Obrazy na stronie
PDF
ePub
[ocr errors]

Les thibétains se trouvaient, quand M. Turner arriva chez eux, dans une circonstance bien heureuse et bien importante. Le lama, éloigné depuis quelque tems de sa demeure terrestre, c'est-à-dire, mort dernièrement de la petite vérole, avait enfin daigné reparaître au milieu de ses adorateurs. Des signes certains avaient manifesté la naissance d'un petit lama. M. Turner le vit, lui parla; il avait alors dix-huit mois, recevait fort bien les ambassadeurs, écoutait leurs harangues. A la vérité il n'y répondait pas; mais d'ailleurs il soutenait avec beaucoup de dignité sa qualité de dieu; qualité qui au reste n'est pas rare dans cette partie du monde; car il y en a trois pour gouverner le Thibet, chacun souverain dans son pays et immortel selon l'usage. Mais les thibétains ne s'en tiennent pas là: ils ont d'autres dieux dans le ciel ; ils en ont dans tous les chemins, sur toutes les montagnes; et la nuit personne ne sort de sa maison de peur des démons qui sont, comme on sait, les maîtres de la terre dès que le soleil est couché.

Un de leurs dieux, nommé Krischna, l'Apollon des Indes, est célèbre par sa

galanterie. Rencontrant un jour les neuf Koulis, apparemment les Muses, il prit le parti de se multiplier pour leur offrir à chacune un compagnon. Ce Krischna pourrait bien être le même qu'un certain Kisna dont j'ai lu ailleurs l'histoire, qui passait sa, vie à voler les vases des laitières, et à cacher les habits des femmes qu'il surprenait au bain. Un jour, mécontent d'un peuple qu'il gouvernait, Kisna le détruisit, et n'en réserva pour lui que seize mille femmes qu'il emmena dans le ciel, dont il n'est plus sorti depuis ce tems-là. Si c'est là un des dieux des thibétains, il ne les a assurément pas formés à son image. De tous les pays, le Thibet est celui où les femmes sont le moins recherchées. L'usage est de n'en avoir qu'une pour tous les frères d'une même famille, et c'est l'aîné qui choisit; car on rencontre par-tout cette aristocratie de primogéniture. Une fille peut d'ailleurs avant le mariage, se livrer à tous ses goûts; personne ne lui en sait mauvais gré. On la destine ensuite à faire le bonheur de quatre ou cinq maris; mais passé cela, il faut qu'elle garde une certaine, réserve.

Dans le Boutan, pays voisin et dépendant

du Thibet, quoique gouverné par un raja particulier, le célibat est en honneur, et le mariage ferme la porte aux dignités. Au Thibet, ce lien est regardé comme un joug honteux; on le laisse aux gens du peuple; encore voit-on comment ils s'en soulagent. Tout près de là, dans le Conch-Bahar, l'usage autorise à mettre sa femme en gage et à vendre ses enfans. Au Boutan, ce sont les femmes qui labourent la terre: ce pays n'est pas aussi avancé que le Thibet pour la civilisation. Par exemple, on monte par une échelle à la maison du raja, et ce prince nettoie lui-même, avec sa langue, la tasse dans laquelle on lui a servi du thé. Mais il a des forteresses, des maisons d'été et d'hiver, de grands officiers et un médecin qui est obligé de prendre toujours la moitié des médecines qu'il présente à son maître ne fussent-elles pas de son ordonnance.

le

Au Thibet l'imprimerie est connue ; cercueil du lama est d'or pur, ainsi que sa statue; ses chapelets sont de perles et de corail, mais il n'a pas de cheminée pour se chauffer, quoiqu'il y gele quelquefois.

Dans le Thibet et le Boutan, les souve rains sont prêtres; ceux qui les approchent

sont aussi, pour la plupart, des prêtres : la moitié de leurs sujets sont prêtres, reclus ou recluses; le reste vit dans le plus entier éloignement des pratiques religieuses, mange de la viande, boit des liqueurs, et n'observe qu'à peine le précepte de l'ablution. Où chercher la cause de cette étonnante différence ? Moins peut-être dans la forme d'un gouvernement théocratique que dans sa position par rapport à d'autres états plus puissans auxquels il est subordonné par sa faiblesse, tandis qu'il paraît les régir par l'opinion, et qui semblent l'entretenir dans cette faiblesse, afin de pouvoir lui conserver sans inconvéniens cette apparence de supériorité due au caractère sacré dont il est revêtu.

Car le lama est le chef de la religion des chinois; quand il daigne se rendre à Pékin, l'empereur envoie ses fils au-devant de lui, fait bâtir sur sa route des maisons tout exprès pour l'y recevoir; et dans ses états le lama ne peut laisser entrer aucun étranger sans la permission de l'empereur. En cas de mécontentement ou de méfiance, celui-ci envoie des troupes dans la forteresse du lama, un général et une armée dans sa

capitale, et ensuite se recommande à ses prières.

par

Ainsi, toujours dominé, contenu, protégé

les états qui l'environnent, l'empire du dalai-lama est au milieu de l'Asie, comme un vaste couvent de moines qui, en se gouver nant dans l'intérieur d'après ses règles par. ticulières, suit, pour les affaires du dehors, les lois de l'état dans lequel il subsiste, dont les richesses l'alimentent, dont le respect fait toute son existence. On peut bien s'agiter dans les murs du monastère, former des ligues, des cabales, des intrigues, pour parvenir aux dignités de l'ordre ; mais elles n'influeront en rien sur la forme extérieure de l'association, et les vassaux qui en dépendent ne dormiront pas moins tranquilles. De tems en tems seulement un d'entr'eux, qui, en faisant des commissions dans le couvent, aura été séduit par l'abondance qui y règne, sentira les atteintes de l'ambition, et sacrifiera sa liberté pour par venir aux honneurs; mais avec les honneurs il ne désirera point les richesses. De quoi lui serviraient-elles dans une institution où le rang règle la forme des habits, et la reli gion le genre de la nourriture? Il ne con

« PoprzedniaDalej »