullien à Marcion, falsificateur de l'Évangile : C'est encore le Christ! Néanmoins il est vrai qu'un succès général, souvent assez tenace, encourage ces misérables travaux. Ils survivent longuement au décri où ils tombent promptement, protégés dans le mépris par l'ignorance complaisante du public et par l'insuffisance irréfléchie des réfutations.

Sans doute, l'on répond admirablement à tout ce que disent les négateurs; mais, puisque leur art suprême est d'ignorer et de faire ignorer, l'essentiel serait de répondre surtout à ce qu'ils ne disent pas. C'est invariablement ce que l'on oublie.

Le dernier qui s'est rendu célèbre a su, pendant cinq cents pages, parler de Jésus-Christ sans le montrer jamais (1). Esquivant perpétuellement tout ce qui est de Dieu, il dénature du même coup tout ce qui est de l'homme. Cette ruse de sa faiblesse a fait la force de son livre: elle a attiré l'apologétique dans des discussions de vétilles où disparaît complètement l'Homme-Dieu. Les réfutations sont excellentes. Qui les lirait toutes et s'en tiendrait là, verrait bien que le négateur n'a ni science ni probité, mais ne saurait pas (1) Ernest Renan. Voir l'Avertissement.

ce que Jésus-Christ est venu faire dans le monde. Ainsi ce n'est pas Jésus-Christ qui a cause gagnée, encore moins le lecteur laborieux de tant de polémiques; c'est ce malheureux, qui s'est proposé de trahir Dieu et le prochain.

De là est née l'idée de cette Vie de Notre Seigneur. Les attaques de l'incrédulité en ont été l'occasion, elles n'en sont pas directement l'objet.

La clémente sagesse de Jésus-Christ n'a laissé à la merci des sophistes ni les sources de la raison ni les bases de la foi. Elle a prévu toutes les faiblesses du cœur et de l'esprit de l'homme, et leur a préparé un secours toujours victorieux. Il ne faut pas courir tant de pays, ramasser tant de langues mortes, tant d'histoire, tant de physique et de philosophie, pour connaître avec certitude Celui qui a voulu la foi et l'amour des petits et des ignorants. Le pain de vie est facile à trouver, comme le pain matériel, aux mêmes conditions. Un simple fidèle, un homme du monde, pourvu qu'il ait étudié quelques livres faciles et écouté quelques instructions, peut rendre compte de sa foi, bien mieux que les « savants» prétendus incrédules ne sont en état de rendre compte de leur incrédulité. L'Évangile y suffit.

L'Évangile contient les motifs déterminants de la foi en Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme; motifs que le Sauveur a lui-même proposés. Avec l'Évangile on peut paralyser le sophisme sans s'imposer des attouchements, qui font frémir la main. Qu'importe que le sophiste ramasse des notes contre la sincérité des évangélistes, si nous avons la preuve claire que Celui de qui les évangélistes ont écrit est Dieu ? A genoux devant la Présence réelle, on n'est pas tenté de se distraire de cette contemplation pour considérer de plus près la basse figure du blasphème ; on ne tient nullement à lui arracher des aveux dénués de repentir.

Il y a différents degrés dans les régions de l'esprit ; la discussion appartient aux degrés inférieurs. En discutant, on se place toujours homme contre homme ; la raison de l'un semble toujours valoir la raison de l'autre. En exposant, on place Dieu contre l'homme.

Cette exposition de la lumière doit se faire de préférence lorsque Dieu est absolument et personnellement en cause. Sur ces hauteurslà, que la voix de l'homme se taise à propos, qu'elle ne discute pas toujours avec le néant, de peur que l'imbécile raison humaine ne vienne à croire que le néant pourrait répondre, et ne lui prête une voix qui blesse l'oreille de Dieu; que la beauté de la Vérité apparaisse seule en face de la laideur absolue du Mensonge.

Je suppose un homme à peu près complètement ignorant en matière religieuse, sans haine, mais non pas sans préjugés, peu fixé sur l'existence de Dieu, très incertain de la divinité de Jésus-Christ, plutôt disposé à n'y pas croire, évitant néanmoins de prononcer sur ce sujet par simple sentiment d'honnêteté, parce qu'il sait qu'il ne sait pas. Cet homme vient d'écouter les négateurs. Il doute de leur droiture; il les trouve pour le moins frivoles. Cependant existe-t-il un autre

Dieu que le Dieu commode et insaisissable du déisme ? et Celui qui s'est proclamé Fils de Dieu, ce Jésus à qui la négation veut donner des couleurs si exclusivement humaines, est-il vraiment ce qu'il a dit être ? est-il Jésus-Christ? est-il Dieu ? De fortes impressions subsistent contre cette croyance; de longues études paraissent nécessaires pour en reconnaître la fausseté ou la vérité : or la fausseté, ce serait triste ! l'âme hésite à s'appauvrir de Dieu ; la vérité, ce serait grave! elle propose, elle impose d'étranges engagements... La pente commune est à rester dans l'incertitude, en attendant que l'incertitude devienne l'indifférence, et l'indifférencel'oubli.

Eh bien ! cet homme, cet incertain qui se résout à devenir indifférent, cet indifférent qui ne refuse pas Dieu, qui ne veut pas lui faire la guerre, qui se décide simplement à l'oublier, ignorant que Dieu ne l'oubliera point; cet homme, en un mot, qui n'a jamais réfléchi sur Dieu et qui souhaite de n'y penser jamais, c'est l'homme que l'auteur de ce livre a lui-même été, et c'est l'homme aussi pour qui ce livre est écrit. Ce que je n'aurais pas entendu sans profit pour mon intelligence et pour mon âme il y a vingt-cinq ans, c'est ce que j'ai essayé d'exposer.

Dans l'Introduction, je parle de l'homme considéré comme preuve de l'existence de Dieu, du but pour lequel l'homme a été créé, de la chute, de la nécessité d'un médiateur. Quelques arguments élémentaires m'ont paru suffire pour le public de bonne foi à qui j'appartiens et à qui je m'adresse. Je fais ensuite une description du monde païen, et je présente le résultat de ses découvertes sur la connaissance de Dieu et sur la connaissance de l'homme. De là je passe aux prophètes qui annoncèrent le Christ. Les prophètes, comme les Apôtres, sont inséparables de Jésus. C'est une tromperie de prétendre raconter son histoire et de supprimer ces hérauts divins qui marchent devant lui dès le fond le plus lointain des âges, proclamant sa mission, racontant d'avance ses œuvres et sa vie.

Après ce préliminaire, j'aborde la vie mortelle du Verbe incarné. Je ne prends nul autre guide, nul autre document que l'Évangile. Je ne m'applique à rien prouver. Cela était fait dès longtemps, on vient de le refaire avec éclat. Il y a longtemps que Tertullien disait : « La première vérité qu'il faut croire, c'est qu'on ne doit rien croire légèrement. » Les beaux livres de M. l'abbé Freppel, de Mgr l'évêque de Nîmes, de M. Auguste Nicolas, du R.P. Gratry, de M. Wallon (1)

(1) L'abbé Freppel, alors chapelain de Sainte-Geneviève et plus tard évêque d'Angers, avait écrit: l'Examen critique de la Vie de Jésus de M. Renan, Mgr Plantier, évêque de Nimes, une Lettre pastorale contre « la Vie de Jésus » et la Vraie Vie de Jésus, Auguste Nicolas, l'écrivain apologiste, Renan et la Vie de Jésus sous les rapports moral, légal et littéraire; Appel à la Raison, à la Consciencs du Monde Civilisé, — le P. Gratry, de l'Oratoire, alors professeur de morale évangélique à la Sorbonne, les Sophistes et la Critique, M. Wallon, historien et homme politique, La Vie de Jésus et son nouvel historien.

font assez voir que cette vieille règle est toujours observée. On trouvera d'excellentes réponses à toutes les objections, anciennes et renouvelées, dans la belle et complète Histoire de Notre Seigneur, que M. l'abbé E.-J. Darras publie en ce moment. Quant à moi, j'écris pour ceux qui sont dignes de se rendre au seul argument de JésusChrist. L'Évangile raconte la divinité de Jésus-Christ, et la divinité de Jésus-Christ prouve invinciblement la vérité de l'Évangile. Les négateurs se l'avouent. Ils prétendent suivre l'Évangile, mais ils le falsifient.

Il est certain que l'Évangile nous présente un spectacle inexprimable. Eperdue de ce que Dieu a fait pour elle et du peu qu'il lui demande en retour, l'âme, toute terrassée par l'évidence, se demande comment elle peut croire ce qu'elle ne comprendra jamais. Nous percevons bien, de loin, quelque chose créés de Dieu, créés à son image, nous entrons dans la voie de l'inaccessible, nous pressentons des sommets que nous n'atteindrons pas. Mais ce mystère de l'amour divin, cet abaissement de Dieu vers nos fanges, ces douceurs de sa parole, ces patiences de sa bonté, ces amertumes de son agonie, ces crachats, ces fouets, cette croix, ce sépulcre, et tout cela pour nous, et nous sommes ce que nous savons ! Qui nous expliquera l'excès de l'amour de Dieu ? Que portons-nous en nous-mêmes qui nous aide à le comprendre? Il le faut croire par l'unique raison que cet abîme, que rien n'explique, seul explique tout.

Refusons de croire que Dieu ait « à ce point aimé le monde » : nous n'avons plus le mot de rien, ni de Dieu, ni de l'homme, ni du monde. Or l'Évangile est plein de réalités palpables. Il est manifestement l'œuvre de témoins à qui il a été enjoint de déposer comme ils ont vu : « Dites: Ceci est, ceci n'est pas. Tout ce que l'on ajoute vient du Mauvais. » L'Évangile est la vérité du Dieu de vérité. C'est ce Dieu qu'il nous met dans les mains, qu'il livre à nos sens comme à notre raison et il n'y a chose au monde qui n'en rende hautement témoignage. Outre que l'Évangile est par lui-même toujours jeune, je suis trop assuré que beaucoup de lecteurs le trouveront encore très-nouveau. Chez les incrédules, l'ignorance de l'Évangile est ordinairement complète et totale; chez un grand nombre de chrétiens, elle n'est guère moindre. On sait l'Évangile par cœur, et on ne le connaît pas. On ne l'a pas lu avec suite, avec ordre, tel qu'il a été vécu ; on ne l'a ni entendu expliquer ni médité comme il faut. Quiconque ne voit dans l'Évangile que la lettre, n'y voit pas même la lettre ; et quiconque y cherche seulement la morale, n'y trouve pas la morale qu'il contient. Cet Évangile de la lettre et de la stricte morale n'est que l'écorce dévastée du véritable Évangile catholique; il est dépouillé de la beauté que Dieu voulut y mettre pour attirer nos cœurs et les attacher à Jésus-Christ par les chaînes de l'amour.

Ç'a été un dessein de Dieu que l'Évangile fût écrit comme nous l'avons, par quatre auteurs, en quatre parties, qu'il faut en quelque sorte démonter pour les ajuster les unes aux autres. Ainsi l'authen

ticité du livre divin est à l'abri du doute, et en même temps il ne peut jamais devenir une chose vulgaire. Si ce désordre provoque l'esprit de contradiction, il aiguillonne aussi l'esprit de foi à une étude constante. L'océan de la littérature sacrée est là pour démontrer que rien de plus pressant ne pouvait animer et féconder l'intelligence humaine. En dehors de l'interprétation proprement dite, le seul travail d'établir la suite chronologique, dont les évangélistes n'ont pas pris souci, a produit d'admirables lumières. L'histoire évangélique existe d'avance dans la volonté de Jésus-Christ comme dans les prophéties qu'elle vient accomplir. Les premiers pas du Sauveur s'engagent sur la route du Calvaire ; il y marche, sachant où il va, tenant impuissants ses ennemis et la mort aussi longtemps qu'il le veut; il arrive à l'heure éternellement fixée, et tout est consommé quand tout doit l'être.

Ce miracle général est la preuve de tous les autres ; comme tous les autres, il prouve l'amour de Dieu pour les hommes.

L'incrédulité conteste les miracles, parce qu'elle veut rejeter l'amour. Elle les conteste tantôt par une négation brutale, tantôt par des explications injurieuses. Elle déclare que le miracle n'est recevable ni en histoire ni en philosophie. Pressés de la parole du Sauveur, quelques << savants » accordent que Jésus a pu croire qu'il faisait ces choses impossibles à l'homme. Mais, disent-ils, il ne les a pas faites et ne les a pu faire, n'étant pas Dieu. Ainsi, parce que Jésus-Christ, selon ces savants, n'est pas Dieu, il n'a pas fait de miracles; et parce que, selon ces savants, Jésus-Christ n'a pas fait de miracles, il n'est pas Dieu !

La raison n'a pas à se contraindre pour suivre d'autres données. Elle croit les miracles, parce que l'Homme-Dieu les pouvait faire, parce qu'il devait les faire, parce qu'il atteste les avoir faits. Un Évangile sans miracles, ce serait là l'Évangile incroyable. Il faut que l'Incarnation teigne d'un reflet divin tous les actes du Sauveur qui n'ont que la marque ostensible de son humanité. Autrement, quand je vois un Dieu soumis à la faim, à la soif, à la fatigue, à la tristesse, se dérobant par la fuite, se donnant longuement la peine d'instruire des disciples à tête dure, souffrant les coups, les insolences, le dernier supplice, c'est alors que mon étonnement pourrait s'égarer jusqu'au doute. En toutes ces circonstances, Dieu paraît hors de la nature divine. Il y rentre lorsqu'il commande aux éléments, ressuscite les morts, institue l'incompréhensible Eucharistie. Comprendrait-on que Dieu fût descendu sur la terre et n'eût point fait de miracles ? J'ose dire qu'il nous les devait. Il était de sa justice de les prodiguer, pour aider notre faiblesse à supporter ses abaissements et à recevoir sa parole, par lesquels il venait nous sauver. Il venait « dans l'infirmité », afin de guérir des infirmes : double condition qui lui imposait les miracles. A des sourds il fallait ces signes, à des aveugles il fallait ces attouchements, à des paralytiques il fallait ces secousses. S'il ne s'était pas montré le maître de la nature, on demanderait ce qu'il

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