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CINQUIEME LEÇON

Jérusalem et Éphèse sont les deux cités évangéliques. A la première nous devons la tradition fixée par les Synoptiques, à la seconde l'évangile selon saint Jean. Entre la tradition des Synoptiques et l'évangile de Jean, il y a des différences qui peuvent en partie s'expliquer par des différences de milieu et de moment, de vocation et d'inspiration, qu'il importe d'analyser avec soin pour mieux comprendre aussi bien les Synoptiques que saint Jean.

Éphèse était un des ports les plus commerçants de la Méditerranée grecque. Elle était à l'Asie Mineure ce qu'Antioche était à la Syrie, Corinthe à la Grèce, Alexandrie à l'Égypte. Les «< marchands de la terre » dont parle l'Apocalypse (xvIII, 9-24), ceux qui trafiquent de l'or, de l'argent, des perles, de la soie, de la pourpre, des bois odoriférants,

de l'ivoire, des parfums, du vin, de l'huile, du blé, des brebis, des chevaux, des esclaves et même «< des âmes des hommes »; et, avec les « marchands de la terre »>, tous les pilotes, tous ceux qui naviguent, tous les bateliers, tous ceux qui << travaillent la mer », tous ceux «< qui ont des vaisseaux en mer », tout ce monde actif et bruyant, l'auteur de l'Apocalypse avait pu le voir aller et venir sur le port et dans les rues d'Éphèse. Ce n'était plus, comme à Jérusalem, un lent mouvement de prêtres et de pèlerins juifs, mais une infinie activité de Grecs, de Syriens, de Romains, de Juifs, une fourmilière de levantins de tout accent affairés autour de tous les trafics et de tous les métiers.

Au nombre de ces « marchands de la terre »>< que les navires débarquaient quotidiennement dans le port d'Éphèse, on vit un jour arriver deux juifs, un homme et une femme tous deux ouvriers : ils étaient tapissiers ou fabricants de tentes. Le mari s'appelait Aquila et la femme Priscille. Ils étaient bien l'indice de cette perpétuelle circulation dans laquelle vivaient les juiveries du monde gréco-romain. Originaires de la province de Pont, ils s'étaient trouvés à Rome en 51, au moment où l'empereur Claude en chassait les Juifs sous prétexte qu'ils faisaient du tumulte à l'instigation d'un certain Chrestus, comme le rapporte Suétone. Aquila et sa femme avaient passé à Corinthe. C'est à eux

que Paul, tapissier comme eux, avait demandé l'hospitalité, en 53, lors de son premier séjour à Corinthe. En 54, ils avaient quitté Corinthe en même temps que Paul, et, tandis que l'apôtre gagnait Antioche, ils s'étaient arrêtés à Éphèse.

Aquila et Priscille trouvèrent à Éphèse des missionnaires et des fidèles de leur foi. Si vous vous rappelez ce que nous vous disions dans notre première leçon de ces juifs hellénistes, que nous vimes apparaître dans l'église de Jérusalem, vous reconnaîtrez aisément que ces missionnaires et ces fidèles d'Éphèse étaient de ces hellénistes instruits et discuteurs, mais capables de trouver dans leur éducation juive libérale le goût des idées nouvelles et des conciliations décevantes. Et donc en 54, il Ꭹ avait à Éphèse des chrétiens, des «< disciples >> disent les Actes (XIX, 1), des disciples qui n'avaient reçu. que le baptême de Jean et qui ne connaissaient pas le Saint-Esprit.

Ils avaient été évangélisés par des hellénistes qui leur avaient prêché ce christianisme incomplet. Et Apollos était un de ces hellénistes. Aquila et Priscille, à leur arrivée à Éphèse, s'étant rendus à la Synagogue, y entendirent Apollos «< parler avec assurance »> (ACT. XVIII, 26): il ne semble pas que cette prédication scandalisât les juifs hellénistes qui l'entendaient, comme si elle n'eût rien contenu de révolutionnaire. Ce fait est très singulier, car vous

vous rappelez combien il en avait été autrement de la prédication de saint Etienne aux hellénistes des synagogues de Jérusalem! Cet Apollos, un alexandrin, était éloquent et puissant dans la science des Écritures. Il connaissait Jésus et «< enseignait exactement ce qui concernait Jésus ». Les Actes ajoutent qu'il avait été «< instruit de la voie du Seigneur », et qu'il avait un zèle ardent, mais qu'il ne connaissait que le baptême de Jean. Aquila et Priscille se rapprochèrent de lui et s'appliquèrent à lui « exposer plus exactement la voie du Seigneur »> (ACT. XVIII, 26). Le fait de ne connaître que le baptême de Jean, c'est-à-dire le baptême de la pénitence personnelle, prouve que ces premiers convertis d'Éphèse n'avaient point la notion du mystère de la croix, ou que, par condescendance pour les juifs que ce mystère révoltait, leur libéralisme s'était accommodé d'un christianisme évidemment très différent de celui de saint Paul et des apôtres.

Un an plus tard, en 55*, Paul, de retour d'Antioche, rejoignait Aquila et Priscille à Éphèse. Sa mission y devait durer plus de trois années. Ce fut une des plus pénibles missions de l'apôtre. Il fait allusion d'un mot à ces difficultés, dans sa première épître aux Corinthiens, écrite d'Éphèse en 58 : « Une porte s'est ouverte à moi grande et pleine de promesses, mais les adversaires sont nombreux » (XVI, 9). Ce mot n'est prononcé par Paul que sur

la fin de son séjour à Éphèse, et si cette porte s'est ouverte, c'est donc que longtemps elle fut fermée? D'autre part l'auteur des Actes (XIX, 8-9) témoigne que l'apôtre n'avait été reçu dans la synagogue des juifs que pendant les trois premiers mois de son séjour à Ephèse; que, passé ce temps, les juifs ne l'avaient plus voulu entendre et qu'il s'était alors établi dans une sorte d'école appartenant à un Grec du nom de Tyrannos. Il y a lieu de croire que c'est là-même qu'il avait rencontré ces <«< adversaires nombreux » auxquels son épître fait allusion. Et lorsque, après tant de mois de prédication quotidienne, il sentait l'ouverture se faire et des promesses s'annoncer, une soudaine tribulation, dont le livre des Actes a noté seulement les épisodes publics, vint mettre un terme prématuré à cette mission de l'apôtre. Vous connaissez le récit des Actes (XIX, 23-40). Il y est question d'une émeute populaire provoquée par les argentiers du temple d'Artémis. Mais le récit très coloré et vivant du livre des Actes ne dit certainement pas tout. Saint Paul, qui écrit ses épîtres dans l'émotion même de l'action, en laisse deviner bien davantage dans cette phrase écrite aux Corinthiens (II COR. 1, 8-9), au lendemain de sa sortie d'Éphèse : « Nous ne voulons pas que vous ignoriez, mes frères, la tribulation. qui nous est survenue en Asie et qui a été excessive à ce point que nous en avons été accablés au-des

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