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saint Mathieu, rapporte pour plus des deux tiers de son évangile les mêmes faits et les mêmes discours avec les mêmes traits et les mêmes termes que saint Mathieu. Le médecin grec et le publicain helléniste mettaient le même religieux respect à recueillir chacun dans le ciboire de son évangile les saintes parcelles de la vie et de la parole de Jésus. Et tandis que les divers écrivains de l'époque apostolique, le rédacteur de l'épitre aux Hébreux, saint Paul, saint Clément, saint Ignace, garderont l'individualité de leur style, saint Mathieu et saint Luc, écrivant tous deux en grec, se sont rencontrés à écrire dans une même manière, à écrire ce grec inouï qui est celui de nos trois premiers évangiles, ce grec à petites phrases disjointes, « où la vieille syntaxe est totalement brisée, où sont transportés par un véritable tour de force, l'allure claire et enfantine de la narration hébraïque, le timbre fin et exquis des proverbes hébreux », et où nous reconnaissons comme l'accent même, populaire et choisi, qui a dû être celui de Jésus et de ses apôtres galiléens.

TROISIÈME LEÇON

et

Nous avons vu comment le témoignage non écrit des apôtres avait été d'abord tout l'évangile, comment cet évangile non écrit s'était fixé en un certain nombre de rédactions dont nous avons caractérisé et daté les deux que l'on appelle l'évangile selon saint Luc et l'évangile selon saint Mathieu.

Ces deux rédactions supposent des sources auxquelles leurs éléments ont été puisés. Nous étudierons ces sources aujourd'hui, et premièrement l'évangile selon saint Marc.

L'évangile selon saint Marc a ceci de caractéristique, avant tout, qu'il n'est pas possible d'y découvrir de trace de ces préférences que saint Luc et saint Mathieu témoignaient à tel ou tel aspect de l'enseignement de Jésus. Vous ne ne trouverez pas

chez saint Marc la parabole du bon Samaritain, non plus que la malédiction des scribes et des pharisiens. Le fait d'être ainsi détaché des prédilections auxquelles saint Luc et saint Mathieu étaient au contraire si sincèrement attachés, est d'autant plus frappant que l'évangile de saint Marc a été rédigé dans des conditions qui ne sont pas très différentes de celles où Mathieu et Luc écrivirent. Il écrivit, en effet, pour des lecteurs qui n'étaient ni de Palestine, ni de race juive. Lorsque des pharisiens viennent représenter à Jésus qu'il permet à ses disciples de manger sans s'être d'abord lavé les mains, et de violer ainsi la «< tradition des anciens » rabbis, saint Marc s'arrête pour expliquer au préalable que « les pharisiens et tous les juifs ne mangent rien sans s'être lavé les mains plusieurs fois, selon la tradition des anciens... et qu'ils ont beaucoup de pratiques ou traditions de ce genre, comme de laver les coupes, les mesures et les vaisseaux où ils mettent ce qu'ils boivent.» (MARC. VIII, 2-4.) Évidemment cette explication, et plusieurs autres semblables, s'adresse à des chrétiens qui n'étaient jamais entrés dans une maison juive. D'autre part ces chrétiens sont de ceux qui comprennent et qui parlent un grec mélangé de mots latins et de tournures latines: ni en Syrie, ni en Achaïe, ni à Alexandrie on n'aurait appelé un centurion xevtupíov comme fait saint Marc. Semblables expressions latinisantes lui sont fami

lières, lorsqu'il rappelle le trait de la veuve qui apporte au Temple sa petite aumône, il nous dira (XII, 42), et saint Luc aussi (xxI, 2), que cette pauvre femme mit deux λɛñ¬à dans le tronc : les lecteurs de Luc savent ce qu'est cette monnaie grecque de cuivre, mais les lecteurs de Marc ne le savent sans doute pas, car il ajoute : deux λentà font un quadrans, c'est-à-dire une monnaie latine. Les lecteurs de Luc usaient donc de monnaie latine?

Les lecteurs font plus encore qu'ignorer les usages des juifs : ils semblent ignorer l'Ancien Testament. Saint Mathieu faisait appel aux prophéties messianiques pour les montrer accomplies en Jésus : ses lecteurs connaissaient donc les prophéties et admettaient l'autorité de l'Ancien Testament, mais saint Marc ne cite jamais l'Ancien Testament et ne fait pas allusion aux prophéties. Saint Luc parlait de la loi et des prophètes (Luc, XVI, 16), encore qu'il en parlat comme d'une autorité abolie depuis la proclamation du royaume de Dieu par Jean-Baptiste : saint Marc n'imagine pas que ses lecteurs se préoccupent de Moïse. D'où l'on peut conjecturer que les lecteurs de Marc, pas plus qu'ils n'étaient entrés dans des maisons juives, n'avaient été initiés à l'Ancien Testament.

Marc s'adresse en eux à ce sentiment religieux, si vif dans les âmes païennes, qu'il les rendait plus sensibles, que les juifs mêmes, au divin dans le

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