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nures et les expressions paraissent avoir quelque chose de plus brillant, de plus fin, de plus inattendu que le fond des choses mêmes; et c'est moins l'homme de génie que le grand écrivain qu'on admire.

Mais le mérite de ce grand écrivain, quand il ne supposerait pas le génie, suppose une réunion de dons de l'esprit, aussi rare que le génie.

L'art d'écrire est plus étendu que ne le pensent la plupart des hommes, la plupart même de ceux qui font des livres.

Il ne suffit pas de connaître les propriétés des mots, de les disposer dans un ordre. régulier, de donner même aux membres de la phrase une tournure symétrique et harmonieuse; avec cela on n'est encore qu'un écrivain correct, et tout au plus élégant.

Le langage n'est que l'interprête de l'ame; et c'est dans une certaine association des sentimens et des idées avec les mots qui en sont les signes, qu'il faut chercher le principe de toutes les propriétés du style.

Les langues sont encore bien pauvres et bien imparfaites. Il y a une infinité de nuances, de sentimens et d'idées qui n'ont point de signes aussi ne peut-on jamais

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exprimer tout ce qu'on sent. D'un autre côté, chaque mot n'exprime pas d'une manière précise et abstraite une idée simple et isolée; par une association secrète et rapide qui se fait dans l'esprit, un mot réveille encore des idées accessoires à l'idée principale dont il est le signe. Ainsi, par exemple, les mots cheval et coursier, aimer et chérir, bonheur et félicité, peuvent servir à désigner le même objet ou le même sentiment, mais avec des nuances qui en changent sensiblement l'effet principal.

Il en est des tours, des figures, des liaisons de phrase, comme des mots : les uns et les autres ne peuvent représenter que des idées, des vues de l'esprit, et ne les représentent qu'imparfaitement,

Les différentes qualités du style, comme la clarté, l'élégance, l'énergie, la couleur, le mouvement, etc. dépendent donc essentiellement de la nature et du choix des idées; de l'ordre dans lequel l'esprit les dispose; des rapports sensibles que l'imagination y attache; des sentimens enfin que l'ame y associe, et du mouvement qu'elle y im

Le grand secret de varier et de faire contraster les images, les formes et les mouvemens du discours, suppose un goût délicat et éclairé; l'harmonie, tant des mots que de la phrase, dépend de la sensibilité plus ou moins exercée de l'organe; la correction ne demande que la connaissance réfléchie, de sa langue."

Dans l'art d'écrire, comme dans tous les beaux arts, les germes du talent sont l'œuvre de la nature; et c'est la réflexion qui les développe et les perfectionne.

Il a pu se rencontrer quelques esprits qu'un heureux instinct semble avoir dispensés de toute étude, et qui, en s'abandonnant sans art aux mouvemens de leur imagination et de leur pensée, ont écrit avec grace, avec feu, avec intérêt mais ces dons naturels sont rares; ils ont des bornes et des imperfections très-marquées, et ils n'ont jamais suffi pour produire un grand écrivain.

Je ne parle pas des anciens, chez qui l'élocution était un art si étendu et si compliqué; je citerai Despréaux et Racine, Bos-suet et Montesquieu, Voltaire et Rousseau : ce n'était pas l'instinct qui produisait sous

leur plume ces beautés et ces grands effets auxquels notre langue doit tant de richesses et de perfection; c'était le fruit du génie sans doute, mais du génie éclairé par des études et des observations profondes.

Quelque universelle que soit la réputation dont jouit La Bruyère, il paraîtra peutêtre hardi de le placer, comme écrivain, sur la même ligne que les grands hommes qu'on vient de citer; mais ce n'est qu'après avoir relu, étudié, médité ses Caractères, que j'ai été frappé de l'art prodigieux et des beautés sans nombre qui semblent mettre cet ouvrage au rang de ce qu'il y a de plus parfait dans notre langue.

Sans doute La Bruyère n'a ni les élans et les traits sublimes de Bossuet; ni le nombre, l'abondance et l'harmonie de Fénélon; ni

la grace brillante et abandonnée de Voltaire; ni la sensibilité profonde de Rousseau : mais aucun d'eux ne m'a paru réunir au même degré la variété, la finesse et l'originalité des formes et des tours, qui étonnent dans La Bruyère. Il n'y a peutêtre pas une beauté de style propre à notre idiome, dont on ne trouve des exemples et des modèles dans cet écrivain.

<< deste, et ingénieux à la faire naître; poli dans ses manières, et sage dans ses dis«< cours; craignant toute sorte d'ambition, << même celle de montrer de l'esprit. » Hist. de l'Acad. Franç.

On conçoit aisément que le philosophe qui releva avec tant de finesse et de sagacité les vices, les travers et les ridicules, connaissait trop les hommes pour les rechercher beaucoup; mais qu'il put aimer la société sans s'y livrer; qu'il devait y être très-réservé dans son ton et dans ses ma

nières ; attentif à ne pas blesser des convenances qu'il sentait si bien, trop accoutumé enfin à observer dans les autres les défauts du caractère et les faiblesses de l'amourpropre, pour ne pas les réprimer en luimême.

La Bruyère lut son ouvrage, avant de le publier, à M. de Malezieux, qui lui dit : Mon ami, il y a là de quoi vous faire bien des lecteurs et bien des ennemis. En effet le livre des Caractères fit beaucoup de bruit dès sa naissance. On attribua cet éclat aux traits satyriques qu'on y remarqua, ou qu'on crut y voir; et l'on ne peut pas douter que cette circonstance n'y contri

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