Obrazy na stronie
PDF
ePub

avec tous les sentiments d'une profonde douleur, que de ce jour seulement elle commence à connaître Dieu, n'appelant pas le connaître que de regarder encore tant soit peu le monde. Qu'elle nous parut au-dessus de ces lâches chrétiens qui s'imaginent avancer leur mort quand ils préparent leur confession; qui ne reçoivent les saints sacrements que par force: dignes certes de recevoir pour leur jugement ce mystère de piété qu'ils ne reçoivent qu'avec répugnance. MADAME appelle les prêtres plutôt que les médecins. Elle demande d'elle-même les sacrements de l'Église ; la pénitence avec componction; l'eucharistie avec crainte, et puis avec confiance; la sainte onction des mourants avec un pieux empressement. Bien loin d'en être effrayée, elle veut la recevoir avec connaissance: elle écoute l'explication de ces saintes cérémonies, de ces prières apostoliques, qui par une espèce de charme divin, suspendent les douleurs les plus violentes, qui font oublier la mort (je l'ai vu souvent1) à qui les écoute avec foi : elle les suit, elle s'y conforme; on lui voit paisiblement présenter son corps à cette huile sacrée, ou plutôt au sang de Jésus, qui coule si abondamment avec cette précieuse liqueur. Ne croyez pas que ces excessives et insupportables douleurs aient tant soit peu troublé sa grande âme. Ah! je ne veux plus tant admirer les braves, ni les conquérants. MADAME m'a fait connaître la vérité de cette parole du Sage: « Le patient vaut mieux que le brave; et celui qui dompte son cœur, vaut mieux que celui qui prend des villes'. » Combien a-t-elle été maîtresse du sein! avec quelle tranquillité a-t-elle satisfait à tous ses devoirs! Rappelez en votre pensée ce qu'elle a dit à MONSIEUR. Quelle force! quelle tendresse! O paroles qu'on voyait sortir de l'abondance d'un cœur qui se sent au-dessus de tout; paroles que la mort présente, et Dieu plus présent encore, ont consacrées; sincère production d'une âme, qui, tenant au ciel, ne doit plus rien à la terre que la vérité, vous vivrez éternellement dans la mémoire des hommes, mais surtout vous vivrez éternellement dans le cœur de ce grand prince. MADAME ne peut plus résister aux larmes qu'elle lui voit répandre. Invincible par tout autre endroit, ici elle est contrainte de céder. Elle prie MONSIEUR de se retirer, parce qu'elle ne veut plus

Bossuet cache la vérité par modestie quand il s'efface lui-même du récit de cette agonie, quand il attribue tout le

prodige de son propre talent aux belles et touchantes prières

de l'Eglise; quand il rappelle toujours comme témoin, jamais comine acteur, l'héroïsme de la foi de cette princesse, dont la religion seule, selon lui, eut la gloire de suspendre les douleurs les plus violentes en lui faisant même oublier la mort. (Le cardinal Maury.)

"Melior est patiens viro forti ; et qui dominatur animo suo, expugnatore urbium. (Prov. CD. XVI 32.)

sentir de tendresse que pour ce Dieu crucifié qui lui tend les bras. Alors qu'avons-nous vu? qu'avons-nous ouï? Elle se conformait aux ordres de Dieu; elle lui offrait ses souffrances, en expiation de ses fautes; elle professait hautement la foi catholique, et la résurrection des morts, cette précieuse consolation des fidèles mourants. Elle excitait le zèle de ceux qu'elle avait appelés pour l'exciter elle-même, et ne voulait point qu'ils cessassent un moment de l'entretenir des vérités chrétiennes. Elle souhaita mille fois d'être plongée au sang de l'Agneau; c'était un nouveau langage que la grâce lui apprenait. Nous ne voyions en elle, ni cette ostentation par laquelle on veut tromper les autres, ni ces émotions d'une âme alarmée par lesquelles on se trompe soi-même. Tout était simple, tout était précis, tout était tranquille; tout partait d'une âme soumise, et d'une source sanctifiée par le Saint-Esprit.

En cet état, messieurs, qu'avions-nous à demander à Dieu pour cette princesse, sinon qu'il l'affermît dans le bien, et qu'il conservât en elle les dons de sa grâce? Ce grand Dieu nous exauçait, mais souvent, dit saint Augustin '; en nous exauçant il trompe heureusement notre prévoyance. La princesse est affermie dans le bien d'une manière plus haute que celle que nous entendions. Comme Dieu ne voulait plus exposer aux illusions du monde les sentiments d'une piété si sincère, il a fait ce que dit le Sage; « il s'est hâté'. »> En effet, quelle diligence! en neuf heures l'ouvrage est accompli. « Il s'est hâté de la << tirer du milieu des iniquités. » Voilà, dit le grand saint Ambroise, la merveille de la mort dans les chrétiens : elle ne finit pas leur vie; elle ne finit que leurs péchés3, et les périls où ils sont exposés. Nous nous sommes plaints que la mort, ennemie des fruits que nous promettait la princesse, les a ravagés dans la fleur; qu'elle a effacé, pour ainsi dire, sous le pinceau même un tableau qui s'avançait à la perfection avec une incroyable diligence, dont les premiers traits, dont le seul dessein montrait déjà tant de grandeur. Changeons maintenant de langage; ne disons plus que la mort a tout d'un coup arrêté le cours de la plus belle vie du monde, et de l'histoire qui se commençait le plus noblement : disons qu'elle a mis fin aux plus grands périls dont une âme chrétienne peut être assaillie. Et, pour ne point parler ici des tentations infinies qui attaquent à chaque pas la faiblesse humaine, quel péril n'eût

[blocks in formation]
[ocr errors]

La gloire qu'y a-t-il pour le chrétien de plus
pernicieux et de plus mortel? quel appât plus
dangereux? quelle fumée plus capable de faire
tourner les meilleures têtes? Considérez la prin-
cesse; représentez-vous cet esprit, qui, ré-
pandu par tout son extérieur, en rendait les
grâces si vives: tout était esprit, tout était bonté.
Affable à tous avec dignité, elle savait estimer
les uns sans fâcher les autres; et quoique le mé-
rite fût distingué, la faiblesse ne se sentait pas
dédaignée. Quand quelqu'un traitait avec elle,
il semblait qu'elle eût oublié son rang, pour ne
se soutenir que par sa raison. On ne s'apercevait
presque pas qu'on parlât à une personne si éle-
vée; on sentait seulement au fond de son cœur
qu'on eût voulu lui rendre au centuple la gran-
deur dont elle se dépouillait si obligeamment.
Fidèle en ses paroles, incapable de déguisement,
sûre à ses amis, par la lumière et la droiture de
son esprit, elle les mettait à couvert des vains om-
brages, et ne leur laissait à craindre que leurs
propres fautes. Très-reconnaissante des services,
elle aimait à prévenir les injures par sa bonté;
vive à les sentir, facile à les pardonner. Que di-
rai-je de sa libéralité? Elle donnait non-seulement
avec joie, mais avec une hauteur d'âme qui mar-
quait tout ensemble et le mépris du don et l'es-
time de la personne. Tantôt par des paroles |
touchantes, tantôt même par son silence, elle
relevait ses présents; et cet art de donner agréa-
plement, qu'elle avait si bien pratiqué durant
sa vie, l'a suivie, je le sais1, jusqu'entre les bras de
la mort. Avec tant de grandes et tant d'aimables

[ocr errors]
[ocr errors]

point trouvé cette princesse dans sa propre gloire! | qualités, qui eût pu lui refuser son admiration? Mais avec son crédit, avec sa puissance, qui n'eût voulu s'attacher à elle? N'allait-elle pas gagner tous les cœurs? c'est-à-dire, la seule chose qu'ont à gagner ceux à qui la naissance et la fortune semblent tout donner: et si cette haute élévation est un précipice affreux pour les chrétiens, ne puis-je pas dire, messieurs, pour me servir des paroles fortes du plus grave des historiens, qu'elle allait être précipitée dans la gloire'? Car quelle créature fut jamais plus propre à être l'idole du monde? Mais ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sontelles pas exposées? La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses; mais la gloire les défend-elle de la gloire même? ne s'adorent-elles pas secrètement? ne veulent-elles pas être adorées? Que n'ont-elles pas à craindre de leur amour-propre? et que se peut refuser la faiblesse humaine, pendant que le monde lui accorde tout? N'est-ce pas là qu'on apprend à faire servir à l'ambition, à la grandeur, à la politique, et la vertu, et la religion, et le nom de Dieu? La modération, que le monde affecte, n'étouffe pas les mouvements de la vanité : elle ne sert qu'à les cacher; et plus elle ménage les dehors, plus elle livre le cœur aux sentiments les plus délicats et les plus dangereux de la fausse gloire. On ne compte plus que soi-même; et on dit au fond de son cœur : Je suis, et il n'y a que moi sur la terre 2. » En cet état, messieurs, la vie n'est-elle pas un péril? la mort n'est-elle pas une grâce? Que ne doit on pas craindre de ses vices, si les bonnes qualités sont si dangereuses? N'est-ce donc pas un bienfait de Dieu, d'avoir abrégé les tentations avec les jours de MADAME; de l'avoir arrachée à sa propre gloire, avant que cette gloire, par son. excès, eût mis en hasard sa modération? Qu'importe que sa vie ait été si courte? jamais ce qui doit finir ne peut être long. Quand nous ne compterions point ses confessions plus exactes, ses entretiens de dévotion plus fréquents, son application plus forte à la piété dans les derniers temps de sa vie; ce peu d'heures saintement passées parmi les plus rudes épreuves, et dans les sentiments les plus purs du christianisme, tiennent lieu toutes seules d'un âge accompli. Le temps a été court, je l'avoue; mais l'opération de la grâce a été forte, mais la fidélité de l'âme a été parfaite. C'est l'effet d'un art consommé, de réduire en petit tout un grand onvrage; et la grâce, cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection d'une longue

1 Bossuet fait ici allusion à un trait qui montre jusqu'où cette princesse porta la grâce et 1a délicatesse qui lui étaient Daturelles, même entre les bras de la mort. Sa première femme de chambre s'étant approchée pour lui donner quelque chose, elle lui dit en anglais, afin que Bossuet ne l'entendit pas : Donnez à M. de Condom, lorsque je serai morte, l'émeraude que j'ai fait faire pour lui. ( Le cardinal de Bausset.) Louis XIV voulut mettre lui-même cette bague au doigt de Bossuet; il lui dit qu'il l'invitait à la porter toute sa vie en mémoire de Madame; et il ajouta qu'il ne croyait pas pouvoir mieux témoigner son intérêt à la mémoire de cette princesse, qu'en le chargeant de prècher son oraison funèbre. On félicita Bossuet en lui exprimant seulement quelques regrets de ce que les bienséances de la chaire ne lui permettaient peut-être pas de rappeler dans cet éloge un legs aussi honorable pour la princesse que pour l'orateur. Eh! pourquoi pas? dit-il dans un premier mouvement de reconnaissance. Trois syllabes suffirent à Bossuet pour retracer avec autant de dignité que de mesure l'histoire générale ment divulguée de cette bague qu'on voyait briller à son doigt: c'est le triomphe des bienséances oratoires. Ces trois mots, je le sais, fondus pour ainsi dire dans une narration ou ils ne figurent pas moins par leur précision que par leur clarté, mais dont on ne peut deviner le vrai sens sans être instruit de l'anecdote qui les motive; ces trois mots entin, si simples et si frappants par un trait sublime de situation unique en éloquence, attendrirent et enthousiasmerent tout Panditoire, qui se montra digne de les sentir et de les apprécier, en les répétant plusieurs fois avec un transport unaniLe cardinal Maury.)

[ocr errors]

' In ipsam gloriam præceps agebatur. ( Tacit. Agr. § 41.) 2 Ego sum, et præter me non est altera. (ISA. cap. XLVII, 10.)

vie'. Je sais que Dicu ne veut pas qu'on s'attende,
à de tels miracles; mais si la témérité insensée des
hommes abuse de ses bontés; son bras pour cela
n'est pas raccourci, et sa main n'est pas affaiblie.
Je me confie pour MADAME en cette miséricorde,
qu'elle a si sincèrement et si humblement récla-
inée. Il semble que Dieu ne lui ait conservé le ju-
gement libre jusqu'au dernier soupir, qu'afin de
faire durer les témoignages de sa foi. Elle a aimé
en mourant le sauveur Jésus, les bras lui ont
manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la croix;
j'ai vu sa main défaillante chercher encore en
tombant de nouvelles forces pour appliquer sur
ses lèvres ce bienheureux signe de notre rédemp-
tion': n'est-ce pas mourir entre les bras et dans
le baiser du Seigneur? Ah! nous pouvons achever
ce saint sacrifice pour le repos de MADAME, avec
une pieuse confiance. Ce Jésus en qui elle a es-
péré, dont elle a porté la croix en son corps par
des douleurs si cruelles, lui donnera encore son
sang, dont elle est déjà toute teinte, toute pé-
nétrée, par la participation à ses sacrements, et
par la communion avec ses souffrances.

sent après un avertissement si sensible, que lui reste-t-il autre chose, que de nous frapper nousmêmes sans miséricorde? Prévenons un coup si funeste; et n'attendons pas toujours des miracles de la grâce. Il n'est rien de plus odieux à la souveraine puissance, que de la vouloir forcer par des exemples, et de lui faire une loi de ses grâces et de ses faveurs. Qu'y a-t-il done, chrétiens, qui puisse nous empêcher de recevoir, sans différer, ses inspirations? Quoi! le charme de sentir est-il si fort que nous ne puissions rien prévoir? Les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur fortune, quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peut-être a leurs envieux? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour où la mort nous forcera de confesser toutes nos erreurs, pourquoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force? et quel est notre aveuglement, si toujours avançant vers notre fin, et plutôt mourants que vivants, nous attendons les derniers soupirs, pour prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devrait inspirer à tous les moments de notre vie? Commencez aujourd'hui à mépriser les faveurs du monde ; et toutes les fois que vous serez dans ces lieux augustes, dans ces superbes palais à qui MADAME donnait un éclat que vos yeux recherchent encore; toutes les fois que,

Mais en priant pour son âme, chrétiens, songeons à nous-mêmes. Qu'attendons-nous pour nous convertir? et quelle dureté est semblable à la nôtre, si un accident si étrange, qui devrait nous pénétrer jusqu'au fond de l'âme, ne fait que nous étourdir pour quelques moments? Attendons-nous que Dieu ressuscite des morts, pour nous instruire? Il n'est point nécessaire que les morts re-regardant cette grande place qu'elle remplissait viennent, ni que quelqu'un sorte du tombeau : ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir : car si nous savons nous connaître, nous confesserons, chrétiens, que les vérités de l'éternité sont assez bien établies; nous n'avons rien que de faible à leur opposer; c'est par passion, et non par raison, que nous osons les combattre. Si quelque chose les empêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités, gleterre et de Madame Henriette à l'abbé de Rancé, lui écri

c'est que le monde nous occupe; c'est que les sens nous enchantent; c'est que le présent nous entraîne. Faut-il un autre spectacle pour nous détromper et des sens, et du présent, et du monde? La Providence divine pouvait-elle nous mettre en vue, ni de plus près, ni plus fortement, la vanité des choses humaines? et si nos cœurs s'endurcis

Rien ne peut mieux faire connaitre l'esprit de douceur et de charite chretienne dont Bossuet fit usage dans les derniers moments de Henriette d'Angleterre que ce qu'il dit ici kui-même. (Le cardinal de Bausset.)

* Fénelon n'est pas plus sensible. Bossuet emploie ici et consacre, pour ainsi dire, ces deux beaux vers de Tibulle: Te speclem, suprema mihi cum venerit hora;

Te teneam moriens, deficiente manu.

(Lib. 1, eleg. 1, 63.)

On sait que le pieux et ingénieux Commire avait placé cette Inscription au pied de son crucifix. ( L'abbé de l'auxcelles.)

si bien, vous sentirez qu'elle y manque; songez que cette gloire que vous admiriez faisait son péril en cette vie, et que dans l'autre elle est devenue le sujet d'un examen rigoureux, où rien n'a été capable de la rassurer que cette sincère résignation qu'elle a eue aux ordres de Dieu, et les saintes humiliations de la pénitence'.

Bossuet, en envoyant l'oraison funèbre de la reine d'An

vait : « J'ai laissé ordre de vous faire passer deux oraisons funèbres qui, parce qu'elles font voir le néant du monde, peuvent avoir place parmi les livres d'un solitaire, et que, en tout cas, il peut regarder comme deux tétes de mort assez touchantes. » Ces mots, jetés au hasard dans une lettre qui n'était pas destinée à voir le jour, révèlent la pensée habituelle de Bossuet. Jamais la puissance et la grandeur ne venaient se présenter à son esprit qu'il ne vit la mort à côté. (Le cardinal de Bausset.) — L'intérêt que peut inspirer une

princesse expirant à la fleur de son age semble se devoir épuiser vite tout consiste en quelques oppositions vulgaires de la beauté, de la jeunesse, de la grandeur et de la mort; et c'est pourtant sur ce fonds stérile que Bossuet a bati un des plus beaux monuments de l'éloquence; c'est de là qu'il est parti pour montrer la misère de l'homme par son côté périssable, et sa grandeur par son côté immortel. Il commence par le ravaler au-dessous des vers qui le rongent au sépulcre, pour le peindre ensuite glorieux avec la vertu dans des royaumes incorruptibles. (M. de Chateaubriand.)

[blocks in formation]

« vierges', » comme les appelle saint Jean, au même sens que saint Paul disait à tous les fidèles de Corinthe : « Je vous ai promis, comme une vierge pudique, à un seul homme, qui est JésusChrist. » La vraie chasteté de l'âme, la vraie pudeur chrétienne est de rougir du péché, de n'avoir d'yeux ni d'amour que pour Jésus-Christ, et de tenir toujours ses sens épurés de la corruption

[ocr errors]

Prononcée à Saint-Denis le 1er septembre 1683 en présence du siècle. C'est dans cette troupe innocente et

de monseigneur le Dauphin.

Sine macula enim sunt ante thronum Dei.
Ils sont sans tache devant le trône de Dieu.

(Paroles de l'apôtre saint Jean, dans sa Révélation,
chap. XIV, 5.)

MONSEIGNEUR,

Quelle assemblée l'apôtre saint Jean nous fait paraître! Ce grand prophète nous ouvre le ciel, et notre foi y découvre « sur la sainte montagne « de Sion, » dans la partie la plus élevée de la Jérusalem bienheureuse, l'Agneau qui ôte le péché du monde, avec une compagnie digne de lui. Ce sont ceux dont il est écrit au commence

[ocr errors]
[ocr errors]

ment de l'Apocalypse: « Il y a dans l'Église de Sardis un petit nombre de fidèles, pauca nomina, qui n'ont pas souillé leurs vêtements2: » ces riches vêtements dont le baptême les a revêtus; vêtements qui ne sont rien moins que JésusChrist même, selon ce que dit l'Apôtre : « Vous « tous qui avez été baptisés, vous avez été revê<«<tus de Jésus-Christ 3. » Ce petit nombre chéri de Dieu pour son innocence, et remarquable pour la rareté d'un don si exquis, a su conserver ce précieux vêtement, et la grâce du baptême. Et quelle sera la récompense d'une si rare fidélité? Ecoutez parler le Juste et le Saint : « Ils marchent, dit-il, « avec moi, revêtus de blanc, parce qu'ils en sont « dignes; » dignes, par leur innocence, de porter dans l'éternité la livrée de l'Agneau sans tache et de marcher toujours avec lui, puisque jamais ils ne l'ont quitté depuis qu'il les a mis dans sa compagnie âmes pures et innocentes, " âmes

Cette princesse, née le 20 septembre 1638, était l'unique

fruit du mariage de Philippe IV, roi d'Espagne, avec Élisabeth de France, fille de Henri IV. Le 4 juin 1660, elle épousa Louis XIV, son cousin germain, et qui était de même âge qu'elle. Lorsque ce monarque partit, en 1672, pour la guerre de Hollande, il lui confia la régence du royaume et lui donna ainsi le témoignage public de sa confiance dans ses talents. Après une vie passée dans l'exercice de la plus austere piété, Marie-Thérèse, qui s'était éloignée le plus qu'elle avait pu des intrigues et des agitations de la cour, mourut le 30 juil

let 1683, à l'âge de quarante-cinq ans. « Voilà, dit le roi en apprenant sa mort, voilà le premier chagrin qu'elle m'ait donné. »

2 Habes pauca nomina in Sardis, qui non inquinaverunt vestimenta sua. (Apoc. cap. II, 4.)

• Quicumque in Christo baptizati estis, Christum induistis. (Gal. cap. 1, 27.)

Ambulabunt mecum in albis, quia digni sunt. (Apoc. cap. III, 4.)

pure que la reine a été placée : l'horreur qu'elle a toujours eue du péché lui a mérité cet honneur. La foi, qui pénètre jusqu'aux cieux, nous la fait voir aujourd'hui dans cette bienheureuse compagnie. Il me semble que je reconnais cette modestie, cette paix, ce recueillement que nous lui voyions devant les autels, qui inspirait du restes dispositions le transport d'une joie céleste. La pect pour Dieu et pour elle: Dieu ajoute à ces sain

mort ne l'a point changée, si ce n'est qu'une immortelle beauté a pris la place d'une beauté changeante et mortelle. Cette éclatante blancheur, symbole de son innocence et de la candeur de son ame, n'a fait, pour ainsi parler, que passer audedans, où nous la voyons rehaussée d'une lumière divine. «< Elle marche avec l'Agneau, car elle << en est digne 3. » La sincérité de son cœur, sans dissimulation et sans artifice, la range au nombre de ceux dont saint Jean a dit, dans les paroles qui précèdent celles de mon texte, que « le mensonge ne s'est point trouvé en leur bouche, ni aucun déguisement dans leur conduite,

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

« се

qui fait qu'on les voit sans tache devant le trône « de Dieu 4 : » Sine macula enim sunt ante thronum Dei. En effet, elle est sans reproche devant Dieu et devant les hommes : la médisance ne peut attaquer aucun endroit de sa vie depuis son enfance jusqu'à sa mort; et une gloire si pure, une si belle réputation est un parfum précieux qui réjouit le ciel et la terre.

Monseigneur, ouvrez les yeux à ce grand spectacle. Pouvais-je mieux essuyer vos larmes, celles des princes qui vous environnent, et de cette auguste assemblée, qu'en vous faisant voir au milieu de cette troupe resplendissante, et dans cet état glorieux, une mère si chérie et si regrettée? Louis même, dont la constance ne peut vaincre ses justes douleurs, les trouverait plus traitables dans cette pensée. Mais ce qui doit être votre unique consolation, doit aussi, monseigneur, être votre exemple; et, ravi de l'éclat

[blocks in formation]

immortel d'une vie toujours si réglée et toujours | des cieux, très-haute, très-excellente, très-puis

si irréprochable, vous devez en faire passer toute la beauté dans la vôtre.

Qu'il est rare, chrétiens, qu'il est rare encore une fois, de trouver cette pureté parmi les hommes! mais surtout, qu'il est rare de la trouver parmi les grands! << Ceux que vous voyez revê« tus d'une robe blanche, ceux-là, dit saint Jean, « viennent d'une grande affliction', de tribulatione magna; afin que nous entendions que cette divine blancheur se forme ordinairement sous la croix, et rarement dans l'éclat, trop plein de tentation, des grandeurs humaines.

Et toutefois il est vrai, messieurs, que Dieu, par un miracle de sa grâce, se plaît à choisir, parmi les rois, de ces âmes pures. Tel a été saint Louis toujours pur et toujours saint dès son enfance; et MARIE-THÉRÈSE sa fille a eu de lui ce bel héritage.

Entrons, messieurs, dans les desseins de la Providence, et admirons les bontés de Dieu, qui se répandent sur nous et sur tous les peuples, dans la prédestination de cette princesse. Dieu l'a élevée au faite des grandeurs humaines, afin de rendre la pureté et la perpétuelle régularité de sa vie plus éclatante et plus exemplaire. Ainsi sa vie et sa mort, également pleines de sainteté et de grâce, deviennent l'instruction du genre humain. Notre siècle n'en pouvait recevoir de plus parfaite, parce qu'il ne voyait nulle part dans une si haute élévation une pareille pureté. C'est ce rare et merveilleux assemblage que nous aurons à considérer dans les deux parties de ce discours. Voici en peu de mots ce que j'ai à dire de la plus pieuse des reines, et tel est le digne abrégé de son éloge: Il n'y a rien que d'auguste dans sa personne, il n'y a rien que de pur dans sa vie. Accourez, peuples: venez contempler dans la première place du monde la rare et majestueuse beauté d'une vertu toujours constante. Dans une vie si égale, il n'importe pas à cette princesse où la mort frappe; on n'y voit point d'endroit faible par où elle pût craindre d'être surprise : toujours vigilante, toujours attentive à Dieu et à son salut, sa mort si précipitée, et si effroyable pour nous, n'avait rien de dangereux pour elle. Ainsi son élévation ne servira qu'à faire voir à tout l'univers, comme du lieu le plus éminent qu'on découvre dans son enceinte, cette importante vérité, qu'il n'y a rien de solide ni de vraiment grand parmi les hommes, que d'éviter le péché; et que la seule précaution contre les attaques de la mort, c'est l'innocence de la vie. C'est, messieurs, l'instruction que nous donne dans ce tombeau, ou plutôt du plus haut

Hi qui amicti sunt stolis albis.... hi sunt qui venerunt in tribulatione magua. (Apoc. cap. vii, 13, 14. )

[ocr errors]

sante et très-chrétienne princesse MARIE-THÉrèse d'AutrichE, INFANTE D'ESPAGNE, REINE DE FRANCE ET DE Navarre.

Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est Dieu qui donne les grandes naissances, les grands mariages, les enfants, la postérité. C'est lui qui dit à Abraham : « Les rois sortiront de vous', qui fait dire par son prophète à David : « Le Sei«gneur vous fera une maison2. » «‹ Dieu, qui d'un

[ocr errors]

3

>>

et

« seul homme a voulu former tout le genre humain, comme dit saint Paul, et de cette source « commune le répandre sur toute la face de la འ terre, » en a vu et prédestiné dès l'éternité les alliances et les divisions, « marquant les temps poursuit-il, et donnant des bornes à la demeure des peuples3; » et enfin un cours réglé à toutes ces choses. C'est donc Dieu qui a voulu élever la reine, par une auguste naissance, à un auguste mariage, afin que nous la vissions honorée au-dessus de toutes les femmes de son siècle, pour avoir été chérie, estimée, et trop tôt, hélas ! regrettée par le plus grand de tous les hommes.

[ocr errors]

Que je méprise ces philosophes, qui, mesurant les conseils de Dieu à leurs pensées, ne le font auteur que d'un certain ordre général d'où le reste se développe comme il peut ! Comme s'il avait à notre manière des vues générales et confuses, et comme si la souveraine Intelligence pouvait ne pas comprendre dans ses desseins les choses particulières, qui seules subsistent véritablement 4. N'en doutons pas, chrétiens, Dieu a préparé dans son conseil éternel les premières familles qui sont la source des nations, et dans toutes les nations les qualités dominantes qui devaient en faire la fortune. Il a aussi ordonné dans les nations les familles particulières dont elles sont composées, mais principalement celles qui devaient gouverner ces nations, et en particulier, dans ces familles, tous les hommes par lesquels elles devaient ou s'élever, ou se soutenir, ou s'abattre.

Reges ex te egredientur. ( Gen. cap. XVII, 6.,

a Prædicit tibi Dominus, quod domum faciat libi Dominus.

(II. Reg. cap. VII, II.)

3 Deus...... qui fecit ex uno omne genus hominum inhabitare super universam faciem terræ, definiens statuta tempora, et terminos habitationis eorum, (Act. cap. XVII, 24, 26.)

4 Toujours Bossuet rend compte de tout par les décrets de la Providence, et méprise les philosophes qui veulent s'en passer. Dieu, dans son conseil éternel, a préparé Marie Thérèse pour épouse au plus grand des hommes; et cet homme sera Louis. On a beau se récrier, le soupçonner de flatterie, l'accuser d'appeler Dieu cet arrangement politique de deux cours pour le mariage d'une infante, il ne s'inquiète pas de cela, sûr que, quand il recourt à la Providence, il remonte à la vraie source des événements et à celle des plus beaux mouvements oratoires. (L'abbé de Fauxcelles. ) - Voilà

la philosophie de la religiou, et Bossuet y rattache tout do suite la philosophie de la politique. ( Le cardinal de Bausset.)

« PoprzedniaDalej »