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et de leur histoire. Sur un point cependant, je ne suis pas d'accord avec l'auteur. Dans mon livre sur l'Amérique et le rêve exotique (p. 208), j'étais arrivé à propos des lois des Sevarambes à une conclusion peu favorable, reproduite par M. Atkinson, et qu'il déclare difficile à comprendre étant donnée "the mild nature of the laws of the Sevarambes" (p. 125 n.). Si l'on s'en rapporte uniquement aux citations et au résumé de M. Atkinson il semble bien avoir raison. Après avoir de nouveau consulté le texte complet, je me sens beaucoup moins convaincu. Il est vrai que la peine de mort n'existe pas chez les Sevarambes; mais immédiatement après les lignes reproduites par M. Atkinson, Vairasse avait ajouté que dans les prisons "on est obligé de travailler beaucoup et l'on y est souvent châtié, et de temps en temps les coupables sont promenés dans les rues pour y être publiquement fouëtés autour du Palais et puis ramenés en prison jusqu'à ce que le temps ordonné pour leur châtiment soit expiré." (II, 48.) Si ce passage ne suffisait pas à justifier mon opinion je renverrais M. Atkinson à une description détaillée et assez atroce de l'application du fouet (1, p. 132). Je remarque de plus qu'en maints autres endroits Vairasse lui-même insiste sur le caractère rigoureux des lois, bien loin de parler de leur "mild nature," comme le fait M. Atkinson. La médisance et la calomnie sont sévèrement punies par les lois (II, p. 7); l'ivrognerie leur est inconnue "car outre qu'elle serait rigoureusement punie, il leur serait difficile d'avoir de quoy s'enivrer" (II, 9); trois choses empêchent la mauvaise conduite chez les jeunes filles "sçavoir la rigueur des lois, la rareté des occasions

."; enfin et surtout, je rappellerai le passage suivant à savoir que chez les Sevarambes, "il n'y a que les vicieux et les perdus qui veuillent s'écarter de la règle commune et faire des actions contraires à la coutume et aux maximes approuvées de tout le monde. Parmy les Sevarambes l'exemple des vicieux incorrigibles ne va jamais guéres loin, car on les châtie très sévèrement, et quand on voit qu'ils ne s'amendent point on les envoye aux mines loin de la société des honnêtes gens" (II, p. 8). On sent combien peut être dangereuse, même chez les Sevarambes, l'application de ce dernier principe de gouvernement et à quoi peut mener cette épuration intégrale de la société.

Les idées de Vairasse et son tableau de la vie des Sevarambes sont trop complexes pour qu'il soit possible de les discuter dans

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un compte rendu. M. Atkinson les a fidèlement et sobrement analysées, sans peut-être toujours les commenter assez. A côté de l'exposé des idées de Vairasse sur la religion, idées qui sentent terriblement le fagot, il aurait pu noter au moins en passant les précautions prises naïvement par l'auteur pour se protéger contre les censeurs et ses professions de foi chaleureuses en "la Religion ancienne, Orthodoxe, Catholique et Romaine, hors de laquelle il n'y a point de salut" (II, p. 226). Personne sans doute ne s'y trompait; mais le procédé est au moins amusant et sera repris on sait combien de fois au dix-huitième siècle.

C'est avec le Télémaque de Fénelon, d'après M. Atkinson, que le "voyage extraordinaire" atteint à la perfection. On y retrouve l'esprit des récits de voyages plutôt que des emprunts à des relations déterminées ou des souvenirs précis; mais le fait que l'intention didactique et la satire sociale y sont alliées à des aventures de voyage dans des pays mal connus des gens du dix-septième siècle, suffirait pour faire ranger le roman utopique de Fénelon dans le groupe des voyages extraordinaires. Comme on pouvait s'y attendre, c'est la partie la moins neuve et la moins originale de l'étude de M. Atkinson.

Dans ce travail très précis et très détaillé, l'auteur a donné un excellent résumé d'ouvrages encore trop peu connus et incomplètement situés. Il a tenu compte des résultats acquis par ses prédécesseurs et a fait lui-même assez de découvertes pour que son livre soit indispensable à qui veut étudier les premières manifestations de l'esprit philosophique en France à la fin du dix-huitième siècle. Je ne vois guère qu'une omission importante à signaler, celle de la thèse de M. Felix Emil Held sur Johann Valentin Andreae's Christianopolis, an ideal state of the seventeenth century, The Graduate school of the University of Illinois, 1914, dans laquelle on trouve (pp. 7 et 8) un certain nombre de rapprochements avec les Sevarambes. Il s'en faut d'ailleurs que tout ait été dit sur la Terre Australe, sur les Sevarambes et sur toutes ces utopies qui apparaissent au dix-septième siècle. Si nous sommes aujourd'hui passablement renseignés sur les grands courants religieux de cette période, il est bien des manifestations secondaires qui nous échappent encore. Ce ne sont pas seulement les romanciers utopistes qui dans leurs imaginations créaient l'état idéal, bien des réformateurs s'efforçaient de le réaliser. M. Atkinson, à propos

des Hermaphrodites de la Terre Australe, rappelle très justement un passage de Bayle sur la visionnaire Antoinette Bourignon, né en 1616 et morte en 1660. Foigny, et surtout Vairasse, érudits confus et esprits inquiets, catholiques renégats et protestants de nom, évidemment aussi peu à l'aise dans le calvinisme que dans l'orthodoxie catholique, ont dû, au cours de leurs lectures et de leurs voyages rencontrer bien d'autres hérésies et bien d'autres bizarreries politico-religieuses. On pourrait se demander si Foigny n'a pas emprunté aux Adamites quelques-unes de ses théories sur la nudité; si Vairasse n'avait pas entendu parler des Frères Moraves, peut-être des Vaudois, et plus probablement encore des Labadistes. Il est très vraisemblable qu'il a connu au moins de nom ce singulier Jean Labadie, mort trois ans avant la publication des Sevarambes, et qui, après avoir renoncé au catholicisme et avoir vainement essayé de s'accommoder du calvinisme de Genève, avait fondé en Hollande une secte dont les initiés vivaient en commun, mangeaient en commun et croyaient que des unions entre fidèles naissaient des enfants qui n'avaient point part au péché originel (sur Labadie, consulter James Bartlett Burleigh, The Labadist colony in Maryland, Johns Hopkins studies in historical and political science, XVIII, 6, 1899). On trouverait ainsi que ces utopies singulières doivent encore plus à la réalité et à la vie que nous ne pensons. Dans tel coin de la Hollande ou de l'Allemagne ont certainement existé de petites sociétés, quelquefois tolérées, souvent persécutées qui, en plus d'un point, ressemblaient à la Terre australe et au pays des Sevarambes et qui ont pu au moins fournir quelques idées aux auteurs de récits de voyages imaginaires.

Ce compte-rendu allait paraître quand un nouvel ouvrage de M. Atkinson m'est parvenu. Ce volume, écrit en anglais, bien que publié en France, contient tout d'abord un résumé assez étendu (pp. 1-26) de l'ouvrage précédent. Au point de vue de la composition, le livre est assez mal balancé: je me refuse à considérer comme des "chapitres" la note de 4 pages consacrée à l'Histoire de Calejava de Claude Gilbert, ou la note de 3 pages sur Lahontan and the "good savage." L'appendice I sur Bordelon, Bougeant et Lesconvel, aurait fort bien trouvé place dans une note de l'Introduction; les indications sur les "illustrations" et les gravures de De Bry (Appendice III, xiv et xv) auraient dû être mises en notes au chapitre sur le Voyage de François Leguat. Par contre, les

chapitres sur Le Voyage de François Leguat de Maximilien Misson et sur Les voyages de Jacques Massé de Tyssot de Patot contiennent quantités de renseignements nouveaux et intéressants dont quelques-uns sont de vraies trouvailles. M. Atkinson a le premier prouvé que le Voyage de Leguat accepté comme authentique dans des ouvrages aussi récents que la Grande Encyclopédie ou l'Encyclopaedia Britannica est, à n'en point douter, une compilation sans originalité d'un écrivain assez obscur, Maximilien Misson. François Leguat considéré pendant longtemps comme une autorité par les naturalistes n'a jamais existé que dans l'imagination de Misson, sur ce point aucun doute ne saurait subsister. Je ne suis pas certain que les indications sur les sources de Misson données par M. Atkinson tant dans le chapitre sur le Voyage de Leguat que dans l'appendice soient toutes exactes. Lui-même serait le premier à en convenir, sans doute. Les auteurs indiqués par M. Atkinson ont largement utilisé leurs prédécesseurs et sont loin d'être originaux; c'est souvent le cas de du Tertre, et encore plus souvent le cas de Rochefort. De ce que les arbres reproduits dans les gravures de Misson ont une forme sphérique, il ne s'ensuit pas qu'il a consulté les planches du Voyage to Jamaica où les arbres. affectent la même forme. Les arbres sphériques abondent dans les vieilles gravures et sont la règle plutôt que l'exception. Mais ce sont là des détails. Il ne vaudrait guère la peine de refaire l'histoire des descriptions des chauves-souris ou du paille-en-queue (mentionné sous un bien plus vilain nom déjà, par Thévet, si je ne me trompe), l'essentiel est que nous sachions désormais qu'il s'agit là d'une supercherie littéraire et non d'un récit authentique. On s'étonne seulement après avoir lu la démonstration de M. Atkinson que les naturalistes aient pu s'y tromper si longtemps.

Les deux chapitres sur Simon Tyssot de Patot constituent l'étude la plus documentée qui ait paru jusqu'à ce jour sur ce singulier professeur de mathématiques qui, sous le masque de récits de voyages, expose les idées les plus hardies et les moins orthodoxes. Là encore, on pourrait chicaner M. Atkinson sur quelques détails. Il n'est point du tout certain que le récit de la tempête (p. 90) ait été emprunté à la Relation de Dellon; il vient tout droit de Rabelais et ce n'est sans doute pas le seul souvenir de son œuvre que l'on trouverait tant chez Misson que chez de Patot. D'ailleurs, les rapprochements indiqués par M. Atkinson sont en général

plus convaincants. Il me permettra cependant de lui adresser en terminant une critique qui à mon avis est la plus sérieuse que l'on puisse faire sur ses deux ouvrages. Si désormais, grâce à lui, nous sommes parfaitement renseignés sur les sources utilisées par les auteurs de voyages extraordinaires pour maint trait de mœurs ou de couleur locale, nous savons moins exactement où ces auteurs ont emprunté leurs idées sociales et philosophiques et comment ils se rattachent aux courants d'idées qui commençaient à se manifester de leur temps. Sur ce dernier point, M. Atkinson, si prodigue de rapprochements quand il s'agit d'histoire naturelle, se montre singulièrement réservé et n'ajoute que peu à ce qui était déjà connu. Il nous indique lui-même cependant, en note (p. 80), que la philosophie de Descartes, Hobbes, Gassendi et Arnaud est mentionnée par Tyssot de Patot. Ailleurs (pp. 88 et 97), il nous dit que M. Lanson avait déjà noté que Tyssot pouvait devoir quelque chose à Fontenelle et avait signalé des ressemblances avec Saint-Evremond et Spinoza. On peut se demander si ce n'est pas sur cette voie que l'auteur de ce travail, qui représente des recherches considérables et fort consciencieuses, aurait dû aiguiller son enquête. Il y a là un "bel os à moelle" qui promet la plus "substantificque " récompense à qui aura le courage de s'y attaquer. Personne n'était mieux préparé que M. Atkinson pour le faire avec succès et l'on peut regretter qu'il ne l'ait point fait.

Johns Hopkins University.

GILBERT CHINARD.

Young Boswell: Chapters on James Boswell, the Biographer, based largely on new material. By CHAUNCEY BREWSTER TINKER. Boston: The Atlantic Monthly Press, 1922.

Young Boswell makes an irresistible appeal to readers whose interest in the eighteenth century is broad rather than deep. Its easy style and clear narrative manner, together with just enough of the author's own half-suppressed humor to suggest those delightful lectures which Yale graduates look back on with delight, combine to give the book a peculiar charm.

If anyone supposes that the publication of a new series of bio

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