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trouvé ce jour-là au spectacle avec votre sœur, et que la personne à qui on eût voulu me forcer de céder ma place à côté d'elle se fût trouvée par hasard une de ces méprisables créatures sur lesquelles une femme honnête ose à peine arrêter ses yeux, la galanterie du parterre vous eûtelle paru bien entendue? Ah! ce mot ne peut plus nous convenir, pas plus que la chose qu'il exprime.

Avant de prétendre aux grâces de la galanterie, il faut s'être pénétré du sentiment des convenances: mais où le puiser le sentiment' de ces convenances, que rien ne nous indique plus? Tout s'est confondu sans s'égaliser. La fenime enrichie tient à la femme du monde par son costume, à celle du peuple par son éducation. La femme estimable, du moins par la décence de sa conduite, n'a plus rien autour d'elle qui la fasse distinguer de celles qu'il faudrait mépriser, ne fût-ce que pour l'indécence de leurs manières.

Il existe à peine dans le monde une ligne de démarcation entre ce qu'on appelait autrefois la bonne et la mauvaise compagnie. Il n'en existe aucune dans les lieux

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publics, entre la plus intéressante et la plus vile partie de la société. Autrefois des places particulières au spectacle étaient destinées à ce qu'on était convenu d'appeler les filles ; la plus élégante d'entr'elles n'eût osé se faire voir dans les places réservées aux femmes de la société. Le public en excluait aussi celles dont le costume faisait présumer une éducation trop vulgaire. Toute espèce de distinctions a disparu je ne prétends pas dire que ce soit un mal; mais toute habitude de politesse a dû disparaître avec elles. Quand la société ne règle plus les rangs, chacun est forcé de garder le sien ; et quel homme chargé de protéger une femme modeste, voudra consentir à laisser se placer près d'elle une femme dont les manières, peut-être indécentes, souvent grossières, peuvent attirer sur elle tous les regards? Comment consentir à la voir partager l'attention publique avec celle que tous les regards désignent au mépris?

Mon parti est bien pris, et je n'aurais eu même qu'à consulter là-dessus votre sœur. Vous ne pouvez imaginer la frayeur que lui ont inspirée les réflexions qui me sont venues naturellement à la lecture de votre

lettré. Elle est à cet âge où l'on aperçoit le vice comme un objet lointain, dont on commence à soupçonner l'existence sans en pouvoir encore distinguer la nature. Elle a entendu parler des faiblesses de quelques femmes; elle y croit, mais ne les comprend pas. Il a bien fallu lui dire un mot de l'impudence de quelques autres; pour celleslà, elle n'imagine pas qu'elles puissent être faites extérieurement comme elle; et l'idée de se trouver à côté de l'une de ces femmes, l'a frappée comme la chose du monde la plus effroyable. Mandez-moi, mon fils, si le parterre continue à se montrer aussi galant; alors je renoncerais au voyage que je comptais faire à Paris pour mener votrė sœur au spectacle, qu'il serait tems cependant qu'elle apprît à connaître.

l'on a

Je ne vous parle pas d'une chose que Yous blâmez sûrement, puisque vous ne m'en dites rien; je veux dire du bruit que fait à cette même représentation pour obliger une femme à ôter son voile. L'examen, ajoute un journaliste qui rend compte de ce fait, l'examen a constaté que si elle couvrait son visage, ce n'était pas par modestie. Aiusi donc, sans avoir commis la

moindre imprudence, une femme honnête peut se voir l'objet d'une scène publique dans un spectacle, et d'une remarque désobligeante dans un journal! Je ne crains point pour votre sœur une remarque semblable; mais je ne voudrais pas même qu'on imprimât dans un papier public que ma fille est jolie. Si vous pouviez avoir pris part aux clamours qu'il paraît que l'on s'est permises à cette occasion, je vous demanderais quel en a pu être le motif. En quoi un voile pouvait-il blesser la décence, ou le respect dû au public? Depuis quand ne serait-ce plus un vêtement de pudeur et de modestie ? Dans les pays où les mœurs imposent aux femmes le plus de décence et de réserve, ne paraissent-elles pas voilées dans les temples et dans les lieux publics? Je pourrais vous dire que respecter le public, c'est avoir soin de n'être en sa présence ni familier, ni étourdi, ni inconsidéré ; de n'en faire ni le confident de ses faiblesses, ni le témoin de ses folies. Mais c'est parce que vous savez tout cela, que je suppose que vous n'avez été pour rien dans une semblable scène, que vous aurez assez respecté le public pour ne pas vous joindre

à cette troupe de fous qui ne composent pas le public, qui crient parce qu'ils trouvent plus divertissant de crier que de se taire, et que d'autres imitent, parce qu'ils aiment mieux faire du bruit que d'en entendre. Ceux-là demandent une chose sans savoir pourquoi ; jugent qu'elle leur est due, parce qu'ils l'ont demandée; se croient irrités de la résistance qu'on leur oppose ; et comme ils pensent avoir livré un combat, ils s'imaginent enfin remporter une victoire, dont ils rougiraient, s'ils avaient mis à y réfléchir la moitié du tems qu'ils ont mis à l'obtenir.

P.

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