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SECONDE PÉRIODE.

RÈGNE DU SENTIMENT.

CHAPITRE Ier.

LA POÉSIE EN PROSE.

I.

BUFFON.

Buffon (1), sans être un homme de sentiment, a su faire aimer la nature dont il a élevé la science jusqu'à la poésie. C'est pourquoi il a ici sa place. Il mérite d'être particulièrement étudié, non comme naturaliste, car il n'a point parlé la vraie langue de la science, mais comme modèle d'un style portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur, quoiqu'il soit le résultat d'un travail d'une prodigieuse patience. Buffon a consacré à son Histoire naturelle plus d'un demi-siècle, sans se laisser

(1) Georges Louis Leclerc, comte de BUFFON, né à Montbard en 1707 est mort en 1788. Il fut créé comte par Louis XV. Sa statue fut placée, de son vivant, à l'entrée du musée d'histoire naturelle avec cette inscription; Majestati naturae par ingenium. Outre son Histoire naturelle, Buffon a donné une traduction de la statique des végétaux de Hales, de la Théorie des fluxions de Newton, ainsi que des mémoires et morceaux détachés.

distraire par aucune autre occupation. Quand il a commencé cette vaste entreprise, il n'y était nullement préparé il était alors plus mathématicien et physicien que naturaliste. Quelle force de volonté cet homme devait avoir pour concentrer sa vie et ses pensées sur cette unique matière et mener à terme ce gigantesque travail, non seulement sans fatigue, mais en présentant à l'admiration du monde le spectacle d'un homme qui, vieillissant sans vieillir, a terminé sa carrière par son chef-d'œuvre de génie et de style les Époques de la nature. C'est ce qu'a vu le XVIIIe siècle, et ce que ne reverront plus peut-être les siècles futurs, car il faut pour cela tout ce qu'a possédé Buffon : le talent, le génie, une santé robuste et une longue vie, avec les studieux et opulents loisirs d'un grand seigneur. Toutefois il ne faut pas s'y méprendre, son œuvre n'est pas toute à lui: il eut des collaborateurs, comme Daubenton, un vrai savant, assez modeste pour consentir à apporter au maître des matériaux, fruit de ses investigations dans le domaine de la science, avec lesquels Buffon construisait ce beau monument qu'il revêtait de la magnifique ornementation de son style architectural. D'autres même, comme Guéneau de Montbeillard et l'abbé Bexon, l'aidaient en qualité de peintres décorateurs, car dans ce style de Buffon il y avait des procédés parfaitement imitables et que tout homme habile peut saisir. Il revoyait d'ailleurs le travail de ces artistes en sous-ordre, et y donnait le dernier coup de pinceau, comme faisait Rubens avec ses disciples. Buffon n'aimait pas à se charger du détail, qu'il n'abordait — il en a fait l'aveu — qu'avec répugnance. Il lui fallait, à lui, les grandes réflexions, les grands portraits, les grands aperçus, les grandes vues, où il pût mettre la marque de son génie. Pour ceci, il fallait le regard du maître, le reste ne demandait que la main de l'ouvrier.

Buffon, qui était de la patrie de Bossuet, la Bourgogne, et qui fit ses études à Dijon, dut s'éprendre, dès sa jeunesse, de son grand compatriote, dont il contracta la pompe solennelle. Mais ce n'était là pour lui qu'un idéal. Buffon est né coiffé à son château féodal de Montbard, il descendait en chapeau galonné d'or, même pour déjeuner. Il allait à la messe en costume de cour. Et l'on dit qu'il écrivait en manchettes. Le fait est que son style en a. Il se levait tous les jours à cinq heures du matin. Son sommeil était lourd, mais il avait donné l'ordre à son valet de chambre de l'arracher violemment de son lit. Et il se colletait

souvent avec lui. Une fois debout, rien ne pouvait plus l'arracher à sa besogne de toute la matinée. Il fit ce métier pendant cinquante ans. C'était un colosse. On l'entendait marcher de son grand pas majestueux, déclamant ses phrases et les écrivant à mésure. Voilà la longue patience. Mais ceci, était-ce du génie? Non. Buffon avait le génie divinatoire de la science, comme il l'a prouvé dans ses grandes et larges vues sur les époques de la nature, qui ont devancé et créé la géologie; et il avait, ce qui est du génie encore, un idéal de noblesse et de majesté qu'il s'efforçait de réaliser dans ses écrits. Le reste était du talent, mais, il faut le dire, un talent suprême. Il en est et c'est un don exceptionnel qui semblent nés avec leur langue toute faite, incrustée dans leur cerveau. Buffon n'est pas de ceux-là. En voulez-vous la preuve ? Quand il quittait son cabinet de travail pour aller à Paris au jardin du Roi, dont il avait l'intendance, et qu'il paraissait dans les salons de l'aristocratie, il était assez vulgaire, et même, chose étrange, assez trivial dans les abandons de la parole improvisée. Aussi, pour ne pas se compromettre, gardait-il volontiers le silence. Son style était donc le résultat du travail, et non un privilège inné. L'idéal seul était un don de nature.

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Faut-il approuver sans réserve le style de Buffon? non, il a trop d'apparat et trop de dédain pour la simplicité d'exposition qui est un des caractères essentiels du langage scientifique; il croirait déroger en quittant le ton solennel dans l'expression des idées générales. Il ne descend au ton simple que malgré lui, en descendant dans les détails. Son imagination pittoresque lui a grandement servi dans ses descriptions de la terre. Ce qui lui manque pour achever la poésie et l'éloquence de son style, c'est l'émotion qui a fait la beauté pénétrante du style de J.-J. Rousseau et de Bernardin du Saint-Pierre. Buffon est poète par l'image et éloquent par la sonorité grandiose de ses périodes harmonieuses. Mais il y a je ne sais quelle couche de glace dans cette magnificence: lumière qui rayonne sans échauffer; beauté froide, qu'on a justement comparée aux stalactites. On ne sent point les battements du cœur sous la parure de la phrase. Il semble que l'homme dans son orgueil absorbe en lui la grandeur même de cette nature dont il lui est donné d'étudier les lois. Sans doute Buffon fait bien de montrer dans l'homme un collaborateur de l'œuvre de la création. Mais on dirait qu'il n'en

renvoie, en passant, la gloire au Créateur que pour en rehausser l'éclat de son langage. Il n'a pas le sens du divin. Quoi qu'il en soit, ce n'est point par sa science, c'est par son art qu'il s'est placé au rang des écrivains qu'on salue du nom d'immortels.

Pour bien se rendre compte de ses procédés, il faut lire son Discours sur le style. C'est là qu'on découvre le secret de sa grande manière et de sa calme splendeur. Tout y est raison, imagination, art, science, rien n'y est sentiment, chaleur, entraînement, passion. La perfection serait dans l'accord de ces qualités diverses, sans que l'une puisse faire tort à l'autre. Dominer toujours son sujet, comme Buffon, c'est beau; mais céder dans une juste mesure aux courants inspirateurs, c'est entrer plus avant au cœur des hommes comme au cœur des choses. Aujourd'hui, il faut apprendre à écrire vite, je le reconnais. On ne travaille plus guère, comme Buffon, pour la postérité. Mais si l'on veut connaître l'art de bien écrire en écrivant vite, il faut apprendre dans la jeunesse à se hâter lentement. Et les idées de Buffon sous ce rapport sont utiles à méditer et à mettre en pratique, car c'est le secret des œuvres durables.

On s'étonne qu'un penseur qui partageait les idées de Descartes sur la nature physique, et qui ne voyait dans l'univers qu'un mécanisme réglé comme une horloge, qui par conséquent considérait les animaux comme de purs automates, ait pu leur donner dans ses écrits une âme parfois si vivante, et qu'il ait eu même des caresses de pinceau comme il en a pour l'âne et le chien, et des indignations comme il en a pour le tigre. On croirait à certains endroits avoir à faire à un homme de sentiment, mais c'est l'imagination qui a tout fait.

En réalité, Buffon ne voit que l'homme derrière les animaux, comme au fond de la nature. Cette préoccupation fait tort à la nature animale, aussi bien qu'à la nature physique, qu'il n'aime pas pour elle-même, et dont il ne sent pas les harmonies avec l'âme humaine, comme ces grands contemplateurs qui s'appellent Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Lamartine. Il n'a pas non plus pour les animaux l'amour du Bonhomme. C'est l'homme cependant que vise La Fontaine, puisqu'il fait œuvre de moraliste, et que la fable est une allégorie. Mais il aime les bêtes comme s'il était de leur famille. Buffon dresse un piédestal au roi de la création, et c'est en son

geant à lui qu'il appelle aussi le lion le roi des animaux. Parfois, il est vrai, le roi de la création reçoit en pleine poitrine un trait de satire. Il dira du chien qu'il a de plus que l'homme la constance dans ses affections. Satire, allusions, rapprochements, parallèles, ce ne sont là au fond que des procédés littéraires pour animer son langage et intéresser le lecteur à ses descriptions. C'est l'artiste partout qu'il faut admirer plus que le savant; mais il a fait naître, et c'est là sa gloire, le véritable amour de la science, et il a ouvert la voie aux grands naturalistes qui sont venus après lui et qui ont cultivé la science pour la science même, sans se préoccuper d'avance de la pensée religieuse, comme le XVIIe siècle, ne cherchant dans la nature et dans l'homme que la démonstration des grandeurs divines; ni de l'égoïste et orgueilleuse pensée du XVIIIe siècle, cherchant à établir avant tout les titres de la grandeur humaine dans le spectacle de l'univers et dans l'étude des phénomènes de la nature.

Ce qu'on cherche aujourd'hui dans les sciences naturelles, c'est la vérité d'observation, la vérité expérimentale, laissant à la philosophie le soin de reconstruire ensuite par l'induction une synthèse assez vaste pour remonter d'échelon en échelon de la matière jusqu'à Dieu, source vivante de tous les êtres, qu'aucune science ne peut oublier, sans oublier l'âme et la raison des choses.

II.

DIDEROT.

Diderot, (1) qui fut avec d'Alembert le père de l'Encyclopédie, a été considéré comme l'inventeur du drame. C'est une profonde erreur. Le drame moderne, entrevu par Corneille, a été créé au

(1) DIDEROT (Denis) né à Langres en 1712, est mort en 1784. Ses œuvres ont été publiées en 22 volumes. Entre autres écrits, il a donné un Essai sur le mérite et la vertu, imité de Shaftesbury : des Pensées philosophiques; la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient; la partie de l'Encyclopédie qui roule sur la philosophie ancienne et sur les arts et métiers; un Essai sur les règnes de Claude et de Néron; des Mémoires et œuvres inédites, sans compter le Fils naturel, le Père de famille et les Salons.

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