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reconnaît des interpolations relativement modernes de la main de rédacteurs auxiliaires (1). » Le goût des indiens pour les maximes les porta à composer plus tard des livres de sentences. De là les trois Çatakas ou Centuries d'un poète royal du nom de Bhartrihari, vivant vers la même époque que Câlidâsa, c'està-dire dans les premiers siècles du christianisme (entre le 11 et le IVe siècle).

Les apologues comme les sentences s'introduisirent d'abord dans l'épopée.

« Avant l'époque inférieure de la littérature sanscrite où l'on composa des apologues en corps d'ouvrage, dit M. Nève, la fable avait eu son à-propos dans les récits de la littérature épique; elle avait fourni des exemples qui n'étaient pas des horsd'œuvre au milieu d'aventures qui se greffaient les unes sur les autres dans un même épisode. Le Mahâbhârata nous a conservé plusieurs de ces apologues rédigés en distiques comme le poème lui-même..... Peu de temps après la dernière rédaction de la Bharatide, on composa des recueils qui vinrent grossir la catégorie déjà fort grande des traités de morale (Nîtî-Çastrani)...... Le plus ancien est l'ouvrage sanscrit : Pancha-tantra « les cinq livres ou sections. » Comme traité de morale et de politique, il avait quelque renommée hors de l'Inde au VIe siècle de l'ère chrétienne, puisque le Sassanide Chosroès Anouchirwan envoya Barzouïeh dans ce pays pour lui en rapporter le texte : la version pehlvie qui en fut faite sous le même règne est perdue, mais elle a servi de modèle aux versions arabes, persanes, syriaques, hébraïques, etc., des siècles suivants : il est avéré que c'est par cette voie que grand nombre d'apologues réputés orientaux furent connus en Europe dans le cours de notre moyen âge. »

L'Hitopadéça ou « l'instruction salutaire» est la libre réduction du premier recueil. Il est composé de quatre livres : 1o l'acquisition des amis; 2o La rupture avec les amis; 3o La Guerre ; 4o La Paix. Les auteurs des deux recueils ont observé la même ordonnance (2). « Chaque livre a une introduction qui fait pres

(4) Félix Nève. Op. Cit.

(2) Il n'y a de différence que dans l'ordre des apologues. Quelques fables nouvelles figurent aussi dans l'Hitopadéça. L'auteur reconnait qu'il a puisé dans un autre écrit encore que dans le Panchatantra.

ET SUR LES FABLES DE L'Inde.

533 sentir l'objet et le caractère des aventures choisies comme matière d'enseignement; puis il expose un apologue dans lequel sont encadrés d'autres apologues récités à l'appui d'une moralité par les personnages, de la fable principale, et assaisonnés de vers sentencieux. Les récits sont en prose, mais les sentences qui mettent en relief la prudence des acteurs de ces petits drames sont versifiées seulement les stances ne sont pas toujours composées tout exprès par le narrateur; elles sont très souvent empruntées à l'un ou l'autre poème de quelque popularité. On ne peut disconvenir que les pensées du même ordre n'aient été énoncées avec une grande variété de tours et d'images; aussi les recueils sanscrits d'apologues offrent-ils des exemples de tous les genres de style, comme il en est dans les recueils de fables et de contes populaires en langue persane..... Les deux recueils indiens ne portent point de nom d'auteur; de part et d'autre il est question d'un brahmane appelé Vichnou-Sarman recevant d'un prince la mission de composer un livre devant servir à l'éducation de ses fils; et, en vérité, la politique le dispute à la morale dans le plus grand nombre des fables et des aventures..... On reconnaît, sous le masque de divers animaux, les sentiments et les travers de l'homme, et on discerne sans peine l'état moral de la société indienne en décadence ». Les mœurs s'affaiblissaient avec les croyances. « La loi religieuse est remplacée par une sagesse personnelle, par une politique de convention et d'expérience..... Il va de soi que les écrivains hindous développent en certains endroits d'excellentes maximes sur les devoirs de chacun, en particulier sur certaines vertus sortant des mœurs antiques et restées héréditaires dans quelques familles. Ils formulent les idées les plus sages, conçues jadis dans leur sens vrai en Orient sur l'hospitalité, l'amitié, la générosité, le dévouement; ils vantent la modération dans les désirs, le calme de l'âme, la pratique des beaux préceptes que l'on médite volontiers et qu'on aime à répéter. Mais, la part faite aux enseignements de la morale privée, les rédacteurs d'apologues ont donné le plus d'attention à la science du gouvernement, à la politique. C'est dans les aventures et les anecdotes empruntées pour le fond à l'histoire contemporaine qu'ils ont déployé le plus de finesse et de talent ils ont été les échos des cours indiennes, et ils ont vulgarisé des leçons de diplomatie qui tournaient au profit du machiavélisme le plus raffiné. »

Sans doute, on y trouve des sentences du spiritualisme le plus élevé, comme les suivantes :

« La vertu est le seul ami qui nous suive après notre mort. Tout le reste périt avec notre corps. » — « Lorsqu'un être dévore la chair d'un autre, voyez l'inégalité cruelle qui existe entre la jouissance de l'un et le mal de l'autre. Le premier éprouve le plaisir d'un instant, le second perd à jamais l'existence : »

« Si nous pensions à la douleur qu'éprouve l'homme quand il réfléchit qu'il faut mourir, cette seule pensée suffirait pour nous faire épargner notre ennemi. » — « On peut satisfaire sa faim avec les nombreux végétaux et avec les fruits de toute espèce que produit la forêt ou la terre qui donc, pour assouvir une faim sanguinaire, voudrait commettre le crime de tuer ce qui pense, ce qui sent, ce qui aime dans la nature animée (1)? »

Devant de telles pensées, on comprend que Lamartine s'écrie: « Nous demandons pardon aux philosophes qui proclament le progrès continu et illimité des mœurs ici-bas; mais nous ne voyons pas un progrès bien constaté du boucher d'Occident sur le Brahmane d'Orient. » Mais quand le poète ajoute à une époque si reculée du monde, il s'imagine que ces fables remontent à la plus haute antiquité de l'Inde et du monde. En cela, il fait erreur; car, à supposer même que les sentences précitées appartiennent au commencement de notre ère et qu'elles soient en effet d'un brahmane, les fables, dans leur ensemble, portent bien la marque des siècles de décadence, et l'on peut douter même qu'elles soient de la main d'un brahmane, quand on voit comment le sacerdoce y est traité (2). Leurs auteurs Indiens étaient plutôt des sages, des pandits ayant pour protecteurs des rois ou des ministres. « Ils ont écrit sous l'inspiration de conseillers expérimentés qui tenaient à inculquer à la jeunesse de cour, aux grands comme aux princes, des leçons de politique applicables aux éventualités de la vie. »

(1) Voir l'Hitopadéça traduite par Ed. Lancereau. Paris, Jannet. 1855. (2) « La personne des Brahmanes n'est pas ménagée : des amis fidèles leur sont préférés. Les pénitents de Djaggernath sont peints comme des hommes grossiers et hideux : il est permis aux rats de manger dans leur écuelle. Les observances brahmaniques sont parodiées: un épervier prend les allures d'un brahmane, un vieux tigre se fait repentant: un chat flatteur se lave dans les eaux du Gange et jeûne en expiation de ses méfaits d'après les phases de la lune comme un Brahmachari (Les Époques littéraires de l'Inde, p. 454).

ET SUR LES FABLES DE L'Inde.

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Quoi qu'il en soit, voilà la grande source, faussement attribuées à Bidpaï et à Lockman, où le moyen âge a puisé beaucoup de ses apologues; et La Fontaine y a trouvé le sujet de quelquesunes de ses meilleures fables (1) (VII à XI).

NOTES

SUR LE MOYEN AGE EN FRANCE.

I.

POURQUOI LA FRANCE N'A PAS EU D'HOMERE.

On s'est demandé pourquoi n'y a-t-il pas eu d'Homère dans la France du moyen âge? Est-ce simplement parce que la langue n'était pas suffisamment formée ? Mais quand le Dante, l'Homère florentin, conçut la Divine comédie, la langue italienne n'était point faite, et c'est lui qui la créa. Le génie n'apprend pas sa langue, il la sait d'instinct, et la pensée jaillit de sa tête, armée de son expression, comme Minerve sortit en armes du cerveau de Jupiter. Est-ce le sujet qui a manqué? Mais Roland, Godefroid de Bouillon, Alexandre et Charlemagne, la lutte de la Croix et du Croissant, de l'Évangile et du Coran, du Christianisme et du Mahométisme, ne valaient-ils pas Achille, Hector, Diomède, Ajax, Ulysse, et la lutte des Grecs contre les Troyens? La scène des événements, a-t-on dit, était trop éloignée, et l'inspiration populaire ne pouvait plus échauffer des poètes qui ne faisaient la plupart du temps que traduire des œuvres monacales, poèmes ou chroniques qui n'étaient eux-mêmes que la paraphrase des primitives cantilènes : reflet du reflet. Mais l'Arioste et le Tasse, chantres de Roland et de Godefroid, vivaient au seizième siècle, et ils n'avaient pour canevas que ces vieilles chroniques ou ces vieux romans de chevalerie qui n'avaient pas trouvé d'Homère. Non, les événements n'enfantent pas le génie ;

(1) Celles surtout qui roulent sur l'amitié : les deux Pigeons, les deux Amis. Citons encore le Chat, la belette et le petit lapin, L'Ours et l'Amateur des jardins, le Chat et le rat, le Dépositaire infidele. l'Homme et la couleuvre, la Tortue et les deux canards, le Berger et le roi, les deux Aventuriers et le Talisman, le Lion.

la nature seule, la nature et Dieu ont le secret de cette flamme divine qui cherche en elle-même et hors d'elle-même la matière combustible, mais que rien n'allume quand on n'en porte pas en soi l'immortel foyer. Si l'Arioste ou le Tasse s'étaient rencontrés au douzième siècle en France, l'Homère féodal était trouvé dans toute la naïveté des temps chevaleresques. La nature avare s'est refusée à ce prodige elle a réservé au peuple seul l'honneur de l'invention, et elle a attendu que l'art vint l'aider à mettre en œuvre ces riches matériaux pour créer deux merveilles : le Roland furieux et la Jérusalem délivrée. Seulement c'est du sein du pays le plus étranger aux événements de la chevalerie que sont nées ces deux merveilles, mais chez le peuple le plus artiste de l'Europe, et à l'époque de sa plus haute culture littéraire, comme pour mieux prouver combien la nature sans l'art est impuissante et combien le génie sait trouver sans effort la matière de ses chants.

II.

ORIGINE DES FABLIAUX.

Après l'évolution chevaleresque, la France sembla donner raison à ceux qui disent qu'elle n'a pas la tête épique. On la vit tout à coup déserter la grande veine de l'épopée pour s'attacher à suivre un mince filon souterrain d'origine étrangère dont elle fit la monnaie courante de l'esprit gaulois.

Antérieurement à toute littérature savante, à toute poésie d'art, tous les peuples ont eu de ces courts récits imaginaires, merveilleux et naïfs, qu'on nomme en Orient contes ou fables, en Espagne romances ou létrilles et en France légendes ou fabliaux, littérature volante transmise par la mémoire et qui

« Passe de bouche et s'accroît en marchant. >>

Ce n'est pas le chant populaire fondé sur les événements réels et constituant les premières assises des épopées historiques et merveilleuses. C'est l'imagination qui les crée, mais c'est l'imagination du peuple crédule et superstitieux donnant un corps à ses rêves, à ses illusions, à ses espérances, à ses amours, à ses terreurs, à ses vengeances, ou cachant sa malice sous le voile transparent de l'allégorie morale. Le plus souvent, cette poésie est anonyme, et c'est ce qui en fait le charme. L'auteur, c'est le

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