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entièrement énervé la musique italienne, et transformé en ramage celui de tous les arts qui a le plus d'empire sur les mœurs et sur les affections de l'ame. Je dois vous observer, mon révérend père, que notre poésie, sans être métrique comme celle des grecs et des latins, ni aussi cadencée que la vôtre, ne laisse pas d'avoir ses mouve- . mens particuliers, plus ou moins ressentis et que ceux qui y dominent le plus, répondent parfaitement à l'ïambe et à l'anapeste, c'est-à-dire, aux deux pieds les plus propres à exprimer le mouvement et l'action.

C'est ce qu'a très-bien senti le chevalier Gluck : aussi, loin d'ensevelir les mots dans une multitude innombrable de sons, n'a-t-il guères plus employé de notes qu'il n'y a de syllabes dans les vers; mais ces notes sont toujours vraies, toujours passionnées, toujours prises dans le sanctuaire de la

nature.

S'il se permet quelques prolations, ce n'est que fort rarement, et seulement pour imiter ces accens ou de la joie, ou de la douleur, ou du désespoir, qui coupent ou élèvent, ou prolongent la parole, et dont

l'effet est d'autant plus grand qu'ils sont l'expression immédiate de l'ame, au lieu que les mots ne sont par eux-mêmes que des signes conventionnels et arbitraires.

Lorsque le vers masculin, dont la chute est très-brusque et la terminaison trèssèche dans notre langue, se montre trop souvent, de sorte que le musicien ne peut plus donner à sa phrase l'espace nécessaire pour former un chant agréable, et qu'il est forcé d'y trouver des trous et des vides, que fait le chevalier Gluck? Il jette habilement les notes de liaison dans les parties de l'orchestre; et par ce moyen, non-seulement il ne laisse plus apercevoir de lacunes, mais il donne à sa phrase la rondeur et le mouvement dont elle a besoin, sans faire la moindre violence à la prosodie. Venons au récitatif: on ne peut se dissimuler l'intérêt de vos drames ne se trouve principalement dans la scène que ce ne soit sur-tout dans la scène que votre musique manque d'intérêt. Vos compositeurs négligent-ils le récitatif, parce que le spectateur ne l'écoute pas? ou le spectateur dédaigne-t-il de l'écouter, parce que le compositeur le néglige? c'est ce que

que

et

j'ignore, et ce qu'il est inutile d'examiner. Toujours est-il certain que ni les uns ni les autres n'y font aucune attention, et que tous abandonnent le tronc pour ne s'attacher qu'aux branches; branches que le plus souvent il faudrait élaguer. Car vous conviendrez avec moi, mon révérend père, que la plupart des couplets qui terminent vos scènes, et que nous appelons airs et ariettes, sont autant de parties hétérogènes et superflues. Voilà cependant les seuls endroits pour lesquels le compositeur et l'auteur réservent tout leur talent, et le spectateur toutes ses oreilles; mais lors même que le poëte a su lier ces parties à l'action, quelle est la manière dont elles sont traitées par le musicien, et qu'y trouvet-on? Des passages déchiquetés et à filagramme comme les ornemens de l'architecture gothique; des fusées, des cascades et des traînées éternelles de sons, qui peuvent faire quelque honneur au gosier du chanteur, mais en déshonorant le cómpositeur qui, d'un spectacle destiné à attaquer l'ame et à remuer les passions, ne rougit pas de faire une volière de serius et de rossigpols.

Je rends justice, mon révérend père, à vos récitatifs obligés; ils sont d'une grande éloquence et d'un effet surprenant; mais voyez l'abus qu'on est parvenu à en faire ; l'unique objet de ceux qui les premiers les ont introduits, a été de faire annoncer, et plus souvent de faire commenter et fortifier par l'orchestre le sentiment, la passion, la situation de l'acteur; aujourd'hui on ne laisse pas à l'acteur le tems d'exprimer ni la situation, ni le sentiment qui l'anime, ni la passion qui l'agite; il ne profère plus un seul mot auquel l'orchestre n'attache une longue queue, c'est-à-dire, qui ne soit commenté ou plutôt parodié par les instrumens comment n'a-t-on pas senti que cette affectation ridicule faisait d'un des plus riches moyens de l'art, une imitation purement bouffonne ?

Maintenant, mon révérend père, jetez les yeux sur les partitions d'Orphée, d'Iphigénie et d'Alceste ; vous y verrez que c'est à la scène tant négligée par les italiens que le chevalier Gluck s'est particulièrement appliqué; que le récitatif vient s'y lier naturellement au chant mesuré; que le chant mesuré se perd et se fond dans le récitatif;

qué ces deux manières de procéder se font valoir réciproquement, quand dans les opéras italiens, elles n'ont aucun rapport, aucune analogie, rien en un mot qui conduise de l'un à l'autre. Vous admirerez comment ces récitatifs sont plus ou moins ressentis, plus ou moins chantés, selon que les personnages sont plus ou moins intéressés à l'action. Quant aux récitatifs obligés, vous n'y verrez jamais l'acteur arrêté ni interrompu mal-à-propos par l'orchestre ; ce n'est que pour donner à ses sentimens plus d'énergie et d'effet que les instrumens viennent prendre sa place.

Il faut que je vous entretienne un moment des chœurs; il est fâcheux, mon révérend père, que vos poëtes n'en fassent aucun usage, ou du moins qu'ils ne les lient pas au corps de l'action; ils vous privent d'un des plus puissans effets de la musique dramatique; nous les avons toujours employés dans nos opéras; mais jusqu'au chevalier Gluck, rangés et immobiles comme des tuyaux d'orgue, ils se bornaient à exécuter des morceaux d'harmonie et de contrepoint qui pouvaient faire quelque plaisir aux oreilles, mais en portant le trouble et

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