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l'excès. J'avais les oreilles tendues pour ne rien perdre de ce qui sortait de la bouche de ce grand homme, qui dit mille choses aimables et spirituelles avec cette grâce facile qui charme dans tous ses ouvrages, mais dont le trait rapide frappe plus encore dans la conversation. Sans empressement de parler, il écoute tout le monde avec une attention plus flatteuse que celle qu'il a peut-être jamais obtenue lui-même. Sa nièce dit quelques mots : ses yeux pleins de bienveillance étaient fixés sur elle, et le plus aimable souris sur sa bouche. Dès que M. Poissonnier eut assez parlé de lui, il voulut bien céder sa place. Pressée par un vif desir, par une sorte de passion qui surmonta toute ma timidité, j'allai m'en emparer. J'avais été un peu encouragée par une chose aimable qu'il avait déjà dite sur moi; son air ses regards, sa politesse avaient banni toutes mes agitations, et me laissaient toute entière à mon doux enthousiasme. Jamais je n'avais rien éprouvé de semblable; c'était un sentiment nourri, accru pendant dix ans, dont, pour la première fois, je pouvais parler à celui qui en était l'objet je l'exprimai dans tout le

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désordre qu'inspire un si grand bonheur. M. de Voltaire en parut jouir il arrêtait de tems en tems ce torrent par des paroles aimables: Vous me gâtez, vous voulez me tourner la tête et quand il put me parler de tous ses amis, ce fut avec le plus grand intérêt! Il me parla beaucoup de vous, de sa reconnaissance pour vos bontés ', c'est le mot dont il se servit; du maréchal de Richelieu. Combien, me dit-il, sa conduite m'a surpris et affligé ! Il parla beaucoup de M. Turgot: il a, dit-il, trois choses terribles contre lui, les financiers, les fripons et la goutte. Je lui dis qu'on pouvait y opposer ses vertus, son courage et l'estime publique. Mais, Madame, on m'écrit que

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M. Suard, dans son discours de réception à l'Académie, en 1774, avait fait un grand éloge de M. de Voltaire. En 1772, M. l'abbé Delille et M. Suard avaient été élus le même jour par l'Académie. Le maréchal de Richelieu, qui voulait y faire entrer ses protégés, poursuivit Louis XV pour l'engager à rejeter l'un et l'autre choix, et y parvint en les lui représentant comme deux encyclopédistes. C'est à l'occasion de cette nomination, qui avait si fort con trarié le maréchal, qu'il renonça à venir aux séances de l'Académie: C'est, disait-il, un despotisme intolérable: chacun y fait ce qu'il veut.

Porn lang margraff 5-1-37 33989

VOYAGE

DE FERNE Y.

LETTRE DE L'AUTEUR,

POUR SERVIR DE PRÉFACE.

Vous voulez donc, mon ami, publier ces lettres, qui n'ont été écrites que pour vous seul, et qui n'étaient guères destinées aux honneurs de l'impression? Vous connaissez mon enthousiasme pour M. de Voltaire : vous saviez que j'avais été nourrie, pour ainsi dire, dans l'admiration pour ce grand homme; que dans un voyage qu'il avait fait en Flandres, il était allé voir mon père, qui avait un très - beau cabinet de physique. Cette visite avait laissé des traces; on se la rappelait souvent dans ma famille, où ses beaux ouvrages étaient vive

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ment appréciés et sentis. Entourée, depuis mon mariage, de tous les amis et de tous les admirateurs de M. de Voltaire ; amusée, ou enchantée sans cesse par le charme de ses écrits, mon enthousiasme pour lui n'a pu que s'accroître encore. Comment ne pas admirer celui qui emploie son génie à défendre les opprimés ; à parler de Dieu comme du père commun de tous les hommes; de la tolérance comme du plus sacré de leurs droits et du plus cher de leurs devoirs ? J'ai toujours été disposée à croire que les vertus sont en proportion du sentiment de bonté et d'humanité que chaque homme porte dans le cœur. Eh! en quel homme trouve-t-on ce sentiment plus profond, plus agissant que dans M. de Voltaire? Cet intérêt généreux qu'il portait aux opprimés, l'a accompagné jusqu'à son dernier souffle; et dans son agonie même, ses dernières peu

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