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Il a été trop sévère pour mériter l'indulgence de la critique. Il sera bon à relire sur Fénelon comme sur Racine et Voltaire, mais c'est tout ne le consultez ni sur l'antiquité grecque ni sur les littératures modernes, ni sur le moyen âge, ni sur le seizième siècle. Son appréciation de Molière n'est qu'un tissu de banalités. Il n'y a évidemment pour lui dans la poésie française que trois grands noms Racine, Voltaire et M. de La Harpe (1).

V.

Un autre lauréat de l'Académie, Chamfort (2) s'est exercé aussi avec quelque succès dans la poésie dramatique. C'était, au dix-huitième siècle, la voie qui menait aux honneurs. Et Chamfort en avait grand besoin, car il sortait, comme Marmontel et La Harpe, d'une famille pauvre. Il avait des aptitudes peu communes pour les travaux de l'esprit. Ce fut un homme de goût, un profond penseur et un écrivain d'une piquante originalité. Sa prose est bien supérieure à ses vers. Pas plus que La Harpe, il n'avait l'âme ni l'imagination d'un vrai poète. Il n'en écrivit pas moins les jolies comédies de la Jeune Indienne et du Marchand de Smyrne et l'intéressante tragédie de Mustapha et Zéangir où il prouva qu'il savait manier tour à tour le drame sérieux et plaisant, avec autant de charme d'un côté que de force de l'autre.

(1) Sa Correspondance avec le grand duc de Russie a révélé toutes les blessures de son amour-propre. Elle fait bien juger l'homme en même temps que le critique.

(2) CHAMFORT, dont le vrai nom était Sébastien Roch NICOLAS, né en 1741, près de Clermont-Ferrand, d'un père inconnu, est mort en 1794. Il obtint à l'Académie française le prix de poésie pour son Épitre d'un père à son fils sur la naissance d'un petit-fils et le prix d'éloquence pour son Éloge de Molière. L'Eloge de La Fontaine fut couronné par l'Académie de Marseille. Il fit aussi deux ballets héroïques pour la cour: Palmyre, Zénis et Almasie. Il a laissé en outre des Poésies fugitives épîtres morales ou badines, odes, fables, contes, épigrammes. -L'Homme de lettres, discours philosophique en vers. Tableaux de la Révolution française Mélanges de littérature et d'histoire Pensées, maximes et anecdotes - Précis de l'art dramatique ancien et moderne Bibliothèque de Société, achevée par Hérissant Dictionnaire d'anecdotes dramatiques, en collaboration avec Delaporte.

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L'étude du cœur humain aurait pu lui assurer d'autres succès sur la scène. Mais il se contenta d'avoir fait ses preuves, en se mettant à l'unisson des idées de son temps. Les prix qu'il remporta à l'Académie française et à l'Académie de Marseille révélèrent en lui un critique ingénieux et profond, d'une parfaite clairvoyance dans le discernement des beautés. Dans l'Éloge académique, Chamfort a réalisé la perfection du genre La Harpe n'a pas égalé les éloges de Molière et de La Fontaine, ni pour la largeur des vues, ni pour la pénétration et la finesse de l'analyse ni pour l'éloquence même du style.

Le moraliste a laissé des pensées dignes de Vauvenargues et de La Rochefoucauld avec un accent qui n'appartient qu'à lui, un style d'une concision lapidaire, tout en saillies, où l'idée est au verbe ce que l'épée est au fourreau: elle y entre et elle en sort de même, stridente et acérée. Ses mots parfois tombent comme des coups de massue. Il en est qui ont le poids d'un monde (1). Mais quelle misanthropie! Chamfort ressemble à Rousseau il a dans l'esprit un idéal de nature qui lui fait prendre en mépris la société des hommes. Il a été obligé de se mettre au service de la noblesse, lui qui n'aimait que la solitude et la pauvreté. Son cœur s'est aigri outre mesure: il s'est exhalé en termes amers qui font mal. Les pessimistes d'aujourd'hui lui envieraient cette logique du désespoir :

:

« Les fléaux physiques et les calamités de la nature ont rendu la société nécessaire. La société a ajouté aux malheurs de la nature. Les inconvénients de la société ont amené la nécessité du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la société. Voilà l'histoire de la nature humaine! >>

La Révolution lui parut une ère nouvelle pour l'humanité. Le démocrate a jeté ce cri: Guerre aux châteaux ! paix aux chaumières ! Ayant épousé la cause des Girondins, il fut mis en prison en 1794, et il tenta de se couper la gorge avec un rasoir. Il mourut des suites de ses blessures. Triste exemple des aber

(1) C'est lui qui a inspiré Sieyès, en lui disant : « Qu'est-ce que le Tiers-État? Tout. Qu'est-t-il ? Rien. » Toute la révolution est sortie de là. C'est lui encore qui a traduit la devise de la Terreur : la fraternité ou la mort par cette formule : « Sois mon frère, ou je te tue. » Voici une autre de ses pensées : « Il y a un genre d'orgueil dans lequel sont compris tous les commandements de Dieu; il y a un genre de vanité qui cons sept péchés capitaux. >>

rations de l'esprit de système et de la recherche d'un idéal impossible qui méconnaît les lois de la nature et de Dieu. La vraie philosophie n'est pas dans la révolte, elle est dans la résignation.

A ce désespéré de la vie qui acceptait la mort de Caton comme une délivrance, opposons ce langage d'un grand homme visité aussi par le malheur :

<< Quant à moi, je serais mort déjà mille fois de la mort de Caton, si j'étais de la religion de Caton; mais je n'en suis pas : j'adore Dieu dans ses desseins; je crois que la mort patiente du dernier des mendiants sur sa paille est plus sublime que la mort impatiente de Caton sur le tronçon de son épée! Mourir, c'est fuir! On ne fuit pas.

« Caton se révolte, le mendiant obéit; obéir à Dieu, voilà la vraie gloire (1). »

(1) Lamartine. Cours familier de littérature, 1er Entretien.

CHAPITRE IV.

LES DERNIERS POÈTES DRAMATIQUES AVANT LA RÉVOLUTION.

Fabre d'Eglantine Sedaine, Collin d'Harleville,
Andrieux, Ducis.

Nous allons rencontrer, en achevant l'histoire du théâtre à l'approche de la Révolution, des hommes plus intéressants par leur caractère que par leurs œuvres. Ils nous consoleront du spectacle attristant de ces hommes d'orgueil qui ne trouvent pas. leur place dans la société. Ils nous offriront une oasis de paix avant la Terreur.

Nous les grouperons ensemble, pour les mieux faire aimer.

Auparavant il faut dire un mot d'un homme peu estimable, mais que l'histoire ne peut oublier: Fabre d'Eglantine (1) qui, après d'autres essais infructueux, rencontra dans Philinte une comédie digne de Molière, en voulant corriger le Misanthrope. Ce disciple de Rousseau s'est laissé entraîner à toutes les violences de la Révolution et a été conduit à l'échafaud avec Danton qu'il avait servi et qui rougissait de lui. Si Jean Jacques lui

(1) FABRE D'EGLANTINE (Philippe François-Nazaire), né à Carcassonne en 1755, est mort le 5 avril 1794. Il avait pris le surnom d'Eglantine, à la suite d'un succès aux Jeux Floraux. Dès sa première jeunesse, il cultiva la poésie. Dans sa vie errante de comédien, il fit à Liège, pour l'inauguration du buste de Grétry, un poème intitulé: Triomphe de Grétry; à Châlon-sur-Saône. il composa sur cette ville un poème en 4 chants; à Lyon, l'Amateur chagrin. A Paris, ses premières pièces : la comédie des Gens de lettres, et la tragédie d'Augusta échouérent. Il fit jouer encore avec peu de succès le Collatéral, l'Apothicaire, l'Aristocrate, l'Héritière, le Sot orgueilleux, l'Usurier. Ses meilleures pièces, après Philinte, sont l'Intrigue épistolaire, les Présomptueux et les Précepteurs.

apprit à déclamer sur la vertu, il ne lui apprit pas à l'aimer ni surtout à pratiquer comme lui la pauvreté volontaire. Tour à tour acteur, peintre, musicien, orateur, il joua tous les rôles sans en trouver aucun qui fût à la mesure de son ambition et de ses convoitises. Nul n'afficha plus de prétention au talent et à la probité. Mais entre ses mains la morale comme la littérature n'était rien que l'hypocrite instrument de sa fortune. Son Philinte néanmoins serait un chef-d'oeuvre, s'il avait pu y mettre un peu de gaîté et une langue plus correcte. Fabre n'était pas assez amoureux de son art pour s'appliquer à chercher la perfection de la forme. Mais comme conception, comme composition surtout, Philinte est une des pièces les plus remarquables du théâtre français au dix-huitième siècle. On n'a pas construit de plus solide charpente. Tout s'y tient et tout découle du jeu des caractères. On se demande comment un homme aussi personnel a pu réussir dans la haute comédie. Il avait son idéal. Nous allons voir ce qu'il a fait pour le réaliser. Rousseau reprochait à Molière de verser le ridicule sur Alceste, l'honnête homme par excellence, et de donner le beau rôle à Philinte qui pousse l'indulgence jusqu'à l'égoïsme. Fabre, profitant des observations de Rousseau, accentua les deux rôles, en montrant dans Alceste l'homme qui s'irrite contre toute injustice, et qui sauve, à force de dévouement, Philinte, victime de son égoïsme.

Le contraste entre Alceste et Philinte est le contraste du bourru bienfaisant avec l'égoïsme complet de l'homme indifférent pour tout le monde, qui ne songe qu'à lui-même, et qu'il faut sauver malgré lui.

Fabre a montré encore, dans l'Intrigue épistolaire, sa puissance d'invention et de combinaisons dramatiques. Cet homme a manqué à sa nature: il était fait pour être sur la scène un créateur, et il est devenu un révolutionnaire politique de la pire espèce, enviant tout, haïssant tout, uniquement avide d'honneurs. et de richesses. Comme les hommes se connaissent peu ! Parce que Fabre s'irritait de l'injustice du sort, il s'est cru un Alceste, et il n'était, sous une forme féroce, qu'une contrefaçon de Philinte l'égoïste envieux substitué à l'égoïste indifférent. Donnez à Fabre ce qu'il envie, il sera Philinte et passera, dédaigneux, devant la misère, sans se soucier si elle est imméritée. De tels hommes voient les travers d'autrui, mais ils ne se corrigent pas des leurs.

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