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genre humain semble respirer plus à son aise; et je ne puis taire en ce lieu ce qu'en a dit un grand roi: In hilarilate vultus regis vita, et clementia ejus quasi imber serotinus, dit le sage Salomon ; c'est-à-dire : « La sérénité du visage du prince, c'est la vie de ses sujets, et sa clémence « est semblable à la pluie du soir. » A la lettre, il faut entendre que la clémence est autant agréable aux hommes, qu'une pluie qui vient sur le soir tempérer la chaleur du jour, et rafraîchir la terre que l'ardeur du soleil avait desséchée. Mais ne me sera-t-il pas permis d'ajouter, que, comme le matin nous désigne la vertu, qui seule peut illuminer la vie humaine, le soir nous représente au contraire l'état où nous tombons par nos fautes; puisque c'est là en effet que le jour décline, et que la raison n'éclaire plus? Selon cette explication, la rosée du matin, ce serait la récompense de la vertu, de même que la pluie du soir | serait le pardon accordé aux fautes; et ainsi Salomon nous ferait entendre, que, pour réjouir la terre, et pour produire les fruits agréables de la bienveillance publique, le prince doit faire tomber sur le genre humain et l'une et l'autre rosée, en récompensant toujours ceux qui font bien, et pardonnant quelquefois généreusement à ceux qui manquent, pourvu que le bien public et la sainte autorité des lois n'y soient point trop intéressés.

J'ai dit quelquefois, messieurs, et en certaines rencontres car qui ne sait qu'il y a des fautes que l'on ne peut pardonner, sans se rendre complice des abus et des scandales publics, et que cette différence doit être réglée par les conséquences et par les circonstances particulières? Ainsi ne nous mêlons point ici de faire des leçons aux princes sur des choses qui ne dépendent que de leur prudence; mais contentonsnous de remarquer, autant que le peut souffrir la modestie de cette chaire, les merveilles de nos jours. S'il s'agit de déraciner une coutume barbare qui prodigue malheureusement le plus beau sang d'un grand royaume, et sacrifie à un faux honneur tant d'âmes que Jésus-Christ a rachetées, peut-on être chrétien et ne pas louer hautement l'invincible fermeté du prince que la grandeur de l'entreprise, tant de fois vainement tentée, n'a pas arrêté; qu'aucune considération n'a fait fléchir, et dont le temps même, qui change tout, n'est pas capable d'affaiblir les résolutions?? Je ne puis presque plus retenir mon cœur; et si je ne songeais où je suis, je me laisserais épancher aux plus justes louanges du monde, pour cé

Prov. XVI, 15.

2 Bossuet a ici en vue l'édit de Louis XIV contre les duels, denné au mois d'août 1679. (Edit. de Déforis.)

lébrer la gloire d'un règne qui soutient avec tant de force l'autorité des lois divines et humaines, et ne veut ôter aux sujets que la liberté de se perdre. Dieu, qui est le père et le protecteur de la société humaine, comblera de ses célestes bénédictions un roi qui sait si bien ménager les hommes, et qui sait ouvrir à la vertu la véritable carrière en laquelle il est glorieux de ne se plus ménager. En de telles occasions, où il s'agit de réprimer la licence qui entreprend de fouler aux pieds les lois les plus saintes, la pitié est une faiblesse; mais, dans les fautes particulières, le prince fait admirer sa grande sagesse et sa magnanimité, quand quelquefois il oublie, et quelquefois il néglige; quand il se contente de marquer les fautes, et ne pousse pas la rigueur à l'extrémité. C'est en de semblables sujets que Théodose le Grand se tenait obligé, dit saint Ambroise, quand on le priait de pardonner : cet empereur, tant de fois victorieux, et illustre par ses conquêtes, non moins que par sa piété, jugeait avec Salomon, « qu'il était plus beau et plus glorieux de sur« monter sa colère, que de prendre des villes et de défaire des armées ; et c'est alors, dit le « même Père, qu'il était plus porté à la clémence, quand il se sentait ému par un plus vif ressenti«ment » Beneficium se putabat accepisse augusta memoriæ Theodosius, cum rogaretur ignoscere; et tunc propior erat venia, cum fuisset commotio major iracundiæ.

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Que si les personnes publiques, contre lesquelles les moindres injures sont des attentats, doivent néanmoins user de tant de bonté envers les hommes, à plus forte raison les particuliers doivent-ils sacrifier à Dieu leurs ressentiments : la justice chrétienne le demande d'eux, et ne donne point de bornes à leur indulgence. « Par

donne, dit le Fils de Dieu 3, je ne dis pas jusqu'à « sept fois, mais jusqu'à septante-sept fois; » c'est-à-dire, pardonne sans fin, et ne donne point de limites à ce que tu dois faire pour l'amour de Dieu. Je sais que ce précepte évangélique n'est guère écouté à la cour: c'est là que les vengeances sont infinies; et quand on ne les pousserait pas par ressentiment, on se sentirait obligé de le faire par politique : on croit qu'il est utile de se faire craindre, et on pense qu'on s'expose trop, quand on est d'humeur à souffrir. Je n'ai pas le temps de combattre, sur la fin de ce discours, cette maxime anti-chrétienne, que je pourrais peutêtre souffrir, si nous n'avions à ménager que les intérêts du monde. Mais, mes frères, notre grande affaire, c'est de savoir nous concilier la

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miséricorde divine, c'est de ménager qu'un Dieu, cette humble prière : « Mon Dieu, souvenez-vous << de moi en bien, à proportion des grands avan

nous pardonne, et de faire que sa clémence arrête le cours de sa colère, que nous avons trop méritée et comme il ne pardonne qu'à ceux qui pardonnent, et qu'il n'accorde jamais sa miséricorde qu'à ce prix, notre aveuglement est extrême, si nous ne pensons à gagner cette bonté dont nous avons si grand besoin, et si nous ne sacrifions de bon cœur à cet intérêt éternel nos intérêts périssables. Pardonnons donc, chrétiens; apprenons à nous relâcher de nos intérêts en faveur de la charité chrétienne; et quand nous pardonnons les injures, ne nous persuadons pas que nous fassions une grâce: car, si c'est peut-être une grâce à l'égard des hommes, c'est toujours une justice à l'égard de Dieu, qui a mérité ce pardon qu'il nous demande pour nos ennemis, par celui qu'il nous a donné de toutes nos fautes, et qui, non content de l'avoir si bien acheté, promet de le récompenser éternellement.

Telle est la première obligation de cette justice tempérée par la bonté : c'est de supporter les faiblesses, et de pardonner quelquefois les fautes. La seconde est beaucoup plus grande : c'est d'epargner la misère : je veux dire que l'homme juste ne doit pas toujours demander, ni ce qu'il peut, ni ce qu'il a droit d'exiger des autres. Il y a des temps malheureux où c'est une cruauté et une espèce de vexation, que d'exiger une dette; et la justice veut qu'on ait égard non-seulement à l'obligation, mais encore à l'état de celui qui doit. Le sage Néhémias avait bien compris cette vérité, lorsque ayant été envoyé par le roi Artaxerxès pour être gouverneur du peuple juif, il se mit à considérer non-seulement quels étaient les droits de sa charge, mais encore quelles étaient les forces du peuple : « il vit que les capitaines généraux, qui l'avaient précédé dans cet emploi, avaient trop foulé ce pauvre peuple : >> Duces gravaverunt populum; « mais surtout, " comme il est assez ordinaire, que leurs ministres « insolents l'avaient entièrement épuisé : » Sed et ministri eorum depresserunt populum. Voyant donc ce peuple qui n'en pouvait plus, il se crut obligé en conscience de chercher tous les moyens de le soulager; et bien loin d'imposer de nouvelles charges, comme avaient fait les généraux ses prédécesseurs, il crut qu'il devait remettre, romme porte le texte sacré2, beaucoup des droits qui lui étaient dus légitimement : et après, plein de confiance en la divine bonté, qui regarde d'un œil paternel ceux qui se plaisent à imiter ses miséricordes, il lui adresse du fond de son cœur

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tages que j'ai causés à ce peuple: » Memento mei, Deus meus, in bonum, secundum omnia quæ feci populo huic'. C'est l'unique moyen d'approcher de Dieu avec une pleine confiance, c'est la gloire solide et véritable que nous pouvons porter hautement jusque devant ses autels et ce Dieu si délicat et si jaloux, qui défend à toute chair de se glorifier devant sa face', a néanmoins agréable que Néhémias et tous ses imitateurs se glorifient à ses yeux du bien qu'ils font à son peuple. N'en disons pas davantage; et croyons que les princes qui ont le cœur grand, sont plus pressés par leur gloire, par leur bonté, par leur conscience, à soulager les misères publiques et particulières, qu'ils ne peuvent l'être par nos paroles; mais Dieu seul est tout-puissant pour faire le bien.

Si de cette haute contemplation je commence à jeter les yeux sur la puissance des hommes, je découvre visiblement la pauvreté essentielle à la créature, et je vois dans tout le pouvoir humain je ne sais quoi de très-resserré; en ce que, si grand qu'il soit, il ne peut pas faire beaucoup d'heureux, et se croit souvent obligé de faire beaucoup de misérables. Je vois enfin que c'est le malheur et la condition essentielle des choses humaines, qu'il est toujours trop aisé de faire beaucoup de mal, et infiniment difficile de faire beaucoup de bien : car comme nous sommes ici au milieu des maux, il est aisé, chrétiens, de leur donner un grand cours, et de leur faire une ouverture large et spacieuse; mais comme les biens n'abondent pas en ce lieu de pauvreté et de misère, il ne faut pas s'étonner que la source des bienfaits soit si tôt tarie. Aussi le monde, stérile en biens et pauvre en effets, est contraint de débiter beaucoup d'espérances, qui ne laissent pas néanmoins d'amuser les hommes. C'est en quoi nous devons reconnaître l'indigence inséparable de la créature, et apprendre à ne pas tout exiger des grands de la terre. Les rois mêmes ne peuvent pas faire tout le bien qu'ils veulent : il suffit qu'ils n'ignorent pas qu'ils rendront compte à Dieu de ce qu'ils peuvent. Mais nous, qui voyons ordinairement parmi les hommes et la puissance et la volonté tellement bornées, chrétiens, mettons plus haut notre confiance. En Dieu seul est la bonté véritable: » Nemo bonisi unus Deus 3. En lui seul abonde le bien; lui seul le peut et le veut répandre sans bornes; et s'il retient quelquefois le cours de sa munifi

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nus,

1 II. Esdr. v, 19.

2 I. Cor. 1, 29..

3 Marc. X, 18.

cence à l'égard de certains biens, c'est qu'il voit que nous ne pouvons pas en porter l'abondance entière. Regardons-le donc comme le seul bon: ce qui fait que nous n'éprouvons pas sa bonté, c'est que nous ne la mettons pas à des épreuves dignes de lui; nous n'estimons que les biens du monde; nous n'admirons que les grandeurs de la fortune; et nous ne voulons pas entendre que ce qu'il réserve à ses enfants est, sans aucune comparaison, plus riche et plus précieux que ce qu'il abandonne à ses ennemis.

PREMIER SERMON

POUR

LE VENDREDI SAINT.

SUR LA PASSION DE N. S. JÉSUS-CHRIST.

Trois sortes d'ennemis auxquels le pécheur a mérité d'être livré par son crime. Jésus laissé à lui-même, abandonné à la malice des Juifs, accablé de tout le poids de la justice de son Père, pour nous délivrer de ces trois sortes d'ennemis. Honte et douleur, suites naturelles de chaque péché, et causes de son agonie: avec quelle violence il éprouve ces deux sentiments. Tout l'usage de sa puissance, même naturelle, sus

pendu, pour laisser à ses ennemis plus de liberté de le faire l'angoisse que son âme endure sous la main de Dieu qui le frappe.

souffrir. Combien inconcevable la douleur, l'oppression et

Posuit Dominus in eo iniquitatem omnium nostrum.
Dieu a mis en lui seul l'iniquité de nous tous. Is.
LIII, 6.

Ainsi nous ne devons pas nous persuader que les sceptres mêmes, ni les couronnes, soient les plus illustres présents du ciel : car jetez les yeux sur tout l'univers et sur tous les siècles voyez avec quelle facilité Dieu a prodigué de tels présents indifféremment à ses ennemis et à ses amis : regardez les superbes monarchies des Orientaux infidèles voyez que Jésus-Christ regarde du plus Il n'appartient qu'à Dieu de nous parler de ses haut des cieux l'ennemi le plus déclaré du christia- grandeurs ; il n'appartient qu'à Dieu de nous par nisme, assis en la place du grand Constantin, ler aussi de ses bassesses. Pour parler des grand'où il menace si impunément les restes de la deurs de Dieu, nous ne pouvons jamais avoir chrétienté, qu'il a si cruellement ravagée. Que si des conceptions assez hautes; pour parler de ses Dieu fait si peu d'état de ce que le monde admire humiliations, nous n'oserions jamais en avoir des le plus, apprenons donc, chrétiens, à ne lui de- pensées assez basses : et dans l'une et dans l'aumander rien de mortel : demandons-lui des cho-tre de ces deux choses, il faut que Dieu nous presses qu'il soit digne de ses enfants de demander à un tel père, et digne d'un tel père de les donner à ses enfants. C'est insulter à la misère que de demander aux petits de grandes choses; c'est ravilir la majesté, que de demander au Très-Grand de petites choses. C'est son trône, c'est sa grandeur, c'est sa propre félicité qu'il veut nous donner; et nous soupirons encore après des biens périssables! Non, mes frères, ne demandons à Dieu rien de médiocre; ne lui demandons rien moins que lui-même : nous éprouverons qu'il est bon autant qu'il est juste, et qu'il est infiniment

l'un et l'autre.

Mais vous, sire, qui êtes sur la terre l'image vivante de cette Majesté suprême, imitez sa justice et sa bonté, afin que l'univers admire en votre personne sacrée un roi juste et un roi sauveur, à l'exemple de Jésus-Christ: un roi juste qui rétablisse les lois; un roi sauveur qui soulage les misères. C'est ce que je souhaite à Votre Majesté, avec la grâce du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.

crive jusqu'où nous devons porter la hardiesse de nos expressions. C'est en suivant cette règle, que je considère aujourd'hui le divin Jésus comme chargé et convaincu de plus de crimes que les plus grands criminels du monde. Le prophète Isaïe l'a dit dans mon texte; et c'est pourquoi, parlant du Sauveur, « Nous l'avons vu, dit-il, « comme un lépreux : » Et nos putavimus eum quasi leprosum; c'est-à-dire, non-seulement mais comme un homme tout couvert de plaies, encore comme un homme tout couvert de crimes

dont la lèpre était la figure. O saint et divin lépreux ! ô juste et innocent accablé de crimes! je vous regarderai dans tout ce discours courbé et humilié sous ce poids honteux, dont vous n'avez été déchargé, qu'en portant la peine qui leur était due.

C'est sur vous, ô croix salutaire, arbre autrefois infâme, et maintenant adorable, c'est sur vous qu'il a payé toute cette dette; c'est vous qui portez le prix de notre salut; c'est vous qui nous donnez le vrai fruit de la vie. O croix ! aujourd'hui l'objet de toute l'Église, que ne puis-je vous imprimer dans tous les cœurs! remplissez-moi de grandes idées des humiliations de Jésus; et afin que je puisse mieux prêcher ses ignominies, souf frez auparavant que je les adore, en me proster. nant devant vous et disant : O crux!

'Is. LIII, 4.

La plus douce consolation d'un homme de bien affligé, c'est la pensée de son innocence ; et parmi les maux qui l'accablent, au milieu des méchants qui le persécutent, sa conscience lui est un asile. C'est, mes frères, ce sentiment qui soutenait la constance des saints martyrs; et dans ces tourments inouïs qu'une fureur ingénieuse inventait contre eux, quand ils méditaient en eux-mêmes qu'ils souffraient comme chrétiens, c'est-à-dire, = comme saints et comme innocents, ce doux souvenir charmait leurs douleurs, et répandait dans leurs cœurs et sur leurs visages une sainte et divine joie.

Jésus, l'innocent Jésus, n'a pas joui de cette douceur dans sa passion; et ce qui a été donné à tant de martyrs, a manqué au Roi des martyrs. =Il est mort, il est mort, et on lui a, pour ainsi dire,

peu à peu arraché sa vie avec des violences incroyables; et parmi tant de honte et tant de tourments il ne lui est pas permis de se plaindre, ni même de penser en sa conscience qu'on le traite avec injustice. Il est vrai qu'il est innocent à l'égard des hommes; mais que lui sert de le reconnaître, puisque son Père, d'où il espérait sa consolation, le regarde lui-même comme un criminel? c'est Dieu-même qui a mis sur Jésus-Christ seul les iniquités de tous les hommes. Le voilà, cet innocent, cet Agneau sans tache, devenu tout à coup ce bouc d'abomination, chargé des crimes, des impiétés, des blasphêmes de tous les hommes. Ce n'est plus ce Jésus qui disait autrefois si assurément : « Qui de vous me reprendra de péché 1? » il n'ose plus parler de son innocence : il est tout honteux devant son Père : il se plaint d'être aban=donné; mais au milieu de ces plaintes, il est contraint de confesser que cet abandonnement est très-équitable.

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Le pécheur a mérité par son crime d'être livré aux mains de trois sortes d'ennemis : le premier ennemi, c'est lui-même; son premier bourreau, c'est sa conscience.« Il est nécessaire, dit saint Augustin, que le pécheur soit tourmenté, en « se servant à lui-même de bourreau : >> Torqueatur necesse est, sibi seipso tormento 1. Ce n'est pas assez de lui-même : il faut, en second lieu, chrétiens, que les autres créatures soient employées pour venger l'injure de leur Créateur. Mais le comble de sa misère c'est que Dieu arme contre lui sa main vengeresse, et brise une âme criminelle sous le poids intolérable de sa vengeance. O Jésus! ◊ Jésus! Jésus que je n'oserais plus nommer innocent, puisque je vous vois chargé de plus de crimes que les plus grands malfaiteurs, on vous va traiter selon vos mérites. Au jardin des Olives, votre Père vous abandonne à vous-même: vous y êtes tout seul, mais c'est assez pour votre supplice; je vous y vois suer sang et eau. De ce triste jardin, où vous vous êtes si bien tourmenté vous-même, vous tomberez dans les mains des Juifs, qui soulèveront contre vous toute la nature. Enfin vous serez attaché en croix, où Dieu, vous montrant sa face irritée, viendra lui-même contre vous avec toutes les terreurs de sa justice, et fera passer sur vous tous ses flots. Baissez, baissez la tête : vous avez voulu être caution, vous avez pris sur vous nos iniquités; vous en porterez tout le poids; vous payerez tout du long la dette, sans remise, sans miséricorde.

Vous me délaissez, ô mon Dieu! eh! mes péchés l'ont bien mérité : Longe a salute mea verba delictorum meorum. C'est en vain que je vous prie de me regarder; les crimes dont je suis chargé ne permettent pas que vous m'épargniez: Longe a salute mea. Frappez, frappez sur ce criminel; punissez mes péchés, c'est-à-dire, les péchés des hommes, qui sont véritablement devenus les miens. Ne croyez pas, mes frères, que ce soit ici une vaine idée : non, le mystère de notre salut n'est pas une fiction; le délaissement de Jésus-Christ n'est pas une invention agréable: cet abandonnement est effectif; et si vous voulez être convaincus qu'il est traité véritablement comme un criminel, prêtez seulement l'oreille au récit de sa passion douloureuse.

Joan. VIII, 46.

? Pe. XXI, I.

Il le veut bien, il n'est que trop juste; mais, hélas! de son chef il ne devait rien; mais, hélas ! c'est pour vous, c'est pour moi qu'il paye. Joignons-nous ensemble, mes frères, et faisons quelque chose à la décharge de ce pleige * innocent et charitable. Eh! nous n'avons rien à donner, nous sommes entièrement insolvables; c'est lui seul qui doit tout porter sur ses épaules. Et du moins donnons-lui des larmes, et donnons-lui du moins des soupirs, et laissons-nous du moins attendrir par une charité si bienfaisante. Vous en allez entendre l'histoire; et plût à Dieu, mes frères, qu'elle soit interrompue par nos larmes. qu'elle soit entrecoupée par nos sanglots!

PREMIER POINT.

Mes frères, la première peine d'un homme pécheur, c'est d'être livré à lui-même; et certainement il est bien juste. Le péché, dit saint Augustin, traîne son supplice avec lui; quiconque le commet, s'en punit le premier lui-même : té

1 In Psal. XXXVI. Serm. II, n° 10, t. IV, col. 270.

* Vieux terme de pratique, qui signifie celui qui sert de caution.

2 Enary, in Psal, x1.v, no 3, t iv, col. 400.

moin ce ver qui ne meurt jamais, témoin ces troubles, ces inquiétudes d'une conscience agitée. Tout cela suffit pour nous faire entendre que le pécheur est lui-même son supplice; et si nous ne sentons pas cette peine durant le cours de cette vie, Dieu nous la fera sentir un jour dans toute son étendue. Mais ne nous arrêtons pas aujourd'hui à toutes ces propositions générales; et fai- | sons-en l'application à l'état de Jésus souffrant. Enfin, le temps étant arrivé auquel il devait paraître comme criminel, Dieu commence à lui faire sentir le poids des péchés, par la peine qu'il se fait lui-même. Durant tout le cours de sa vie, il parle de sa passion avec joie, il désire continuellement cette heure dernière; c'est ce qu'il appelle son heure par excellence, comme celle qui est la fin de sa mission, et qu'il attend par conséquent avec plus d'ardeur. Mais il ne faut pas, chrétiens, que son esprit soit toujours tranquille c'est une secrète dispensation de la Providence divine, qu'il aille à la mort avec tremblement, parce qu'il y doit aller comme un criminel, parce qu'il doit s'affliger, se troubler lui-même. C'est pourquoi, sentant approcher ce temps, « Maintenant, dit-il, mon âme est trou« blée : » Nunc anima mea turbata est 2; c'est-àdire, jusqu'à cette heure elle n'avait encore senti aucun trouble; maintenant que je dois paraître comme criminel, il est temps qu'elle soit troublée. Aussi est-il troublé sans mesure par quatre passions différentes : par l'ennui, par la crainte, par la tristesse, et par la langueur: Cœpit tædere, et pavere, et contristari, et mæstus esse 3.

L'ennui jette l'âme dans un certain chagrin qui fait que la vie est insupportable, et que tous les moments en sont à charge; la crainte ébranle l'âme jusqu'aux fondements, par l'image de mille tourments qui la menacent; la tristesse la couvre d'un nuage épais qui fait que tout lui semble une mort; et enfin cette langueur, cette défaillance, c'est une espèce d'accablement, et comme un abattement de toutes les forces. Voilà l'état du Sauveur des âmes allant au jardin des Olives, tel qu'il est représenté dans son Évangile. Ah! qu'il commence bien à faire sa peine! Mais en effet ce n'est encore ici qu'un commencement : et avant que de passer outre dans le récit de son histoire, pour vous faire vivement comprendre combien ce supplice est terrible, il nous faut répondre en un mot à une fausse imagination de quelques-uns, qui se persuadent que la constance inébranlable du Fils de Dieu, soutenue par cette

1 Joan. XIII, I.

2 Ibid. Xu, 27.

* Matth. XXVI, 37. Marc. XIV, 33

force divine, a empêché que ses passions n'aient violemment agité son âme.

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Une comparaison de l'Écriture éclaircira cette objection, qui est presque dans l'esprit de tout le monde. Elle compare souvent la douleur à une mer agitée et en effet, la douleur a ses eaux amères, qu'elle fait entrer jusqu'au fond de l'âme; elle a ses vagues impétueuses, qu'elle pousse avec violence; elle s'élève par ondes, ainsi que la mer; et lorsqu'on la croit apaisée, elle s'irrite souvent avec une nouvelle furie. Ainsi la douleur ressemble à la mer, et le prophète dit expressément de celle du Fils de Dieu dans sa passion: Magna est sicut mare contritio tua1: Ah! votre douleur est comme une mer. » Comme donc sa douleur ressemble à la mer, il est en son pouvoir, chrétiens, de réprimer la douleur en la même sorte que je lis dans son évangile qu'il a autrefois dompté les eaux. Quelquefois la tempête s'étant élevée, il a commandé aux eaux et aux vents, « et il se faisait, dit l'évangéliste, une grande tranquillité: » Facta est tranquillitas magna'. Mais d'autres fois il en a usé d'une autre manière, et plus noble et plus glorieuse : il a lâché la bride aux tempêtes, et il a permis aux vents d'agiter les ondes, et de pousser, s'ils pouvaient, les flots jusqu'au ciel. Cependant il marchait dessus avec une merveilleuse assurance3, et foulait aux pieds les flots irrités.

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C'est en cette sorte, messieurs, que Jésus traite la douleur dans sa passion il pouvait commander aux flots, et ils se seraient apaises; il pouvait d'un seul mot calmer la douleur, et laisser son âme sans trouble; mais il ne lui a pas plu de le faire. Lui, qui est la sagesse éternelle, qui dispose et fait toutes choses selon le temps ordonné, se voyant arrivé au temps des douleurs, a bien voulu leur lâcher la bride, et les laisser agir dans toute leur force. Il a marché dessus, il est vrai, avec une contenance assurée; mais cependant les flots étaient soulevés; toute son âme en était troublée, et elle sentait jusqu'au vif, jusqu'à la dernière délicatesse, si je puis parler de la sorte, tout le poids de l'ennui, toutes les secousses de la crainte, tout l'accablement de la tristesse. Ne croyez donc pas, chrétiens, que la constance que nous adorons dans le Fils de Dieu, ait rien diminué de ses douleurs : il les a toutes surmontées, mais il les a toutes ressenties; il a bu jusqu'à la lie tout le calice de sa passion, il n'en a pas laissé perdre une seule goutte non-seulement il l'a bu, mais il en a

1 Tren. 11, 13.
2 Marc. IV, 39.

3 Matth. XIV, 25.

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