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D'UNE LETTRE D'IRLANDE.

E

Me voilà dans le pays des fées, qui n'est pourtant pas celui des enchantemens. Nulle part on ne rencontre autant de fées qu'en Irlande. Il en habite une sur chaque monticule; il en passe une dans chaque tourbillon de poussière, et le paysan qui les rencontre ne manque pas de leur dire: Dieu vous bénisse. Appartiennent-elles à l'ancienne mythologie ou aux nouveaux dogmes, sont-elles chrétiennes ou payennes, sorcières, anges ou diables, c'est ce que je ne sais pas, et je crois que les bons irlandais y ont encore moins pensé que moi. Ils sont d'ailleurs très-attentifs à se conserver la bienveillance de ces êtres merveilleux, en respectant les collines sur lesquelles elles ont établi leur habitation. Il y avait autrefois un grand avantage à être bien avec les fées; elles prenaient soin des voyageurs, les transportaient endormis dans des palais souterrains, où elles leur faisaient goûter toutes sortes de plaisirs. Il paraît qu'à pré

sent elles se communiquent moins, et vivent un peu sur leur ancienne réputation.

Un de leurs emplois était d'annoncer les morts. Elles avaient le même privilége dans le nord de l'Ecosse, où elles étaient connues, comme en Irlande, sous le nom de Banshées. Lorsqu'il devait mourir une personne considérable, la Banshee paraissait dans les environs sous la figure d'une vieille femme, et faisait entendre une voix plus qu'humaine. Les peuples les moins civilisés sont en général ceux qui paraissent attacher le plus d'importance à la mort; mais il semble qu'ils l'aient considérée comme un grand événement plutôt que comme un malheur; qu'elle les étonne plus qu'elle ne les afflige. Elle est chez eux accompagnée de prodiges plutôt que de regrets. Je n'ai où elle fut enpas vu de pays vironnée de plus d'appareil qu'en Irlandé, et peut-être de moins de respect et de douleur. De toutes les calamités de la vie, la plus grande pour un irlandais, serait de ne pouvoir se préparer un bel enterrement. De toutes les cérémonies, celle qu'il consentirait le moins à manquer, c'est un enterrement. On s'occupe dans les dernières années

de sa vie à économiser pour ses funérailles, et un mendiant vous demande de quoi se faire enterrer. On se rend à l'enterrement quelque part que l'on sache qu'il s'en fait un; on le suit en quelque lieu qu'il passe ; mais ce qu'il y a de plus couru, ce sont les veillées des morts..

Sitôt qu'un irlandais a rendu le dernier soupir, sa famille s'assemble devant sa cabane, et par un hurlement qui se répète en choeur, avertit tout le voisinage. Hommes, femmes, tout le monde accourt; et quand la nuit vient, on place le mort dans une grange; on s'assemble tout autour, et le hurlement recommence : il a des règles, une mesure connue, et doit durer un certain tems. Les vieilles femmes sont fort recherchées dans ces sortes d'occasions, parce qu'elles ont la voix perçante et se font entendre de loin. Bientôt on distribue des gâteaux, des pipes et de l'eau-de-vie; on parle du mort, puis des affaires du tems, puis du tems passé. Les pipes et l'eau-de-vie se renouvellent, les vieux s'endorment, les jeunes s'éveillent, les discours finissent, et les jeux commencent; et, dit le proverhe irlandais, il se fait à l'enterrement

plus de mariages qu'à la noce. Aussi la veillée des morts est-elle pratiquée, nonseulement dans toute l'Irlande, mais encore à Londres et dans tous les endroits de l'Angleterre où il se trouve un certain nombre d'irlandais réunis.

paysan

Je n'aurai pas grand'chose à vous dire d'ailleurs du irlandais il est pauvre, opprimé et menteur, comme il doit l'être dans un pays où la civilisation introduite parmi les classes supérieures, en éteignant les passions cruelles, n'a laissé subsister que celle de l'argent ; tandis que l'ignorance du peuple et son manque d'industrie ne présentent à l'avidité d'autre moyen que l'injustice, à la misère d'autre ressource que la fraude; où l'inférieur a tout à gagner s'il vous en impose, et rien à perdre s'il est surpris en mensonge. Un tel peuple doit mentir comme les enfans; de bonne-foi, s'il est permis de s'exprimer ainsi; sans finesses, sans subterfuges, sans argumens avec sa conscience. Un italien ment pour vous tromper; un irlandais ment pour mentir.

C'était sur tout avant la réunion que les seigneurs irlandais exerçaient chez eux

une autorité presque despotique. Je passai l'autre jour devant un château sur lequel on m'avait raconté beaucoup d'histoires : j'y entrai, et m'adressai à un vieux domestique que je trouvai balayant l'escalier avec sa perruque, comme c'est l'usage dans les anciens châteaux d'Irlande, où les perruques servent à toutes sortes d'offices. Il me raconta qu'un maître de ce château y avait tenu sa femme enfermée pendant vingt ans, sans la laisser communiquer avec personne. Ce fait était connu de tout le monde, et personne ne s'en inquiétait. Quand le mari donnait à dîner à ses amis, il avait coutume d'envoyer proposer à sa femme un plat de sa table, et celle-ci répondait ordinairement qu'elle n'avait besoin de rien, et qu'elle présentait ses respects à la compagnie. Elle avait conservé quelques bijoux: ne sachant comment les dérober à la connaissance de son mari, elle trouva moyen de les confier à une vieille mendiante qui passait quelquefois sous ses fenêtres, et de lui indiquer les personnes auxquelles elle voulait qu'ils fussent portés en Angleterre. Les bijoux furent fidèlement remis. Son mari mourut enfin : quand on le lui appr it

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