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Homme d'État plus que philosophe, Royer-Collard est nommé par Fontanes professeur d'Histoire de la Philosophie en Sorbonne : inauguré le 4 décembre 1811, cet enseignement, qui ne devait durer que deux ans et demi et qui n'était suivi que par vingt ou trente auditeurs, marque quelques-unes des directions du spiritualisme nouveau : il tourne contre la philosophie de Condillac la philosophie écossaise, comme celle-ci s'était tournée contre Hume. A la sensation Royer-Collard substitue la perception, car il estime que la perception est un acte de l'esprit aussi solide, aussi riche de notions (notre être, notre identité, la causalité même y sont contenus) que la sensation est un fait inconstant, fugace, pauvre, stérile. Empruntant à l'École écossaise l'idée de la véracité de nos facultés (car « on ne fait pas au scepticisme sa part »), il critique Descartes à qui il reproche son doute premier et sa défiance à l'égard des sens; de là selon lui procède tout l'idéalisme moderne. Chez Royer-Collard, les analyses, souvent courtes et limitées, sont parfois assez vigoureuses; surtout il sait user de formules expressives et même un peu massives.

Victor Cousin, en 1810, entre à l'École normale le premier de la première promotion. Il y a pour maître Laromiguière (en réaction timide contre Condillac qu'il a contribué à faire indûment passer pour un matérialiste). L'année suivante il est, à la Faculté, l'auditeur de Royer-Collard; puis un peu plus tard il entre en relations avec Maine de Biran : ce sont là ses trois maîtres français. Dès 1815 il est appelé par Royer-Collard à le suppléer à vingttrois ans le voilà donc dans cette chaire de Sorbonne d'où il devait prendre la direction d'une partie de la philosophie française ou plutôt de l'enseignement officiel de la philosophie en France. Orateur, écrivain, doué d'une prompte faculté d'assimilation, entrevoyant vivement ce qu'il eût fallu analyser avec méthode et discerner avec précision, se donnant à lui-même et donnant aux autres par la richesse de ces vues un peu confuses et par son ardeur autoritaire l'illusion de l'originalité, mais sans exactitude technique, Cousin, d'abord disciple des Écossais et de Royer-Collard, est ensuite, un peu comme tout le monde après le livre de Mme de Staël, attiré vers l'Allemagne. Au cours de deux voyages en 1817 et 1818, il rencontre Schulze à Göttingen, Schleiermacher à Berlin, Jacobi et Schelling à Munich, Goethe à Weimar, mais surtout Hegel à Heidelberg. A la suite de ce contact avec « les philosophes de l'absolu », la prudence des Écossais ne saurait plus le retenir; il se lance dans la métaphysique avec cette croyance optimiste que les choses et les doctrines sont telles qu'en un sens la raison peut les réintégrer toutes en elle: d'où cet Eclectisme qui prétend dégager la part de vérité contenue dans les systèmes les plus divers. Animé de cette inspiration, son cours de 1818 est l'origine du livre, plusieurs fois remanié, du Vrai, du Beau et du Bien. En 1820, pendant la réaction qui suivit l'assassinat du duc de Berry, il est suspendu de son enseignement; il s'adonne à des études d'Histoire de la Philosophie, notamment à la traduction de Platon. De 1824 à 1825 il fait un troisième voyage en Allemagne arrêté à Dresde, il est incarcéré à Berlin sous l'inculpation de Jacobinisme et de Carbonarisme. Le cours qu'il reprend en 1828 traduit de plus belle, mais sans rigueur, l'influence allemande par quelques formules panthéistiques dont, pour ne pas

compromettre sa carrière et l'Université, il a dans la suite à se dégager et à se disculper; il y exprime aussi la théorie hégélienne des hommes providentiels qui représentent une époque et qu'il ne faut pas juger selon la commune mesure. Peu à peu les éléments divers qu'il avait empruntés se tassent en quelques thèses d'école ; telle, la théorie selon laquelle la métaphysique se fonde sur la psychologie, théorie qu'il tire du Cogito cartésien et de la doctrine biranienne superficiellement et même inexactement comprise; telle, la défense contre Locke de l'innéité à l'aide de Kant qu'il ne connut guère que par une mauvaise traduction latine; telle encore, sa théorie de la raison impersonnelle; telles en fin, ces vues artificielles sur l'Histoire de la Philosophie qui se diviserait en moments successifs selon un rythme constant, sensualisme, rationalisme, scepticisme, mysticisme.

S'il est élève de Cousin, Théodore Jouffroy n'a pas été marqué comme lui par l'Allemagne : il est plus précis, plus circonspect, plus intérieur; le problème humain le préoccupe avant tout. Plus psychologue que métaphysicien, son sentiment philosophique, qui est profond, est lié à des besoins d'âme : sur la distinction de la psychologie d'avec la physiologie et sur le genre d'analyses qu'elle comporte; sur l'art et le beau, expression de l'invisible par le visible; sur le droit naturel et la morale, sur la destinée humaine, il a de belles pages; et, en dépit des sévérités de Taine, sa pensée a de l'accent et de l'intérêt.

A l'école éclectique se rattachent Damiron, Saisset, Bouillier, Jules Simon, Caro et Paul Janet. Vacherot, s'il reste en psychologie et en morale assez fidèle à l'école éclectique qu'il enrichit de travaux historiques notamment sur l'Alexandrinisme, s'en sépare en métaphysique par l'opposition qu'il croit voir entre l'Infini et le Parfait, entre le Dieu réel et le Dieu idéal.

Très indépendant de toute proche influence, Ravaisson s'incorpore Aristote, pousse Maine de Biran vers Schelling, rejoint l'idée religieuse et la métaphysique, et, faisant de la réflexion sur soi le moyen d'atteindre l'Etre, s'attache à un profond réalisme spiritualiste. Dans son originalité de savant, de croyant et de libre esprit, Cournot distingue l'ordre logique et l'ordre rationnel profond, constitue une théorie du hasard, renouvelle le probabilisme antique et s'établit dans une position intermédiaire entre le positivisme et la métaphysique. Renan, un Hegel littérairement relevé, philosophiquement affaibli, aussi peu systématique que Taine l'est avec excès, dévot de la Science et de son avenir illimité, épris surtout des études historiques et philologiques qui analysent en ses nuances les plus subtiles l'évolution humaine où Dieu même est en devenir, relève ce culte de la Science par la conception à la fois pieuse et ironique d'un idéal d'autant plus stimulant qu'il est plus indéterminé et qu'on doit s'y dévouer sans en être dupe. Taine, usant d'une méthode d'analyse à la Condillac, tout en s'inspirant de la pensée anglaise, montre les insuffisances de l'empirisme de Stuart Mill, et tout en tirant de Spinoza et de Hegel les principes généraux d'une philosophie de la nécessité, la borne à un déterminisme des phénomènes, sans admettre d'objets propres pour la métaphysique, et, marquant fortement l'influence du physique sur le psychologique, tente une physiologie de l'esprit. Renouvier, par sa protestation même contre tout le mysti

cisme post-kantien de la spéculation allemande, garde le sens français de la personnalité et du fini, et demeure réfractaire au Panthéisme et à son Infini indéterminé, sorte de Hume corrigé par l'idée de la nécessité de catégories a priori; avec Lequier, il voit dans la certitude un cas particulier de la croyance et défend le libre arbitre avec une extrême énergie. Lachelier, dans la plus belle langue philosophique, combat le positivisme avec un sentiment très profond des grands besoins de l'esprit, transsubstantie Kant en le mettant en rapport avec les grands rationalistes de l'antiquité et en reconstituant l'unité rompue de la spéculation et de la vie morale et religieuse. Ribot renonce pour sa part à traiter les problèmes anciens dans l'esprit ancien; ce qu'il veut, c'est constituer une psychologie vraiment indépendante, capable de montrer sans exclusion comment ces problèmes se sont posés et capable d'élargir sans préjugé son enquête en l'étendant à toutes les formes de la vie normale ou pathologique, de l'activité subconsciente ou de l'expérience religieuse. Fouillée, de façon brillante, quoique souvent trop peu technique, s'efforce de dominer l'opposition de l'idéal et du réel, de la fixité et de l'évolution, estimant qu'un idéalisme doit doubler le positivisme, car si la réalité doit être comprise par la science, l'homme conçoit d'autres idées qui sont, par cela même qu'il les conçoit, et qui ont une force certaine de réalisation. Guyau ajoute un sens plus intense de la vie. Ollé-Laprune, renouvelant l'humanisme chrétien par sa fidélité à la culture classique et à la tradition catholique, s'attache à déterminer les conditions rationnelles et volontaires de la certitude morale comme à préciser les termes philosophiques du pro-blème religieux. Parmi les vivants, un seul nom figure dans les notes de Delbos, celui du maître qui l'avait initié aux méthodes de l'Histoire de la Philosophie, M. Boutroux. Donc « la philosophie française a continué, elle continue: philosophie humaine, ne s'arrêtant jamais à ces abstractions qui anéantissent l'homme dans l'objet, ni à ce symbolisme où l'on se perd; bon sens poussé parfois jusqu'au génie; ardeur de prosélytisme et besoin d'universalité. » En terminant, Victor Delbos adresse un salut « à ceux qui devraient être ici et qui n'y sont pas », aux étudiants soldats; et, faisant allusion au dénigrement dont chez nous ou à l'étranger la jeunesse de France avait été souvent victime, il conclut : « Nous pouvons maintenant dire qu'elle a été la plus belle, la plus héroïque des jeunesses. »> M. B.

FIN

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