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qui contrastent si fort avec la douceur habituelle de Jésus : « Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants, et de le jeter «< aux petits chiens (1). » Voilà donc le Christ qui ratifie cet inique jugement des Juifs, qu'eux seuls sont enfants de Dieu, et que les autres hommes ne sont que des chiens. Quoi de plus opposé que de semblables paroles à cet esprit de fraternité universelle, qui paraît ailleurs le caractère essentiel de sa doctrine, et que l'on présente ordinairement comme son principal mérite? Écoutons la réplique de la Chananéenne : « Les petits << chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs << maîtres. » Cette réponse désarme Jésus, qui accorde enfin ce qui lui est demandé. Mais il est évident que Matthieu l'a fait d'abord parler moins sensément qu'une payenne. Ce langage où le Christ ménage les plus mauvais préjugés de sa nation, ne serait ni loyal ni en harmonie avec l'ensemble de sa vie, ni d'accord avec l'intention qu'on lui supposerait d'établir sur les ruines du mosaïsme une religion applicable à tous les hommes. Enfin cette intention serait contredite même par le moins judaïsant des évangélistes, Jean, ch. 4, v. 22, qui lui fait dire que le salut vient des Juifs (2).

En résumé, si l'opinion qui attribuerait à Jésus l'intention de détruire le mosaïsme a pour elle quelques textes, l'opinion contraire peut en invoquer de plus nombreux et de plus formels. Aussi le christianisme vraiment orthodoxe n'a-t-il jamais répudié comme une religion fausse la religion mosaïque, dont il s'est toujours dit la continuation et le développement. Il

(1) Οὐκ ἔστι καλὸν λαβεῖν τὸν ἄρτον τῶν τέκνων καὶ βαλεῖν τοῖς κυναρίοις, v. 26. Voir aussi Marc, ch. 7, v. 27.

(2) Ἡ σωτηρία ἐκ τῶν Ἰουδαίων ἐστίν.

existe à cet égard un nombre infini de décisions de l'autorité ecclésiastique, depuis les premiers temps du christianisme jusqu'aux temps modernes. Je citerai seulement l'anathème que le premier concile de Tolède, tenu en 400, a porté contre ceux qui prétendraient qu'il y a un Dieu de l'ancienne loi et un autre Dieu des Évangiles (1), et celui que le dernier concile général, le concile de Trente, tenu de 1543 à 1565, a fulminé contre ceux qui refuseraient d'admettre que l'Ancien et le Nouveau Testament aient le même Dieu pour auteur (2). Telle est la nature dogmatique des deux religions qu'il faut ou les rejeter ou les admettre toutes deux et dans tout ce qui les constitue. Cependant, et c'est un des nombreux traits d'inconséquence qui caractérisent le temps actuel, il est de mode aujourd'hui parmi beaucoup d'écrivains, qui évidemment ne croient plus aux principaux dogmes du christianisme, d'exalter la personne de Jésus et de glorifier la doctrine qu'ils lui attribuent, en même temps qu'ils rabaissent les enseignements de la religion mosaïque. S'ils avaient pénétré jusque dans les entrailles du christianisme, s'ils en avaient étudié plus profondément les origines, ils ne pourraient pas ignorer qu'il a ses racines dans le judaïsme, qu'il s'autorise de toutes les traditions de l'ancienne loi et en accepte toutes les doctrines. Ce fait de se rattacher à

"

(1) "Si quis dixerit vel crediderit alterum Deum esse priscæ legis, alterum evangeliorum, anathema sit. " (Se canon après la Règle de foi, Collection des conciles, tome III, Paris, 1644.) Le cardinal Baronius a attribué cet anathème à un autre concile espagnol, qui aurait été tenu en 447 dans la province de Galice.

(2) J'ai déjà eu à citer cette décision du concile de Trente. Voir le texte dans la dernière note de l'Introduction, tome 1".

la religion judaïque, cette prétention de la continuer et de la développer, c'est une contradiction sans doute, puisque sur plusieurs points les deux religions sont opposées et qu'il n'y a rien, par exemple, de plus contradictoire que de dire que Dieu le fils est envoyé sur terre pour y établir une religion plus parfaite que celle que son père y avait établie quelques siècles auparavant; mais ce fait n'en existe pas moins, cette prétention de continuité et de filiation n'en est pas moins patente. Aussi les écrivains qui, n'étant plus chrétiens selon le vrai sens du mot et ne sachant pas le dire franchement, tentent vainement aujourd'hui de séparer la religion mosaïque de la religion chrétienne, se créent-ils un christianisme abâtardi, également antipathique aux croyants conséquents et aux hommes qui repoussent l'erreur replâtrée encore plus énergiquement que l'erreur toute nue. En cela ces écrivains ne réussissent guère qu'à montrer qu'ils manquent du courage nécessaire pour prendre rang parmi les défenseurs de la vérité religieuse.

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Matthieu, ch. 5, v. 39-41, et Luc, ch. 6, v. 29 et 50, attribuent à Jésus ces règles de conduite: Si l'on te donne un soufflet sur une joue, tends l'autre (1). Si quelqu'un veut avoir

(1) Jérémie avait déjà fait une recommandation du même genre: ¡n? "Il tendra la joue à celui qui le frappera. " (Lamentations, ch. 3, v. 30.) Il y a, dans Matthieu : "

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Si quelqu'un te frappe sur la joue droite

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avec toi des contestations en justice et te prendre ta tunique, abandonne-lui encore ton manteau. Si l'on te contraint à faire mille pas, fais-en encore deux mille. Donne à quiconque te demande. Si l'on te prend ton bien, ne le réclame pas. De pareilles règles auraient ce double résultat d'encourager les malhonnêtes gens et de mener les gens de bien à l'avilissement; la société qui les mettrait en pratique, serait bien sûre de voir pulluler les diverses espèces, assez communes déjà, des hommes disposés à donner des soufflets et à prendre le bien d'autrui. Sans doute on ne saurait trop recommander le désintéressement, la douceur de mœurs, la modération dans les plaintes, le renoncement aux réparations que nous sommes en droit d'exiger, la bienfaisance envers ceux mêmes de qui nous avons reçu du mal; mais ces vertus, pour mériter d'être appelées de ce nom, n'ont pas besoin d'ouvrir un crédit aux méchants et de leur faciliter un métier qui n'est pas sans périls; elles doivent s'exercer à propos et avec discernement, et jamais elles n'auront rien de commun avec la bassesse et la niaiserie. Celui qui se conformerait aux préceptes que l'on vient d'entendre, aurait donc abjuré toute sagesse et tout sentiment de dignité personnelle. Quelques docteurs prétendent que ce sont là de simples

Ἐπὶ τὴν δεξίαν σιαγόνα σου. Origène élève à ce propos une assez mauvaise chicane. Il fait observer que celui qui donne un soufflet, à moins d'être estropié, se sert naturellement de la main droite, et qu'ainsi il frappe d'abord l'adversaire, qui est censé en face de lui, sur la joue gauche et non sur la joue droite. (Пepì àpx, livre 4, § 18, tome Ier, Paris, 1733.) C'est pousser un peu loin le goût de l'exactitude dans la description, et nous ne nous montrerons pas aussi exigeants qu'Origène, quoique nous ayons peut-être le droit de l'être davantage.

conseils, proposés aux plus parfaits, et non de véritables règles, imposées à tous. Ceux-là placent la perfection dans une suprême abjection, à la fois lâche et idiote (1). D'autres docteurs se contentent de dire qu'ici Jésus n'a point entendu que l'on prît ses paroles à la lettre, et que c'est uniquement dans le but de donner à sa pensée une forme plus saisissante qu'il en a exagéré l'expression. Mais d'abord en retranchant même l'exagération de la forme, il resterait encore au fond des préceptes en question plus qu'il n'en faudrait pour livrer le monde à la merci des insolents et des fripons, et pour faire des honnêtes gens la proie trop facile des hommes pervers. Et puis est-ce bien le cas de dire qu'il s'agit ici de ces formes de langage figuré, comme on en trouve en effet fréquemment dans les livres sacrés, et sur la portée hyperbolique desquelles personne ne peut se méprendre? Quand Jésus dit, par exemple, que l'on voit un brin de paille dans l'œil de son frère, mais que l'on ne sent pas qu'on a une poutre dans le sien (Matthieu, ch. 7, v. 3-5, et Luc, ch. 6, v. 41 et 42), ou encore que les Pharisiens

(1) Dans ses Règles de morale, règles générales, manifestement adressées à tous les fidèles et non pas seulement à quelques ascètes, saint Basile renouvelle ces préceptes en termes absolus, et se sert des expressions mêmes de l'évangéliste Luc, n'y ajoutant que le mot değiz, qui est propre à Matthieu : Τῷ τύπτοντι σε ἐπὶ τὴν δεξὶαν σιαγόνα πάρεχε καὶ τὴν ἄλλην· καὶ ἀπὸ τοῦ αίροντος σου τὸ ἱμάτιον καὶ τὸν χιτῶνα μὴ κωλύσης. Παντὶ δὲ τῷ ἀιτοῦντί σε δίδου· καὶ ἀπὸ τοῦ ἀίροντος τὰ σὰ μὴ ἀπαίτει. (Règle 49, ch. 1er, tome II, Paris, 1722.) C'est sur de semblables règles que se fonde la doctrine de certains écrivains anglais et américains, particulièrement de ceux de la société des Quakers, qui déclarent la guerre défensive aussi radicalement illégitime que la guerre offensive, doctrine que j'ai eu à combattre dans mon livre De la guerre et des armées permanentes, 3e partie, § 17.

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