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D'après Matthieu et Marc, la scène a lieu deux jours seulement, d'après Jean six jours avant la pâque; d'après Matthieu et Marc dans la maison de Simon qu'ils surnomment le lépreux, d'après Jean dans celle de Lazare le ressuscité; d'après Matthieu et Marc, c'est la tête de Jésus que la femme arrose de parfum, tandis que, d'après Jean, ce sont les pieds, que de plus elle essuie avec ses cheveux. Enfin, selon Matthieu, les disciples de Jésus s'indignent de la prodigalité de la femme, tandis que, selon Jean, Judas Iscariote est le seul des disciples qui se scandalise. Voyons maintenant la narration de Luc. Elle présente des caractères qui lui sont particuliers. D'abord la scène a lieu dans les premiers temps de la mission de Jésus, et non sur la fin de cette mission comme chez les trois autres évangélistes. Luc introduit une femme de mauvaise vie, tandis que Jean nomme au contraire Marie, sœur de Marthe et de Lazare, amie comme eux de Jésus (Jean, ch. 11, v. 5). D'après Luc enfin, l'hôte seul est choqué, non pas de la prodigalité de la femme, mais de ce que Jésus admet auprès de lui une telle personne, tandis que, d'après Matthieu, ce sont les disciples de Jésus qui se scandalisent de la prodigalité de la femme, et d'après Jean, un seul de ces disciples, celui qui allait bientôt le trahir. Ces différences, les deux premières surtout, ne semblent point permettre de supposer que la scène décrite par Luc soit la même que celle des trois autres évangélistes. Mais alors comment expliquer les ressemblances suivantes? Comme chez les trois autres évangélistes, la scène se passe pendant que Jésus est à table; comme chez Matthieu et Marc, l'hôte se nomme Simon; enfin comme chez Jean, la femme répand le parfum sur les pieds de Jésus, et les essuie avec ses cheveux.

T. II.

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En résumé, ou c'est la même scène d'onction que les quatre évangélistes entendent décrire, et j'avoue que cela n'est point démontré rigoureusement, ou ce sont plusieurs scènes différentes. Dans le premier cas, les contradictions abondent. Dans le second cas, il faut admettre, non pas deux mais trois scènes, une pour Matthieu et Marc, une pour Jean et une pour Luc; mais alors on se heurte contre un concours de similitudes, qui ne se trouve pas dans les chances de la probabilité et qui doit alors paraître infiniment suspect.

$ 15. REPAS PASCAL.

Chez Matthieu, ch. 26, v. 17-20, Marc, ch. 14, v. 12-18, et Luc, ch. 22, v. 7-15, le dernier repas que fait Jésus avec ses disciples est le repas pascal, puisqu'il a lieu le soir du premier jour des azymes ou pains sans levain, jour où devait se manger la pâque, d'après l'Exode (ch. 12, v. 3-20). D'ailleurs Luc fait dire expressément à Jésus, v. 15: « J'ai désiré manger «< cette pâque avec vous avant de souffrir. » Chez Jean au contraire, ch. 13, v. 1, ce dernier repas est fait avant le jour de la pâque. Lorsque Judas sort, v. 29, des disciples pensent que Jésus vient de l'envoyer préparer ce qui était nécessaire pour célébrer la fête. De plus, ch. 18, v. 28, le lendemain matin, les Juifs n'entrent point dans le prétoire de Pilate qui était payen, de peur de se souiller et d'être empêchés par là de manger la pâque; ils ne l'avaient donc pas encore mangée. Enfin le jour du crucifiement est appelé, ch. 19, v. 14, la préparation de la pâque, et c'était dans la soirée de ce jour qu'on mangeait l'agneau pascal. Et cependant il est manifeste que

Jean veut parler, comme les trois autres évangélistes, du même repas final que Jésus fit avec ses disciples; car, à la suite de ce repas, Jésus prédit, chez Jean, ch. 13, v. 21, 26 et 58, comme chez les autres évangélistes, la trahison de Judas et le reniement de Pierre, et malgré les discours que contiennent les chapitres 14-17, et qui ne sont que la suite de l'entretien du repas, le premier fait que rapporte Jean, le premier événement dont il parle, ch. 18, est la sortie de Jésus, suivie, comme chez les autres évangélistes, de son arrestation et de sa passion. Ici la contradiction est patente, et elle porte sur un point capital, sur cette cène où Jésus aurait, d'après les trois premiers évangélistes, donné à ses disciples son corps à manger et son sang à boire, et institué par là ce que les théologiens appellent le mystère de l'Eucharistie, l'un de leurs dogmes fondamentaux, que nous avons examiné spécialement ailleurs (1).

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D'après Matthieu, ch. 26, v. 25 et 25, et Marc, ch. 14, v. 20, Jésus désigne si clairement Judas comme devant le trahir, qu'aucun des assistants ne peut s'y tromper. Au contraire, d'après Luc, ch. 22, v. 21-23, et Jean, ch. 15, v. 21 et 22, le traître est désigné en termes vagues, de telle sorte que les disciples se demandent entre eux, en paroles d'après le premier, du regard d'après le second, quel il peut être. Après cette désignation vague, Jean, v. 25-26, ajoute que Jésus lui indique clairement Judas.

(1) Au chapitre 7 de la 1re partie de cet ouvrage, tome I-.

D'après Matthieu, v. 47-50, Marc, v. 45-46, et Luc, v. 47, le baiser de Judas est le signe convenu qui fait reconnaître Jésus aux soldats chargés de l'arrêter. Jean, ch. 16, v. 2-8, non seulement ne dit rien de cette circonstance, mais par compensation fait tomber à la renverse la cohorte armée, au moment où Jésus, qu'on cherche pour l'arrêter, leur dit : Me voici. Cette déclaration spontanée de Jésus est contradictoire avec la version des trois autres évangélistes, d'après laquelle les soldats ne reconnaissent le maître que par le baiser convenu du disciple.

Matthieu, ch. 27, v. 3-8, raconte que Judas repentant rapporta aux prêtres les 50 pièces d'argent qu'il avait reçues pour prix de sa trahison, les jeta dans le temple, et alla se pendre. Il ajoute que les princes des prêtres achetèrent de cet argent un champ destiné à la sépulture des étrangers, et qui fut appelé Haceldama, c'est à dire champ du sang (1). Mais on trouve, dans le 1er chapitre, v. 18 et 19 des Actes des apôtres, livre attribué à l'évangéliste Luc et reconnu canonique par l'Église, une version fort différente. Il y est dit au contraire que Judas acquit du prix de sa trahison et posséda un champ que les habitants de Jérusalem appelèrent Haceldama, c'est à dire champ du sang. C'est bien là le même champ que, d'après le premier évangéliste, les prêtres achetèrent avec l'argent que Judas ne voulut pas garder. Il faut remarquer encore que Judas, qui, d'après Matthieu, s'étrangla, mourut d'une autre mort d'après Luc, Actes, ch. 1er, v. 18: S'étant précipité, le milieu de son corps se rompit et ses entrailles se répandirent, toutes cir

(1) Il cite à ce propos une prophétie de Zacharie, qu'il attribue à Jérémie et dont j'ai parlé au chapitre 6 de la 1re partie, tome Ier.

constances qui n'ont aucun rapport avec les faits physiologiques occasionnés par la strangulation (1).

Le docteur Strauss s'est étonné avec raison que Jésus, connaissant, en vertu de sa science surnaturelle, l'avarice de Judas, et ayant d'ailleurs expressément prédit sa trahison (Jean, ch. 6, v. 65, 71 et 72), l'eût fait l'économe de la société et l'eût ainsi exposé, par une sorte de provocation peu morale, aux tentations incessantes de sa cupidité. Il demande si, au point de vue économique, on confie une caisse à celui qu'on sait devoir la voler, et si, au point de vue pédagogique, on place un homme faible dans un poste qui compromet continuellement son côté défectueux, de telle sorte qu'on peut prévoir qu'il succombera tôt ou tard. Il se refuse enfin à croire que Jésus ait joué de cette façon avec les âmes qui lui étaient confiées (2). Ces réflexions me paraissent fort sensées et je m'y associe pleinement.

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L'histoire des reniements de Pierre est d'un bout à l'autre un tissu de contradictions. Dans Matthieu, ch. 26, v. 30 et 54, et Marc, ch. 14, v. 26 et 50, Jésus prédit le reniement de Pierre après être sorti et pendant qu'il se rendait au mont des

(1) La Vulgate traduit par suspensus les mots s gɛvóμɛvos, qui ne signifient rien de pareil, mais bien le fait d'être précipité la tête la première. (2) Vie de Jésus, traduction de M. Littré, 3e section, 2e chapitre, § 115, tome II, Paris, 1840.

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