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ces illustres d'avec les naissances viles et vulgaires, et de mettre une différence infinie entre le sang noble et le roturier, comme s'il n'avait pas les mêmes qualités, et n'était pas composé des mêmes éléments; et par là, vous voyez déjà la naissance magnifiquement relevée. Dans le progrès de la vie, on se distingue plus aisément par les grands emplois, par les dignités éminentes, par les richesses et par l'abondance. Ainsi on s'élève et on s'agrandit, et on laisse les autres dans la lie du peuple. Il n'y a donc plus que la mort, où l'arrogance humaine est bien confondue, car c'est là que l'égalité est inévitable: et encore que la vanité tâche, en quelque sorte, d'en couvrir la honte par les honneurs de la sépulture, il se voit peu d'hommes assez insensés pour se consoler de leur mort par l'espérance d'un superbe tombeau, ou par la magnificence de ses funérailles. Tout ce que peuvent faire ces misérables amoureux des grandeurs humaines, c'est de goûter tellement la vie, qu'ils ne songent point à la mort. La mort jette divers traits [qui préparent son triomphe. Elle se fait sentir] dans toute la vie par la crainte, [les maladies, les accidents de toute espèce;] et son dernier coup est inévitable. Les hommes superbes croient faire beaucoup d'éviter les autres : c'est le seul moyen qui leur reste de secouer, en quelque façon, le joug insupportable de sa tyrannie, lorsqu'en détournant leur esprit, ils n'en sentent pas l'amertume.

C'est ainsi qu'ils se conduisent à l'égard de ces trois états; et de là naissent trois vices énormes qui rendent ordinairement leur vie criminelle : car cette superbe grandeur, dont ils se flattent dans leur naissance, les fait vains et audacieux. Le désir démesuré, dont ils sont poussés, de se rendre considérables au-dessus des autres, dans tout le progrès de leur âge, fait qu'ils s'avancent à la grandeur par toutes sortes de voies, sans épargner les plus criminelles; et l'amour désordonné des douceurs qu'ils goûtent dans une vie pleine de délices, détournant leurs yeux de dessus la mort, fait qu'ils tombent entre ses mains sans l'avoir prévue: au lieu que l'illustre gentilhomme dont je vous dois aujourd'hui proposer l'exemple, a tellement ménagé toute sa conduite, que la grandeur de sa naissance n'a rien diminué de la modération de son esprit; que ses emplois glorieux, dans la ville et dans les armées, n'ont point corrompu son innocence; et que bien loin d'éviter l'aspect de la mort, il l'a tellement méditée qu'elle n'a pas pu le surprendre, même en arrivant tout à coup, et qu'elle a été soudaine sans être imprévue.

Si autrefois le grand saint Paulin, digne prélat de l'église de Nole, en faisant le panégyrique

de sa parente sainte Mélanie', a commencé les louanges de cette veuve si renommée, par la noblesse de son extraction; je puis bien suivre un si grand exemple, et vous dire un mot en passant de l'illustre maison de Gornay, si célèbre et si ancienne. Mais pour ne pas traiter ce sujet d'une manière profane, comme fait la rhétorique mondaine, recherchons par les Écritures de quelle sorte la noblesse est recommandable, et l'estime qu'on en doit faire selon les maximes du christianisme.

«

Et premièrement, chrétiens, c'est déjà un grand avantage qu'il ait plu à Notre-Sauveur de naître d'une race illustre par la glorieuse union du sang royal et sacerdotal dans la famille d'où il est sorti regum et sacerdotum clara progenies'. Et pour quelle raison, lui qui a méprisé toutes les grandeurs humaines, qui n'a appelé, « ni << beaucoup de sages, ni beaucoup de nobles; »> non multi sapientes, non multi nobiles 3; pourquoi a-t-il voulu naître de parents illustres? Ce n'était pas pour en recevoir de l'éclat; mais plutôt pour en donner à tous ses ancêtres. Il fallait qu'il sortît des patriarches, pour accomplir en sa personne toutes les bénédictions qui leur avaient été annoncées. Il fallait qu'il naquît des rois de Juda pour conserver à David la perpétuité de son trône, que tant d'oracles divins lui avaient promise.

Louer dans un gentilhomme chrétien ce que Jésus-Christ même a voulu avoir, [n'aurait rien, ce semble, que de conforme aux règles de la foi. Mais cette noblesse temporelle est en soi trop] peu de chose pour qu'on doive s'y arrêter; c'est un sujet trop profane [pour mériter les éloges des prédicateurs ]. Néanmoins nous louerons ici d'autant plus volontiers la noblesse de la famille du défunt, qu'il y a quelque chose de saint à traiter. Je ne dirai point ni les grandes charges qu'elle a possédées, ni avec quelle gloire elle a étendu ses branches dans les nations étrangères, ni ses alliances illustres avec les maisons royales de France et d'Angleterre; ni son antiquité, qui est telle que nos chroniques n'en marquent point l'origine. Cette antiquité a donné lieu à plusieurs inventions fabuleuses, par lesquelles la simplicité de nos pères a cru donner du lustre à toutes les maisons anciennes; à cause que leur antiquité, en remontant plus loin aux siècles passés dont la mémoire est tout effacée, a donné aux hommes une plus grande liberté de feindre. La hardiesse humaine n'aime pas à demeurer court; où elle ne trouve rien de certain, elle invente. Je laisse

Ad Sever. Ep. xxix, n° 7, p. 178.

2 Ibid. p. 179.

3 I. Cor. 1, 23.

ter à des choses saintes.

se

Saint Livier, qui vivait environ l'an 400, lon la supputation la plus exacte, est la gloire de la maison de Gornay'. Le sang qu'a répandu ce généreux martyr, l'honneur de la ville de Metz, pour la cause de Jésus-Christ, vous donne plus de gloire que celle que vous avez reçue de tant d'illustres ancêtres. [Vous pouvez dire à juste titre avec Tobie : ] « Nous sommes la race des « saints : » Filii sanctorum sumus 2. L'histoire remarque que saint Livier était issu de parents illustres, claris parentibus; ce qui est une conviction manifeste, qu'il faut reprendre la grandeur de cette maison d'une origine plus haute.

toutes ces considérations profanes, pour m'arrê-, Pour lui, il a révéré celles de l'Église jusque dans les points qui paraissaient les plus incompatibles avec son état. Jamais on ne l'a vu violer les abstinences prescrites, sans une raison capable de lui procurer une dispense légitime. Comment n'aurait-il pas respecté la loi qu'il recevait de toute l'Eglise, puisqu'il observait si soigneusement, et avec tant de religion, celles que sa dévotion particulière lui avait imposées? Il jeûnait régulièrement tous les samedis; gardait, avec la plus scrupuleuse exactitude et le plus grand respect, toutes les pratiques que la religion lui imposait : bien différent de ces militaires qui déshonorent la profession des armes par cette honte trop commune de bien faire les exercices de la piété; on croit assez faire, pourvu qu'on observe les ordres du général. Sa vieillesse, quoique pesante, n'était pas sans action: son exemple et ses paroles animaient les autres. Il est mort trop tôt : non; car la mort ne vient jamais trop soudainement quand on s'y prépare par la bonne vie.

Mais tous ces titres glorieux n'ont jamais donné l'orgueil [au respectable défunt que nous regrettonsil a toujours méprisé les vanteries ridicules dont il arrive assez ordinairement que la noblesse étourdit le monde. Il a cru que ces vanteries étaient plutôt dignes des races nouvelles, éblouies de l'éclat non accoutumé d'une noblesse de peu d'années; mais que la véritable marque des maisons illustres, auxquelles la grandeur et l'éclat étaient depuis plusieurs siècles passés en nature, ce devait être la modération. Ce n'est pas qu'il ne jetât les yeux sur l'antiquité de sa race, dont il possédait parfaitement l'histoire : mais comme il y avait des saints dans sa race, il avait raison de la contempler pour s'animer par ccs grands exemples. Il n'était pas de ceux qui semblent être persuadés que leurs ancêtres n'ont travaillé que pour leur donner sujet de parler de Icurs actions et de leurs emplois. Quand il regardait les siens, il croyait que tous ses aïeux illustres lui criaient continuellement jusque des siècles les plus reculés : Imite nos actions, ou ne te glorifie pas d'être notre fils. Il se jeta dans les exercices de sa profession à l'imitation de saint Livier il commença à faire la guerre contre les hérétiques rebelles. Il devint premier capitaine et major dans Falzbourg, corps célèbre et renommé. Les belles actions qu'il y fit l'ayant fait connaître par le cardinal de Richelieu, auquel la vertu ne pouvait pas être cachée, il s'en servit [avantageusement] dans les négociations d'Allemagne. [Mais partout il montra une vertu digne de sa naissance. ] Ordinairement ceux qui sont dans les emplois de la guerre croient que c'est une prééminence de l'épée de ne s'assujettir à aucunes lois.

:

Bossuet n'examine point ici en généalogiste l'origine de la maison de Gornay; il s'en tient à l'opinion que cette maison, comme bien d'autres, pouvait avoir de son antiquité; et s'il en eût discuté les preuves, on doit croire, après ce qu'il a dit quelques lignes plus haut, qu'il aurait bien rabattu des prétentions de cette maison. (Edit. de Déforis.)

? Tob. I 12.

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ORAISON FUNÈBRE

DE MESSIRE

NICOLAS CORNET',

GRAND-MAÎTRE DU COLLÉGE DE NAVARRE.

Simile est regnum cœlorum thesauro abscondito.

Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché. Matth.
XIII, 44.

Ceux qui ont vécu dans les dignités et dans les places relevées, ne sont pas les seuls d'entre les mortels dont la mémoire doit être honorée par des éloges publics. Avoir mérité les dignités et les avoir refusées, c'est une nouvelle espèce de dignité qui mérite d'être célébrée par toutes sortes d'honneurs ; et comme l'univers n'a rien de plus

NICOLAS CORNET naquit à Amiens en 1592. Après son cours d'études, il entra au noviciat des Jésuites; mais sa mauvaise santé l'empêcha de rester dans cet ordre, qu'il aima et estima toujours. Il reçut en 1626 le bonnet de docteur dans la faculté de théologie de Paris, et fut nommé, quelque temps après, syndic de la même faculté. Ce fut en cette qualité qu'il dénonça aux docteurs assemblés sept propositions contenant une mauvaise doctrine, dont le venin commençait à se répandre parmi les jeunes théologiens. Cinq de ces propositions furent depuis condamnées à Rome, comme hérétiques. Elles sont connues sous le nom de Propositions de Jansenius, parce qu'elles expriment la doctrine du fameux livre de ce prélat, intitulé Augustinus. M. Cornet mourut en 1663, grand maitre du collège de Navarre. Bossuet, qui avait fait ses cours de philosophie et de théologie dans cette maison, et qui n'avait pas moins de vénération que de reconnaissance pour le grand maitre, prononça son oraison funèbre, en présence de plusieurs personnes distinguées. On ne peut regarder ce qui nous reste de cette oraison funèbre, que comme une copie trèsimparfaite du véritable discours de Bossuet.

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grand que les grands hommes modestes, c'est
principalement en leur faveur, et pour conserver
leurs vertus, qu'il faut épuiser toutes sortes de
louanges. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner si cette
maison royale ordonne un panégyrique à M. Ni-
colas Cornet, son grand maître, qu'elle aurait vu
élevé aux premiers rangs de l'Église, si, juste en
toutes autres choses, il ne s'était opposé en cette
seule rencontre à la justice de nos rois. Elle doit
ce témoignage à sa vertu, cette reconnaissance à
ses soins, cette gloire publique à sa modestie; et
étant si fort affligée par la perte d'un si grand❘
homme, elle ne peut pas négliger le seul avantage
qui lui revient de sa mort, qui est la liberté de
le louer. Car comme, tant qu'il a vécu sur la terre,
la seule autorité de sa modestie supprimait les
marques d'estime, qu'elle eût voulu rendre aussi
solennelles que son mérite était extraordinaire;
maintenant qu'il lui est permis d'annoncer haute-
ment ce qu'elle a connu de si près, elle ne peut
manquer à ses devoirs particuliers, ni envier au
public l'exemple d'une vie si réglée. Et moi, si
toutefois vous me permettez de dire un mot de
moi-même; moi, dis-je, qui ai trouvé en ce per-
sonnage, avec tant d'autres rares qualités, un
trésor inépuisable de sages conseils, de bonne
foi, de sincérité, d'amitié constante et inviolable,
puis-je lui refuser quelques fruits d'un esprit qu'il
a cultivé avec une bonté paternelle dès sa pre-
mière jeunesse; ou lui dénier quelque part dans
mes discours, après qu'il en a été si souvent et
le censeur et l'arbitre? Il est donc juste, messieurs,
puisqu'on a bien voulu employer ma voix, que je
rende, comme je pourrai à ce collége royal, son
grand maître, aux maisons religieuses leur père
et leur protecteur, à la faculté de théologie l'une
de ses plus vives lumières, et celui de tous ses en-
fants qui peut-être a autant soutenu [qu'aucun]
cette ancienne réputation de doctrine et d'inté-
grité qu'elle s'est acquise par toute la terre; enfin
à toute l'Église et à notre siècle l'un de ses plus
grands ornements.

Sortez, grand homme, de ce tombeau; aussi bien y êtes-vous descendu trop tôt pour nous: sortez, dis-je, de ce tombeau que vous avez choisi inutilement dans la place la plus obscure et la plus négligée de cette nef. Votre modestie vous a trompé aussi bien que tant de saints hommes, qui ont cru qu'ils se cacheraient éternellement en se jetant dans les places les plus inconnues. Nous ne voulons pas vous laisser jouir de cette noble obscurité que vous avez tant aimée; nous allons produire au grand jour, malgré votre humilité, tout ce trésor de vos grâces, d'autant plus riche qu'il est plus caché. Car, messieurs, vous n'ignorez pas que l'artifice le plus ordinaire de la sagesse

céleste, est de cacher ses ouvrages; et que le dessein de couvrir ce qu'elle a de plus précieux, est ce qui lui fait déployer une si grande variété de conseils profonds. Ainsi toute la gloire de cet homme illustre, dont je dois aujourd'hui prononcer l'éloge, c'est d'avoir été un trésor caché; et je ne le louerai pas selon ses mérites, si non content de vous faire part de tant de lumières, de tant de grandeurs, de tant de grâces du divin Esprit, dont nous découvrons en lui un si bel amas, je ne vous montre encore un si bel artifice, par lequel il s'est efforcé de cacher au monde toutes ses richesses.

Vous verrez donc Nicolas Cornet, trésor public, et trésor caché; plein de lumières célestes, et couvert, autant qu'il a pu, de nuages épais; illuminant l'Église par sa doctrine, et ne voulant lui faire savoir que sa seule soumission; plus illustre, sans comparaison, par le désir de cacher toutes ses vertus, que par le soin de les acquérir et la gloire de les posséder. Enfin, pour réduire ce discours à quelque méthode, et vous déduire par ordre les mystères qui sont compris dans ce mot évangélique de « trésor caché, » vous verrez, messieurs, dans le premier point de ce discours, les richesses immenses et inestimables qui sont renfermées dans ce trésor; et vous admirerez dans le second l'enveloppe mystérieuse, et plus riche que le trésor même, dans laquelle il nous l'a caché. Voilà l'exemple que je vous propose; voilà le témoignage saint et véritable que je rendrai aujourd'hui, devant les autels, au mérite d'un si grand homme. J'en prends à témoin ce grand prélat, sous la conduite duquel cette grande maison portera sa réputation. Il a voulu paraître à l'autel; il a voulu offrir à Dieu son sacrifice pour lui. C'est ce grand prélat que je prends à témoin de ce que je vais dire; et je m'assure, messieurs, que vous ne me refuserez pas vos attentions.

Ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur a été naturellement et par excellence, il veut bien que ses serviteurs le soient par écoulement de lui-même, et par effusion de sa grâce. S'il est docteur du monde, ses ministres en font la fonction : et comme en qualité de docteur du monde, « en lui,

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dit l'Apôtre, ont été cachés les trésors de science « et de sagesse,» ainsi il a établi des docteurs, qu'il a remplis de grâce et de vérité, pour en enrichir ses fidèles; et ces docteurs, illuminés par son Saint-Esprit, sont les véritables trésors de l'Eglise universelle.

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« dans les ombres de leurs propres ténèbres, c'est-à-dire, dans leur ignorance et dans leurs erreurs, et s'en font une couverture. Mais plus malheureux encore les docteurs, indignes de ce nom, qui adhèrent à leurs sentiments, et donnent poids à leur folie. « Ce sont des astres errants, » comme parle l'apôtre saint Jude', qui, pour n'être pas assez attachés à la route immuable de la vérité,

touchant le devoir de la conscience; n'est-ce pas un témoignage authentique, qu'autant qu'elle a de docteurs, autant devrait-elle avoir de trésors publics, d'où l'on puisse tirer, selon les besoins et les occurrences différentes, de quoi relever les faibles, confirmer les forts, instruire les simples et les ignorants, confondre et réprimer les opiniâtres? Personne ne peut ignorer que ce saint homme, dont nous parlons, ne se soit très-digne-gauchissent et se détournent au gré des vanités, ment acquitté d'un si divin ministère. Ses conseils étaient droits, ses sentiments purs, ses réflexions efficaces, sa fermeté invincible. C'était un docteur de l'ancienne marque, de l'ancienne simplicité, de l'ancienne probité; également élevé au-dessus de la flatterie et de la crainte, incapable de céder aux vaines excuses des pécheurs, d'être surpris des détours des intérêts humains, [de se prêter] aux inventions de la chair et du sang: et comme c'est en ceci que consiste principalement l'exercice des docteurs, permettez-moi, chrétiens, de reprendre ici d'un plus haut principe la règle de cette conduite.

Deux maladies dangereuses ont affligé en nos jours le corps de l'Église : il a pris à quelques docteurs une malheureuse et inhumaine complaisance, une pitié meurtrière, qui leur a fait porter des coussins sous les coudes des pécheurs, chercher des couvertures à leurs passions, pour condescendre à leur vanité, et flatter leur ignorance affectée. Quelques autres, non moins extrêmes, ont tenu les consciences captives sous des rigueurs très-injustes : ils ne peuvent supporter aucune faiblesse, ils traînent toujours l'enfer après eux, et ne fulminent que des anathèmes. L'ennemi de notre salut se sert également des uns et des autres, employant la facilité de ceux-là pour rendre le vice aimable, et la sévérité de ceux-ci pour rendre la vertu odieuse. Quels excès terribles, et quelles armes opposées! Aveugles enfants d'Adam, que le désir de savoir a précipités dans un abîme d'ignorance, ne trouverez-vous jamais la médiocrité, où la justice, où la vérité, où la droite raison a posé son trône?

Certes je ne vois rien dans le monde qui soit plus à charge à l'Église que ces esprits vainement subtils, qui réduisent tout l'Evangile en problèmes,

qui forment des incidents sur l'exécution de ses préceptes, qui fatiguent les casuistes par des consultations infinies: ceux-là ne travaillent, en vérité, qu'à nous envelopper la règle des mœurs. « Ce sont des hommes, dit saint Augustin', qui «se tourmentent beaucoup pour ne pas trouver « ce qu'ils cherchent,» Nihil laborant, nisi non invenire quod quærunt, «et, comme dit le même « saint, qui tournant s'enveloppent eux-mêmes 1 De Gen. cont. Manich. lib. 11, cap. II, t. 1, col. 665.

des intérêts et des passions humaines. Ils confondent le ciel et la terre; ils mêlent Jésus-Christ avec Bélial; ils cousent l'étoffe vieille avec la neuve, contre l'ordonnance expresse de l'Évangile2, des lambeaux de mondanité avec la pourpre royale mélange indigne de la piété chrétienne; union monstrueuse, qui déshonore la vérité, la simplicité, la pureté incorruptible du christianisme.

Mais que dirai-je de ceux qui détruisent, par un autre excès, l'esprit de la piété ; qui trouvent partout des crimes nouveaux, et accablent la faiblesse humaine en ajoutant au joug que Dieu nous impose? Qui ne voit que cette rigueur enfle la présomption, nourrit le dédain, entretient un chagrin superbe, et un esprit de fastueuse singularité; fait paraître la vertu trop pesante, l'Evangile excessif, le christianisme impossible? O faiblesse et légèreté de l'esprit humain, sans point, sans consistance, seras-tu toujours le jouet des extrémités opposées? Ceux qui sont doux déviennent trop lâches; ceux qui sont fermes deviennent trop durs. Accordez-vous, ô docteurs; et il vous sera bien aisé, pourvu que vous écoutiez le docteur céleste. « Son joug est doux, nous dit-il3, et son fardeau est léger. Voyez, dit « saint Chrysostôme, le tempérament; il ne dit << pas simplement que son Évangile soit ou pesant «< ou léger; mais il joint l'un et l'autre ensemble, << afin que nous entendions que ce bon maître ni « ne nous décharge ni ne nous accable, et que, si << son autorité veut assujettir nos esprits, sa bonté « veut en même temps ménager nos forces. >>

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Vous donc, docteurs relâchés; puisque l'Évangile est un joug, ne le rendez pas si facile : de peur que si vous êtes chargés de son poids, vos passions indomptées ne le secouent trop facilement; et qu'ayant rejeté le joug, nous ne marchions indociles, superbes, indisciplinés, au gré de nos désirs impétueux. Vous aussi, docteurs trop austères; puisque l'Évangile doit être léger, n'entreprenez pas d'accroître son poids : n'y ajoutez rien de vous-mêmes ou par faste, par caprice, ou par ignorance. Lorsque ce Maître

Jud. 13.

2 Marc. 11, 21.

3 Matth. x1, 30.

In Matth. Homil. XXXVIII, n° 3, t. vi, p. 429.

ou

commande, s'il cnarge d'une main il soutient de l'autre : ainsi tout ce qu'il impose est léger; mais tout ce que les hommes y mêlent est insupportable.

Vous voyez donc, chrétiens, que, pour trouver la règle des mœurs, il faut tenir le milieu entre les deux extrémités, et c'est pourquoi l'oracle toujours sage nous avertit de ne nous détourner jamais ni à la droite ni à la gauche'. Ceux-là se détournent à la gauche, qui penchent du côté du vice, et favorisent le parti de la corruption mais ceux qui mettent la vertu trop haut, à qui toutes les faiblesses paraissent des crimes horribles, ou qui, des conseils de perfection, font la loi commune de tous les fidèles, ne doivent pas se vanter d'aller droitement, sous prétexte qu'ils semblent chercher une régularité plus scrupuleuse. Car l'Écriture nous apprend que si l'on peut se détourner en allant à gauche, on peut aussi s'égarer du côté de la droite; c'està-dire, en s'avançant à la perfection, en captivant les âmes infirmes sous des rigueurs trop extrêmes. Il faut marcher au milieu : c'est dans ce sentier où la justice et la paix se baisent de baisers sincères; c'est-à-dire, qu'on rencontre la véritable droiture, et le calme assuré des consciences Misericordia et veritas obviaverunt sibi, justitia et pax osculatæ sunt'.

Il est permis aux enfants de louer leur mère; et je ne dénierai point ici à l'école de théologie de Paris la louange qui lui est due, et qu'on lui rend aussi par toute l'Église. Le trésor de la vérité n'est nulle part plus inviolable. Les fontaines de Jacob ne coulent nulle part plus incorruptibles. Elle semble divinement être établie avec une grâce particulière, pour tenir la balance droite, conserver le dépôt de la tradition. Elle a toujours la bouche ouverte pour dire la vérité : elle n'épargne ni ses enfants ni les étrangers, et tout ce qui choque la règle n'évite pas sa censure.

Le sage Nicolas Cornet, affermi dans ses maximes, exercé dans ses emplois, plein de son esprit, nourri du meilleur suc de sa doctrine, a soutenu dignement sa gloire et l'ancienne pureté de ses maximes. Il ne s'est pas laissé surprendre à cette rigueur affectée, qui ne fait que des superbes et des hypocrites: mais aussi s'est-il montré implacable à ces maximes moitié profanes et moitié saintes, moitié chrétiennes et moitié mondaines, ou plutôt toutes mondaines et toutes profanes, parce qu'elles ne sont qu'à demi chrétiennes et à demi saintes. Il n'a jamais trouvé belles aucunes des couleurs de la simonie; et pour entrer dans l'état ecclésiastique, il n'a pas connu d'autre

1 Prov. IV, 27.

* Ps. LXXXIV, II. BOSSUET. - T. II.

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porte que celle qui est ouverte par les saints canons. Il a condamné l'usure sous tous ses noms et sous tous ses titres. Sa pudeur a toujours rougi de tous les prétextes honnêtes des engagements déshonnêtes, où il n'a pas épargné le fer et le feu pour éviter les périls des occasions prochaines. Les inventeurs trop subtils de vaines contentions et de questions de néant, qui ne servent qu'à faire perdre, parmi des détours infinis, la trace toute droite de la vérité, lui ont paru, aussi bien qu'à saint Augustin, des hommes inconsidérés et volages, « qui soufflent sur de la poussière, et se « jettent de la terre dans les yeux,» sufflantes pulverem, et excitantes terram in oculos suos'. Ces chicanes raffinées, ces subtilités en vaines distinctions, sont véritablement de la poussière soufflée, de la terre dans les yeux, qui ne font que troubler la vue. Enfin il n'a écouté aucun expédient pour accorder l'esprit de la chair, entre lesquels nous avons appris que la guerre doit être immortelle. Toute la France le sait : car il a été consulté de toute la France; et il faut même que ses ennemis lui rendent ce témoignage, que ses conseils étaient droits, sa doctrine pure, ses discours simples, ses réflexions sensées, ses jugements sûrs, ses raisons pressantes, ses résolutions précises, ses exhortations efficaces; son autorité vénérable, et sa fermeté invincible.

C'était donc véritablement un grand et riche trésor; et tous ceux qui le consultaient, parmi cette simplicité qui le rendait vénérable, voyaient paraître avec abondance, dans ce trésor évangélique, les choses vieilles, et nouvelles, les avantages naturels, et surnaturels, les richesses des deux Testaments, l'érudition ancienne et moderne, la connaissance profonde des saints Pères et des scolastiques, la science des antiquités et de l'état présent de l'Église, et le rapport nécessaire de l'un et de l'autre. Mais parmi tout cela, messieurs, rien ne donnait plus d'autorité à ses décisions que l'innocence de sa vie : car il n'était pas de ces docteurs licencieux dans leurs propres faits, qui, se croyant suffisamment déchargés de faire de bonnes œuvres par les bons conseils, n'épargnent ni ne ménagent la bonne conscience des autres, indignes prostituteurs de leur intégrité. Au contraire, Nicolas Cornet ne se pardonnait rien à luimême, et pour composer ses mœurs, il entrait dans les sentiments de la justice, de la jalousie, de l'exactitude d'un Dieu qui veut rendre la vérité redoutable. Nous savons que dans une affaire de ses amis, qu'il avait recommandée comme juste, craignant que le juge, qui le respectait, n'eût trop déféré à son témoignage et à sa sollicitation, il a réparé de ses deniers le tort qu'il Conf. lib. xII, cap. XVI, t. 1, co). 216.

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