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jugement. Dans un autre ouvrage, publié neuf ans plus tard (1), il paraît un instant touché de la simplicité naïve du livre de Ruth; mais il y met bien vite du sien. Il fait de Ruth une coureuse; l'orge qu'elle reçoit dans son tablier semble une récompense des plaisirs de la nuit. Ces expressions du verset 9 du chapitre 5, par lesquelles la pauvre veuve implore la protection de son riche parent, expressions très chastes et très nobles « Tu << étendras l'extrémité de ton manteau sur ta servante (2) », il les travestit en une grossièreté que je ne puis transcrire. On ne saurait se défendre d'un sentiment de tristesse en voyant un si grand écrivain prendre de telles licences. Il y a déjà bien assez de saletés dans la Bible sans qu'il soit nécessaire d'y en ajouter encore. Lorsqu'on lit sans prévention les quatre chapitres dont se compose la légende de Ruth, on y reconnaît des beautés de premier ordre et qui ne sont mélangées d'aucune impureté réelle, malgré la singularité de certains détails de mœurs, qu'on ne doit pas juger du point de vue des raffinements tout extérieurs de la civilisation moderne. Mais ce sont là des beautés que ne sentait pas celui qui recevait d'une maîtresse de Louis XV la qualité de gentilhomme de la chambre du Roi, et qui ne rougissait pas d'écrire à la favorite que le nom de Pompadour, qui rime avec l'amour, serait bientôt le plus beau nom de France (5). Les sarcasmes de Voltaire contre la Bible s'élèvent souvent jusqu'au ton d'une sérieuse et éloquente indignation; mais, comme il semble avoir résolu d'avance de ne voir que du mal dans ce livre, cette préoccupation l'aveugle quel

(1) La Bible enfin expliquée par plusieurs aumôniers, même tome.

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(3) Correspondance, année 1745, tome XI, page 475.

quefois. Ici en particulier les expressions par lesquelles il veut flétrir une pauvre veuve qui, dans toutes ses pensées et tous ses actes, se montre envers sa belle-mère un modèle si pur de dévouement et de piété filiale, ces expressions, dis-je, sont tout à la fois une erreur de jugement et une injustice.

Nous retrouvons dans le livre de Ruth une application de cette loi du lévirat, que j'ai eu à mentionner au § 13 du chapitre 1er, et qui se serait ainsi étendue à des parents plus éloignés que le frère d'un homme mort sans enfants. Mais ici les choses ne se passent plus comme Moyse les avait réglées au chapitre 25 du Deuteronome. Ruth ne somme personne de l'épouser, et ne vient point cracher au visage des gens en présence de témoins ni leur ôter leur chaussure. C'est Booz qui invite son parent à user du droit que l'usage lui confère, et qui, sur le refus de ce dernier, lui demande sa chaussure en signe de la cession de ce droit, ch. 4, v. 1-13.

CHAPITRE VIII.

ROIS ET PARALIPOMÈNES (1).

L'histoire de la royauté juive ne présente qu'une série continuelle de guerres et de massacres. La plupart des rois, soit de Juda soit d'Israël, meurent assassinés.

$1er. L'ARCHE CHEZ LES PHILISTINS ET LES BETHSAMITES.

Livre 1o, ch. 5, les Philistins se sont emparés de l'arche sainte. Triomphe funeste! La présence de cette arche au milieu d'eux leur apporte d'étranges fléaux. Après avoir consulté leurs devins, ils la renvoient aux Israélites avec des présents plus étranges encore, des anus et des rats ciselés en or, et que les Lévites ne font aucune difficulté d'accepter, ch. 6. L'arche

(1) Dans les bibles protestantes, on appelle les deux premiers livres des Rois, 1er et 2o de Samuel, les 3o et 4o livres des Rois 1er et 2a des Rois, et les Paralipomènes chroniques. J'ai conservé les dénominations ordinaires.

s'arrête chez les Bethsamites, qui la reçoivent avec beaucoup de joie et de respect, v. 13 et 15. Or Jéhovah frappe de mort un grand nombre de ces Bethsamites, pour avoir regardé cette arche qui s'était arrêtée au milieu d'eux (1). Quand on supposerait, ce que le texte ne dit pas, qu'ils l'eussent fait avec ces formes indiscrètes par lesquelles la foule exprime d'ordinaire l'empressement de sa curiosité, cela ne constituerait pas un crime capable de justifier une odieuse exécution. Il y a telle interprétation qui réduit à 70 le nombre des morts, que le texte original semble porter à 50,070 (2). La question de nombre n'est pas ce

(1)

Ev. 19. Des traducteurs les font regarder dans l'arche même, ce qui peut s'admettre absolument, quoiqu'il soit peu vraisemblable qu'elle restât ouverte. Les traducteurs grec et latin les font simplement regarder l'arche, "Otı eÏdav xíôwtò», Eò quòd vidissent arcam.

(2) Ce nombre s'élève, dans le grec et le latin, à 50,070, dont 70 d'une part et 50,000 de l'autre : Επάταξεν ἐν αὐτοῖς ἑβδομήκοντα άνδρας καὶ πεντήκοντα xidiúdas ävdpwv, Percussit de populo septuaginta viros et quinquaginta millia plebis. L'hébreu porte : Z'N ĐÓN D'VOD VIN D'YEV DYE 72; ce qui signifie littéralement : Et il frappa dans le peuple soixante et dix "hommes cinquante mille hommes. " Cela semble bien faire en tout 50,070 hommes de mis à mort. Quelques interprètes ont supposé qu'entre les mots et il devait y avoir la préposition, que quelque copiste aura omise, et qu'ainsi le texte primitif disait, Et il frappa dans le peuple soixante et dix hommes D'ENTRE cinquante mille hommes. Joseph donne le nombre de 70 seulement. (Apachopía, livre 6, ch. 1er.) Mais j'ai déjà fait remarquer la tendance de cet historien juif à dissimuler ou à atténuer l'odieux des annales de sa nation. Le Maistre de Sacy, adoptant le chiffre de 50,070 victimes, imagine, en bon gentilhomme, d'en faire deux catégories dont l'hébreu ne dit rien: Il fit mourir 70 personnes des principaux de la ville, et cinquante "mille hommes du petit peuple." (La sainte Bible, tome Ier, Paris, 1717.) Dom Calmet, adoptant les mêmes chiffres, parle aussi de petit peuple; mais il

qui importe le plus ici. S'il n'était pas juste de faire périr 50,070 Bethsamites pour avoir regardé l'arche, il ne l'était pas davantage d'en faire périr 70 seulement. Si au contraire il pouvait être bon d'en faire périr 70 pour un pareil crime, il eût été encore meilleur d'en faire périr 50,070. Lors donc que l'abbé Guénée (1) triomphe contre Voltaire de ce que, à s'en tenir à certaine interprétation, le nombre des Bethsamites mis à mort peut être réduit à 70, il joue un rôle qui n'est pas sérieux; car, de quelque manière qu'on résolve la question de nombre, celle de principe reste la même. Ajoutez qu'on pouvait dire à l'abbé Guénée que les versions grecque et latine, adoptées par son église et qu'elle ordonne, sous peine d'anathème, de tenir pour sacrées dans toutes leurs parties, donnent expressément le nombre 50,070.

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l'oppose simplement à des personnes du peuple, ce qui n'a guère de sens : " Il fit mourir 70 personnes du peuple et 50,000 hommes du petit peuple. On lit dans son Commentaire sur le verset 19 : « La rigueur exercée contre " ce grand nombre d'hommes ne paraîtra excessive qu'à ceux qui n'ont pas compris jusqu'à quel point Dieu voulait être craint et respecté parmi son peuple, et qui ne jugent des vues et des desseins de Dieu que suivant les "faibles lumières de la raison." (Tome V, Paris, 1711.) J'avoue que je suis du nombre de ceux qui n'ont pas compris ce Dieu-là, et que je ne saurais comment m'y prendre pour juger des œuvres de celui que j'adore s'il m'était interdit de me servir pour cela des lumières de la raison.

"

(1) Lettres de quelques juifs, tome 1er, Paris, 1781.

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