CHAPI TRE X. De l'enthousiasme de Saint Paul. Au reste, il paroît certain que cet apôtre étoit rem pli d'enthousiasme et de chaleur. On demandera, peutêtre si l'on doit le regarder comme un imposteur} mille exemples nous prouvent que rien n'est plus ordinaire que de voir l'enthousiasme, le zèle et la fourberie se combiner dans les mêmes personnes. L'enthousiaste le plus sincère est communément un homme dont les passions sont turbulentes et sujettes à l'aveugler ; il prend ses passions pour des impressions divines; il se fait illusion à lui-même, et s'enivre, pour ainsi-dire, de son propre vin. Un homme que des motifs d'ambition ou d'intérêt auront d'abord engagé dans un parti, finit très-fréquemment par s'y attacher de bonne foi, et d'autant plus fortement qu'il aura fait plus de sacrifices pour lui. S'il est parvenu à se persuader que la cause de ses passions est la cause de Dieu, il ne se fera nul scrupule de l'étayer par toutes sortes de moyens ; il se permettra quelquefois l'artifice, la ruse, les voies obliques pour soutenir les opinions dont il se sera convaincu. C'est ainsi que l'on voit tous les jours des dévots très-zélés employer le mensonge, la fraude, et quelquefois le crime, pour soutenir les intérêts de la religion, c'est-à-dire, du parti qu'ils auront embrassé. Ainsi quoique dans l'origine le desir de se venger des prêtres Juifs ou des vues d'ambition aient pu déterminer S. Paul à se jetter dans la secte chrétienne, il a pu peuà peu s'attacher sincèrement à cette secte, se persuader qu'elle étoit préférable à la religion Juive, et employer des moyens répréhensibles pour la faire réussir dans le monde. Au reste, l'examen qui nous reste encore à faire de quelques traits de la conduite de notre apôtre et de quelques passages des écrits qu'on lui attribue, servira mieux que tous les raisonnemens à fixer le jugement que nous devons porter de sa personne. Voyons donc ce qu'il nous dit lui-même. Cet examen nous fera connoître si Paul étoit d'aussi bonne foi, aussi désintéressé, aussi humble, aussi doux, aussi honnête que ses partisans le soutiennent. S. Paul en parlant de lui-même, dit « qu'il connoît un » homme qui a été ravi jusqu'au troisième ciel, et que là il entendit des paroles ineffables qu'il n'est point permis de répéter » (1). Il paroît en premier lieu qu'il n'y a qu'un homme d'une imagination bien échauffée qui puisse prétendre de bonne foi avoir été ravi au troisième ciel; ou qu'il n'y a qu'un imposteur qui puisse assurer un pareil fait quand il n'en est pas persuadé. En second lieu nous demanderons de quelle utilité pouvoit-il être pour le genre humain que St. Paul eût entendu dans le troisième ciel des paroles ineffables, c'est-à-dire, qu'il ne fut pas permis de répéter? Que penserions-nous d'un homme qui viendroit nous assurer qu'il possède un secret très-important pour notre bonheur, mais qu'il ne lui est point permis de le découvrir? Ainsi le voyage de St. Paul est ou une chimère enfantée par un cerveau malade, ou une fable controuvée par un fourbe qui cherchoit à se faire valoir par des faveurs particulières du ToutPuissant. Ce voyage étoit parfaitement inutile, vu qu'il در در (1) Epitre 2 aux Corinthiens, chap. XII, v. 4. ne fut point permis à celui qui l'avoit fait de raconter ce qu'il y avoit appris. Enfin il y a de la malice à St. Paul d'irriter la curiosité de ses auditeurs sans vouloir la satisfaire. En un mot, sous quelque point de vue qu'on envisage cette histoire ou ce conte du ravissement de St. Paul au troisième ciel, il ne peut être d'aucune utilité pour nous, ni lui faire beaucoup d'honneur à lui-même. CHAPITRE X I. Du désintéressement de Saint Paul. EN examinant de près la conduite de notre apôtre nous aurons bien de la peine à la trouver aussi désintéressée que ses partisans voudroient le faire croire. Nous avons déjà fait sentir les motifs naturels qui ont pu contribuer à sa conversion. S'il est vrai, comme l'assuroient les actes des "apôtres adoptés par les Ebionites ou Nazaréens, que St. Paul se fût flatté d'épouser la fille du grand-prêtre, et qu'il n'ait pu réussir dans ce projet, pour un homme d'un caractère bouillant et emporté comme lui, ce mécontentement dut être suffisant pour le déterminer à changer de parti, et à se jetter dans celui qui devoit le plus déplaire aux prêtres, dont nous avons vu qu'il s'étoit fait l'espion et le satellite, et dont il avoit voulu bassement captiver la bienveillance en se rendant le ministre de leurs fureurs contre les disciples de Jésus. Ce fut peut-être le mauvais succès des amours de cet apôtre. qui le détermina à garder le célibat, et à en faire un mérite, tandis que suivant la loi des Juifs rien n'étoit réputé moins méritoire que cet état. Ce saint homm › homme voulut sans doute transformer en vertu une conduite qui n'étoit en lui que l'effet du chagrin et de la mauvaise humeur. Il assure qu'il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme; en conséquence nos prêtres ont regardé le célibat comme une perfection ils se sonr cru obligés d'imiter le grand St. Paul, même dans son ressentiment contre le sexe. Ils sont flattés de pouvoir comme lui résister à l'aiguillon de la chair qui souvent les tourmente; s'ils ont eu l'indulgence de permettre le mariage aux profanes, c'est parce que St. Paul a dit qu'il vaut mieux se marier que de brûler (1). Il pourroit néanmoins se faire que la conversion de St. Paul eut eu d'autres motifs que l'anecdote rapportée par les actes des Ebionites, qui paroît exposée à bien des difficultés. En effet, suivant ces mêmes actes, Paul étoit né payen, s'étoit fait prosélyte et par conséquent sans folie ne pouvoit prétendre à la fille d'un grand-prêtre dont la dignité étoit si éminente chez les Juifs. D'un autre côté, suivant les écrits admis aujourd'hui par les chrétiens, St. Paul étoit de la tribu de Benjamin, ce qui ne lui permettoit pas non plus de s'allier avec la fille d'un grand-prêtre, qui devoit être nécessairement de la tribu de Lévi. De plus, Paul étoit un artisan, un faiseur de tentes, état qui naturellement devoit l'empêcher d'aspirer à une alliance aussi illustre que celle d'un souverain pontife. Aussi à moins de supposer que l'amour n'eût totalement (1) S. Clément d'Alexandrie nous dit que Paul étoit marie. En effet il paroit quelque part faire mention d'une femme (avec laquelle il vivoit comme avec une sœur sans doute), qu'il n'a pas voulu em [ mener avec lui, ponr n'apporter aucun obstacle à l'évangile. Euseb. hist. eccles. lib. III, cap. 3o. Tome IV. S aveuglé notre héros sur les obstacles qui naturellement s'opposoient à ses désirs, il y a lieu de croire que sa conversion, ou son changement de parti, eut quelques autres motifs que le mécontentement de voir ses amours frustrés. 11 y a donc lieu de croire que Paul étant d'un génie très-remuant, s'ennuya bientôt de son métier : voulant tenter fortune et vivre sans travailler, il se fit l'espion des prêtres et le délateur des chrétiens. Mécontent de ces prêtres, qui peut-être ne le récompensèrent pas aussi largement qu'il s'y étoit attendu, il se jetta dans la nouvelle secte dont à l'aide de ses talens il se promit de tirer un bon pari, ou même de pouvoir devenir le chef. Au moins put-il se promettre d'y subsister aisément et honorablement, sans être obligé de faire des tentes. En effet, il voyoit que les apôtres, gens grossiers et inférieurs à lui, vivoient très-bien aux dépens des nouveaux convertis, qui s'empressoient d'apporter leurs richesses à leurs pieds; en conséquence Paul comprit que rien ne lui seroit plus facile que de vivre de même, et de se faire un sort agréable dans une secte dans laquelle il se sentoit capable de jouer un rôle important. Son ambition dut être plus satisfaite d'occuper un des premiers postes, même parmi des gueux, que de ramper dans un poste infâme et déshonorant sous des prêtres avares, hautains et dédaigneux. Enfin Paul nous apprend lui-même qu'il avoit des parens considérables entre les apôtres, qui ayant embrassé la foi de Jésus-Christ avant lui, purent travailler avec succès à la conversion d'un homme ainsi disposé (1). Les persécutions qu'il avoit fait éprouver aux disci (1) Epitre aux Somains, chap. XVI. vs. 5. |