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de ces peuples, les a livrés à l'intempérance de leur folle curiosité, en sorte que l'ardeur de leurs disputes insensées, et leur religion arbitraire, est devenue la plus dangereuse de leurs maladies.

Il ne faut point s'étonner s'ils perdirent le respect de la majesté et des lois, ni s'ils devinrent factieux, rebelles et opiniâtres. On énerve la religion quand on la change, et on lui ôte un certain poids, qui seul est capable de tenir les peuples. Ils ont dans le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, si on leur ôte ce frein nécessaire ; et on ne leur laisse plus rien à ménager, quand on leur permet de se rendre maîtres de leur religion. C'est de là que nous est né ce prétendu règne de Christ, inconnu jusques alors au christianisme, qui devait anéantir toute royauté, et égaler tous les hommes; songe séditieux des indépendants, et leur chimère impie et sacrilége: tant il est vrai que tout se tourne en révoltes, et en pensées séditieuses, quand l'autorité de la religion est anéantie! Mais pourquoi chercher des preuves d'une vérité que le SaintEsprit a prononcée par une sentence manifeste? Dieu même menace les peuples qui altèrent la religion qu'il a établie, de se retirer du milieu d'eux, et par là de les livrer aux guerres civiles. Écoutez comme il parle par la bouche du prophète Zacharie: «< Leur âme, dit le Seigneur, a varié « envers moi, » quand ils ont si souvent changé la religion, « et je leur ai dit : Je ne serai plus votre « pasteur; » c'est-à-dire, je vous abandonnerai à vous-mêmes, et à votre cruelle destinée: et voyez la suite: « Que ce qui doit mourir aille à la mort; « que ce qui doit être retranché soit retranché; entendez-vous ces paroles? « et que ceux qui demeureront, se dévorent les uns les autres1. » O prophétie trop réelle, et trop véritablement accomplie la reine avait bien raison de juger qu'il n'y avait point de moyen d'ôter les causes des guerres civiles, qu'en retournant à l'unité catholique, qui a fait fleurir durant tant de siècles l'Église et la monarchie d'Angleterre, autant que les plus saintes Églises et les plus illustres monarchies du monde. Ainsi, quand cette pieuse princesse servait l'Église, elle croyait servir l'État, elle croyait assurer au roi des serviteurs, en conservant à Dieu des fidèles. L'expérience a justifié ses sentiments; et il est vrai que le roi son fils n'a rien trouvé de plus ferme dans son service, que ces catholiques si hais, si persécutés, que lui avait sauvés la reine sa mère. En effet, il est visible que puisque la séparation et la ré

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Anima eorum variavit in me, et dixi : Non pascam vos. Quod moritur, moriatur; et quod succiditur, succidatur, et reliqui devorent unusquisque carnem proximi sui. ( Zach. cap. XI, V. 9.)

volte contre l'autorité de l'Église a été la source d'où sont dérivés tous les maux, on n'en trouvera jamais les remèdes que par le retour à l'unité, et par la soumission ancienne. C'est le mépris de cette unité qui a divisé l'Angleterre. Que si vous me demandez comment tant de factions opposées, et tant de sectes incompatibles, qui se devaient apparemment détruire les unes les autres, ont pu si opiniâtremént conspirer ensemble contre le trône royal, vous l'allez apprendre.

Un homme' s'est rencontré d'une profondeur d'esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu'habile politique, capable de tout entreprendre et de tout cacher, également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance; mais au reste si vigilant et si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées; enfin, un de ces esprits remuants et audacieux, qui semblent nés pour changer le monde. Que le sort de tels esprits est hasardeux, et qu'il en paraît dans l'histoire à qui leur audace a été funeste! Mais aussi que ne font-ils pas, quand il plaît à Dieu de s'en servir? Il fut donné à celui-ci de tromper les peuples, et de prévaloir contre les rois. Car, comme il eut aperçu que, dans ce mélange infini de sectes, qui n'avaient plus de règles certaines, le plaisir de dogmatiser sans être repris ni contraint par aucune autorité ecclésiastique ni séculière, était le charme qui possédait les esprits, il sut si bien les concilier par là, qu'il fit un corps redoutable de cet assemblage monstrueux. Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom. Ceux-ci, occupés du premier objet qui les avait transportés, allaient toujours, sans regarder qu'ils allaient à la servitude; et leur subtil conducteur, qui en combattant, en dogmatisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète, aussi bien que le soldat et le capitaine, vit qu'il avait tellement enchanté le monde, qu'il était regardé de toute l'armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l'indépendance, commença à s'apercevoir qu'il pouvait encore les pousser plus loin. Je ne vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses entreprises, nices fameuses victoires dont la vertu était indignée, ni cette longue tranquillité qui a étonné

Un autre écrivain aurait pu dire: Cromwell était un de ces prodiges de scélératesse qui apparaissent de temps en temps dans l'univers comme d'effrayants phénomènes, etc. Bossuet dit tout cela d'un seul mot: un homme s'est rencontré... et avec ce seul mot il fait entendre ce qu'il y a de plus extraordinaire. Voilà ce que j'appelle la langue de Bossuet on en trouverait des traits à toutes les pages, et souvent en foule et pressés les uns sur les autres. (La Harpe.) 2 Apoc. cap. xIII, V. 5, 7.,

l'univers '. C'était le conseil de Dieu d'instruire les rois à ne point quitter son Église. Il voulait découvrir, par un grand exemple, tout ce que peut l'hérésie; combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fatale à la royauté et à toute autorité légitime. Au reste, quand ce grand Dieu a choisi quelqu'un pour être l'instrument de ses desseins, rien n'en arrête le cours; ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance. « Je suis le « Seigneur, dit-il par la bouche de Jérémie ; c'est « moi qui ai fait la terre avec les hommes et les << animaux, et je la mets entre les mains de qui « il me plaît. Et maintenant j'ai voulu soumettre « ces terres à Nabuchodonosor, roi de Babylone, « mon serviteur3. » Il l'appelle son serviteur, quoiqu'infidèle, à cause qu'il l'a nommé pour exécuter ses décrets. « Et j'ordonne, poursuit-il, que "tout lui soit soumis, jusqu'aux animaux 4 : »> tant il est vrai que tout ploie et que tout est souple quand Dieu le commande. Mais écoutez la suite de la prophétie : « Je veux que ces peuples lui obéis« sent, et qu'ils obéissent encore à son fils, jus- | qu'à ce que le temps des uns et des autres vienne 5. » Voyez, chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées; Dieu détermine jusqu'à quand doit durer l'assoupissement, et quand aussi se doit réveiller le monde.

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Tel a été le sort de l'Angleterre. Mais que, dans cette effroyable confusion de toutes choses, il est beau de considérer ce que la grande HENRIETTE a entrepris pour le salut de ce royaume; ses voyages, ses négociations, ses traités, tout ce que sa prudence et son courage opposaient à la fortune de l'État ; et enfin sa constance, par laquelle n'ayant pu vaincre la violence de la destinée, elle en a si noblement soutenu l'effort! Tous les jours elle ra

Bossuet ne nomme pas une seule fois Cromwell. Il fait mieux : Il le montre à tous les esprits; il le rend présent à tous les regards; il lui laisse tous les lauriers qui ombrageaient son front tant de fois victorieux, et il arrache le masque qui couvrait tant de crimes et d'hypocrisie. C'est la plus Doble vengeance du génie et de la vertu. (Le cardinal de Bausset.) Cette modération de Bossuet est d'autant plus remarquable, que l'éloge funèbre de la veuve de Charles ler fat prononcé en 1669, onze ans seulement après la mort de Cromwell, et dix ans après le rétablissement de Charles II sur le tróne : c'est-à-dire, quand depuis deux lustres révolus la mémoire de Cromwell était livrée au jugement de l'histoire, et que son cadavre avait été exhumé, trainé sur la claie dans les rues de Londres, pendu et enterré au pied du gibet. (Le cardinal Maury.)

Ego feci terram, et homines, et jumenta quæ sunt super faciem terræ, in fortitudine mea magna et in brachio meo extento; et dedi eam ei qui placuit in oculis meis. (Jerem. cap. XXVII, v. 5.)

Et nunc itaque dedi omnes terras istas in manu Nabuchodonosor, regis Babylonis, servi mei. (Ibid. v. G.)

• Insuper et bestias agri dedi ei, ut serviant illi. (Ibid. ) Et servient ei omnes gentes, et filio ejus, etc. donec veniat tempus terræ ejus et ipsius. (Ibid. v. 7.)

menait quelqu'un des rebelles; et de peur qu'ils ne fussent malheureusement engagés à faillir toujours, parce qu'ils avaient failli une fois, elle vou. lait qu'ils trouvassent leur refuge dans sa bonté, et leur sûreté dans sa parole. Ce fut entre ses mains que le gouverneur de Sharborough remit ce port et ce château inaccessible. Les deux Hotham père et fils, qui avaient donné le premier exemple de perfidie, en refusant au roi même les portes de la forteresse et du port de Hull, choisirent la reine pour médiatrice, et devaient rendre au roi cette place, avec celle de Beverley; mais ils furent prévenus et décapités; et Dieu, qui voulut punir leur honteuse désobéissance par les propres mains des rebelles, ne permit pas que le roi profitât de leur repentir. Elle avait encore gagné un maire de Londres, dont le crédit était grand, et plusieurs autres chefs de la faction. Presque tous ceux qui lui parlaient se rendaient à elle ; et si Dieu n'eût point été inflexible, si l'aveuglement des peuples n'eût pas été incurable, elle aurait guéri les esprits, et le parti le plus juste aurait été le plus fort.

On sait, messieurs, que la reine a souvent exposé sa personne dans ces conférences secrètes; mais j'ai à vous faire voir de plus grands hasards. Les rebelles s'étaient saisis des arsenaux et des magasins; et malgré la défection de tant de sujets, malgré l'infâme désertion de la milice même, il était encore plus aisé au roi de lever des soldats, que de les armer. Elle abandonne, pour avoir des armes et des munitions, non-seulement ses joyaux, mais encore le soin de sa vie. Elle se met en mer au mois de février, malgré l'hiver et les tempêtes; et sous prétexte de conduire en Hollande la princesse royale sa fille aînée, qui avait été mariée à Guillaume, prince d'Orange, elle va pour engager les États dans les intérêts du roi, lui gagner des officiers, lui amener des munitions. L'hiver ne l'avait pas effrayée, quand elle partit d'Angleterre; l'hiver ne l'arrête pas onze mois après, quand il faut retourner auprès du roi mais le succès n'en fut pas semblable. Je tremble au seul récit de la tempête furieuse dont sa flotte fut battue durant dix jours. Les matelots furent alarmés jusqu'à perdre l'esprit, et quelques-uns d'entre eux se précipitèrent dans les ondes. Elle, toujours intrépide autant que les vagues étaient émues, rassurait tout le monde par sa fermeté; elle excitait ceux qui l'accompagnaient à espérer en Dieu, qui faisait toute sa confiance; et pour éloigner de leur esprit les funestes idées de la mort qui se présentait de tous côtés, elle disait, avec un air de sérénité qui semblait déjà ramener le calme, que les reines ne se noyaient pas. Hélas! elle est réservée à quelque chose de bien plus extraordi

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Ceux qui sont échappés du naufrage disent un éternel adieu à la mer et aux vaisseaux'; et, comme disait un ancien auteur, ils n'en peuvent même supporter la vue. Cependant onze jours après, ô résolution étonnante! la reine, à peine sortie d'une tourmente si épouvantable, pressée | du désir de revoir le roi, et de le secourir, ose encore se commettre à la furie de l'Océan et à la rigueur de l'hiver. Elle ramasse quelques vaisseaux, qu'elle charge d'officiers et de munitions, et repasse enfin en Angleterre. Mais qui ne serait étonné de la cruelle destinée de cette princesse? | Après s'être sauvée des flots, une autre tempête lui fut presque fatale. Cent pièces de canon tonnèrent sur elle à son arrivée, et la maison où elle entra fut percée de leurs coups. Qu'elle eut d'assurance dans cet effroyable péril ! mais qu'elle eut de clémence pour l'auteur d'un si noir attentat! On l'amena prisonnier peu de temps après; elle lui pardonna son crime, le livrant pour tout supplice à sa conscience, et à la honte d'avoir entrepris sur la vie d'une princesse si bonne et si généreuse : tant elle était au-dessus de la vengeance aussi bien que de la crainte!

Mais ne la verrons-nous jamais auprès du roi, qui souhaite si ardemment son retour? Elle brûle du même désir, et déjà je la vois paraître dans un nouvel appareil. Elle marche comme un général à la tête d'une armée royale, pour traverser des provinces que les rebelles tenaient presque toutes. Elle assiége et prend d'assaut en passant une place considérable qui s'opposait à sa marche; elle triomphe, elle pardonne; et enfin le roi la vient recevoir dans une campagne, où il avait remporté l'année précédente une victoire signalée sur le général Essex. Une heure après, on apporta la nouvelle d'une grande bataille gagnée. Tout semblait prospérer par sa présence; les rebelles étaient consternés et si la reine en eût été crue; si au lieu de diviser les armées royales, et de les amuser, contre son avis, aux siéges infortunés de Hull

Naufragio liberati, exinde repudium et navi et mari dicunt. (Tertull. de Pœnit. n° 7.)

2 Cette victoire signalée paraît être la bataille d'Edgehil, dans laquelle le fils du célèbre et malheureux favori d'Elisabeth combattit le roi en personne. Le succès en fut douteux; et quelque temps après Charles dut lever le siége de Glocester, que Bossuet caractérise si bien par l'épithète d'infortune.

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et de Glocester, on eût marché droit à Londres, l'affaire était décidée, et cette campagne eût fini la guerre. Mais le moment fut manqué. Le terme fatal approchait; et le ciel, qui semblait suspendre, en faveur de la piété de la reine, la vengeance qu'il méditait, commença à se déclarer. « Tu sais vaincre, disait un brave Africain au plus rusé capitaine qui fut jamais; mais tu ne sais pas « user de ta victoire : Rome, que tu tenais, t'é«chappe; et le destin ennemi t'a ôté tantôt le moyen, « tantôt la pensée de la prendre'. » Depuis ce malheureux moment, tout alla visiblement en décadence, et les affaires furent sans retour. La reine, qui se trouva grosse, et qui ne put par tout son crédit faire abandonner ces deux siéges, qu'on vit enfin si mal réussir, tomba en langueur; et tout l'État languit avec elle. Elle fut contrainte de se séparer d'avec le roi, qui était presque assiégé dans Oxford, et ils se dirent un adieu bien triste, quoiqu'ils ne sussent pas que c'était le dernier. Elle se retire à Exeter, ville forte, où elle fut ellemême bientôt assiégée. Elle y accoucha d'une princesse, et se vit, douze jours après, contrainte de prendre la fuite pour se réfugier en France.

Princesse, dont la destinée est si grande et si glorieuse, faut-il que vous naissiez en la puissance des ennemis de votre maison? O Éternel! veillez sur elle; anges saints, rangez à l'entour vos escadrons invisibles, et faites la garde autour du berceau d'une princesse si grande et si délaissée. Elle est destinée au sage et valeureux Philippe, et doit des princes à la France, dignes de lui, dignes d'elle et de leurs aïeux. Dieu l'a protégée, messieurs. Sa gouvernante, deux ans après, tire ce précieux enfant des mains des rebelles : et quoique ignorant sa captivité, et sentant trop sa grandeur, elle se découvre elle-même; quoique refusant tous les autres noms, elle s'obstine à dire qu'elle est la Princesse; elle est enfin amenée auprès de la reine sa mère, pour faire sa consolation durant ses malheurs, en attendant qu'elle fasse la félicité d'un grand prince et la joie de toute la France. Mais j'interromps l'ordre de mon histoire. J'ai dit que la reine fut obligée à se retirer de son royaume. En effet, elle partit des ports d'Angleterre à la vue des vaisseaux des rebelles, qui la poursuivaient de si près, qu'elle entendait presque leurs cris et leurs menaces insolentes. O voyage! bien différent de celui qu'elle avait fait sur la même mer, lorsque, venant prendre possession du sceptre de la Grande-Bretagne, elle voyait, pour ainsi dire, les ondes se courber sous elle, et soumettre toutes leurs vagues à la domi

Tum Maharbal: Vincere scis, Annibal, victoria uti nescis. (Tit. Liv. Dec. 3, lib. 11.)

Potiundæ urbis Rome, modo mentem non dari, modo fortunam. (Ibid. lib. vi.)

natrice des mers! Maintenant chassée, poursuivie par ses ennemis implacables, qui avaient eu l'audace de lui faire son procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure, n'ayant pour elle que Dieu et son courage inébranlable, elle n'avait ni assez de vents ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée. Mais enfin elle arrive à Brest, où après tant de maux il lui fut permis de respirer un peu.

Quand je considère en moi-même les périls extrêmes et continuels qu'a courus cette princesse, sur la mer et sur la terre, durant l'espace de près de dix ans, et que d'ailleurs je vois que toutes les entreprises sont inutiles contre sa personne, pendant que tout réussit d'une manière surprenante contre l'État, que puis-je penser autre chose, sinon que la Providence, autant attachée à lui conserver la vie qu'à renverser sa puissance, a voulu qu'elle survéquît à ses grandeurs, afin qu'elle pût survivre aux attachements de la terre, et aux sentiments d'orgueil qui corrompent d'autant plus les âmes, qu'elles sont plus grandes et plus élevées? Ce fut un conseil à peu près semblable qui abaissa autrefois David sous la main du rebelle Absalon. « Le voyez-vous, ce grand roi, dit le saint et élo«quent prêtre de Marseille; le voyez-vous seul, abandonné, tellement déchu dans l'esprit des siens, qu'il devient un objet de mépris aux uns; ⚫et, ce qui est plus insupportable à un grand courage, un objet de pitié aux autres; ne sachant, poursuit Salvien, de laquelle de ces deux choses il avait le plus à se plaindre, ou de ce que Siba ⚫le nourrissait, ou de ce que Sémei avait l'inso⚫lence de le maudire '? » Voilà, messieurs, une image, mais imparfaite, de la reine d'Angleterre, quand, après de si étranges humiliations, elle fut encore contrainte de paraître au monde, et d'étaler, pour ainsi dire, à la France même, et au Louvre, où elle était née avec tant de gloire, toute l'étendue de sa misère'. Alors elle put bien dire, avec le prophète Isaïe : « Le Seigneur des armées a fait ces choses, pour anéantir tout le faste des ⚫ grandeurs humaines, et tourner en ignominie ce ⚫ que l'univers a de plus auguste3. » Ce n'est pas que la France ait manqué à la fille de Henri le Grand; Anne la magnanime, la pieuse, que nous ne nommerons jamais sans regret, la reçut d'une manière convenable à la majesté des deux reines.

1 Dejectus usque in servorum suorum, quod grave est, contumeliam, vel, quod gravius, misericordiam; ut vel Siba eum pasceret, vel ei maledicere Semei publice non timeret. (Salv. de Gubern. Dei, lib. II, cap. v.)

La postérité aura peine à croire que la petite-fille de Henri IV ait manqué d'un fagot pour se lever, au mois de janvier, au Louvre. (Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires.) * Dominus exercituum cogitavit hoc, ut detraheret superbiar omuis gloriæ, et ad ignominiam deduceret universos inclytos terræ. Isaias, cap. xxi, V. 9.)

Mais les affaires du roi ne permettant pas que cette sage régente pût proportionner le remède au mal, jugez de l'état de ces deux princesses. HENRIETTE, d'un si grand cœur, est contrainte de demander du secours : Anne, d'un si grand cœur, ne peut en donner assez. Si l'on eût pu avancer ces belles années dont nous admirons maintenant le cours glorieux, Louis, qui entend de si loin les gémissements des chrétiens affligés '; qui, assuré de sa gloire, dont la sagesse de ses conseils et la droiture de ses intentions lui répondent toujours, malgré l'incertitude des événements, entreprend lui seul la cause commune, et porte ses armes redoutées à travers des espaces immenses de mer et de terre; aurait-il refusé son bras à ses voisins, à ses alliés, à son propre sang, aux droits sacrés de la royauté, qu'il sait si bien maintenir? Avec quelle puissance l'Angleterre l'aurait-elle vu invincible défenseur, ou vengeur présent de la majesté violée! Mais Dieu n'avait laissé aucune ressource au roi d'Angleterre; tout lui manque, tout lui est contraire. Les Écossais, à qui il se donne, le livrent aux parlementaires anglais, et les gardes fidèles 3 de nos rois trahissent le leur. Pendant que le parlement d'Angleterre songe à congédier l'armée, cette armée, tout indépendante, informe elle-même à sa mode 4 le parlement, qui eût gardé quelques mesures, et se rend maîtresse de tout. Ainsi le roi est mené de captivité en captivité; et la reine remue en vain la France, la Hollande, la Pologne même, et les puissances du Nord les plus éloignées. Elle ranime les Écossais, qui arment trente mille hommes : elle fait avec le due de Lorraine une entreprise, pour la délivrance du roi son seigneur, dont le succès paraît infaillible, tant le concert en est juste. Elle retire ses chers enfants, l'unique espérance de sa maison, et confesse à cette fois que, parmi les plus mortelles douleurs, on est encore capable de joie. Elle console le roi, qui lui écrit, de sa prison même, qu'elle seule soutient son esprit, et qu'il ne faut craindre de lui aucune bassesse, parce que sans cesse il se souvient qu'il est à elle. O mère! ô femme! ô reine admirable! et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose; enfin il faut céder à votre sort. Vous avez assez soutenu l'État, qui est attaqué par une force invincible et divine: il ne reste plus désormais, sinon que vous teniez ferme parmi ces ruines.

'Allusion aux secours envoyés à Candie assiégée par les Turcs.

"Admirable expression. C'est le numen præsens des Latins. 3 Une des quatre compagnies des gardes du corps du roi était alors entièrement composée d'Écossais.

A sa mode était alors du style soutenu. On dirait aujour d'hui, à son gré.

Comme une colonne, dont la masse solide paraît le plus ferme appui d'un temple ruineux, Jorsque ce grand édifice qu'elle soutenait fond sur elle sans l'abattre, ainsi la reine se montre le ferme soutien de l'État, lorsqu'après en avoir longtemps porté le faix, elle n'est pas même courbée sous sa chute.

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Qui cependant pourrait exprimer ses justes douleurs? qui pourrait raconter ses plaintes? Non, messieurs, Jérémie lui-même, qui seul semble être capable d'égaler les lamentations aux calamités, ne suffirait pas à de tels regrets. Elle s'écrie avec ce prophète : « Voyez, Seigneur, mon affliction; mon ennemi s'est fortifié, et mes « enfants sont perdus. Le cruel a mis sa main sa« crilége sur ce qui m'était le plus cher. La royauté « a été profanée, et les princes sont foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai amèrement; n'entreprenez pas de me consoler. L'épée a frappé au dehors; mais je sens en moi-même « une mort semblable". »

«

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Mais après que nous avons écouté ses plaintes, saintes filles, ses chères amies (car elle voulait bien vous nommer ainsi), vous qui l'avez vue si souvent gémir devant les autels de son unique protecteur, et dans le sein desquelles elle a versé les secrètes consolations qu'elle en recevait, mettez fin à ce discours, en nous racontant les sentiments chrétiens dont vous avez été les témoins fidèles. Combien de fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes grâces; l'une, de l'avoir fait chrétienne; l'autre, messieurs, qu'attendez-vous? peut-être d'avoir rétabli les affaires du roi son fils? Non c'est de l'avoir fait reine malheureuse. Ah! je commence à regretter les bornes étroites du lieu où je parle. Il faut éclater, percer cette enceinte, et faire retentir bien loin une parole qui ne peut être assez entendue. Que ses douleurs l'ont rendue savante dans la science de l'Évangile, et qu'elle a bien connu la religion et la vertu de la croix, quand elle a uni le christianisme avec les malheurs ! Les grandes prospérités nous aveuglent, nous transportent, nous égarent, nous font oublier Dieu, nousmêmes, et les sentiments de la foi. De là naissent des monstres de crimes, des raffinements de plaisir, des délicatesses d'orgueil, qui ne donnent que trop de fondements à ces terribles malédictions, que Jésus-Christ a prononcées dans son

Charles Ier eut la tête tranchée le 30 janvier 1649, après vingt-quatre ans de règne.

2 Facti sunt filii mei perditi, quoniam invaluit inimicus. (Lam. cap. 1, v. 16.) Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia cjus. (Ib. 1, 10.) Polluit regnum et principes ejus. (Ib. 11, 2.) Recedite a me, amare flebo; nolite incumbere, ut consolemini me. (Is. cap. xx, v. 4.) Foris interficit gladius, et dona mors similis est. ( Lam. cap. 1, V. 20.)

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Évangile : « Malheur à vous qui riez! malheur « à vous qui êtes pleins et contents du monde 1! Au contraire, comme le christianisme a pris sa naissance de la croix, ce sont aussi les malheurs qui le fortifient. Là, on expie ses péchés; là, on épure ses intentions; là, on transporte ses désirs de la terre au ciel; là on perd tout le goût du monde, et on cesse de s'appuyer sur soi-même et sur sa prudence. Il ne faut pas se flatter; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales. Mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne! et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles, quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux! Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement, et nous arracher cet aveu d'avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil. Alors, quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas nous nous trouvons également accablés de ce que nous avons fait, et de ce que nous avons manqué de faire, et nous ne savons plus par où excuser cette prudence présomptueuse qui se croyait infaillible. Nous voyons que Dieu seul est sage; et en déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation, qu'on les répare quand on les pleure'.

Dieu a tenu douze ans sans relâche, sans aucune consolation de la part des hommes, notre malheureuse reine (donnons-lui hautement ce titre, dont elle a fait un sujet d'actions de grâces), lui faisant étudier sous sa main ces dures, mais solides leçons. Enfin, fléchi par ses vœux et par son humble patience, il a rétabli la maison royale. Charles II est reconnu, et l'injure des rois a été

Væ, qui saturati estis!... Væ vobis, qui ridetis! ( Luc. VI,

V. 25.)

2 Voyez comme Bossuet annonce avec hauteur qu'il va instruire les rois; comme il se jette ensuite à travers les divisions et les orages de cette ile; comme il peint le débordement des sectes, le fanatisme des indépendants; au milieu d'eux Cromwell, actif et impénétrable, dogmatisant et combattant, montrant l'étendard de la liberté et précipitant les peuples dans la servitude; la reine luttant contre le malheur et la révolte, cherchant partout des vengeurs, traversant neuf fois les mers, battue par les tempètes, voyant sou époux dans les fers, ses amis sur l'échafaud, ses troupes vaincues; elle-même obligée de céder, mais, dans la chute de l'Etat, restant ferme parmi ses ruines, telle qu'une coloune qui, après avoir longtemps soutenu un temple ruineux, reçoit sans étre courbée ce grand édifice qui tombe et fond sut elle sans l'abattre Cependant l'orateur, à travers ce grand spectacle qu'il déploie sur la terre, nous montre toujours Dieu présent au haut des cieux, secouant et brisant les trones, précipitant les révolutions, et, par sa force invincible, enchainant ou domptant tout ce qui lui résiste. Cette idée, répandue dans tout le discours, y jette une terreur religieuse qui en augmente encore l'effet, et en rend le pathétique plus sublime et plus sombre. (Thomas, Essai sur les éloges. )

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