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I

INTRODUCTION

L'

E christianisme est une valeur de l'esprit universel qui a ses racines

au plus intime de l'individualité humaine. Les jésuites disent que sa fin est de résoudre l'affaire de notre salut individuel et personnel, et bien que ce soient principalement les jésuites qui parlent ainsi et font de la religion un problème d'économie appliquée aux choses divines, nous accepterons leur point de vue comme un postulat préliminaire.

Le christianisme étant un problème strictement individuel et, par là, universel, je me vois obligé d'exposer brièvement les circonstances de nature personnelle et privée dans lesquelles cet écrit qui se présente à toi, lecteur, a été entrepris.

La tyrannie militariste de ma pauvre patrie espagnole m'avait confiné dans l'île de Fuerteventura, où j'avais pu enrichir mon expérience intime religieuse, et même mystique. J'en fus tiré par un voilier français qui m'amena en terre française pour que je m'établisse ici, à Paris, où j'écris ceci. Dans une espèce de cellule, près de l'Arc de l'Étoile. Ici, dans ce Paris, tout bourré d'histoire, de vie sociale et civile, et où il est absolument impossible de se réfugier en quelque coin antérieur à l'histoire et qui, par conséquent, lui puisse survivre. Ici je ne puis contempler ni la sierra, presque toute l'année couronnée de neige, qui, à Salamanque, nourrit les racines de mon âme, ni le désert, la steppe qui, à Palencia, où se trouve le foyer de mon fils aîné, repose mon esprit, ni la mer sur laquelle chaque jour, à Fuerteventura, je voyais naître le soleil. Ce fleuve même, cette Seine, n'est pas le Nervion de mon pays natal, Bilbao, où l'on sent le pouls de la mer, le flux et le reflux de ses marées. Ici, dans ma cellule, à mon arrivée à Paris, je me nourrissais de lectures et de lectures un peu choisies au hasard. Au hasard, qui est le principe de la liberté.

C'est dans ces circonstances indivi

duelles, j'ose dire de nature religieuse et chrétienne, que M. P.-L. Couchoud vint me demander que je lui fisse un cahier pour sa collection, Christianisme; et ce fut lui qui me suggéra, entre autres, ce titre de l'Agonie du Christianisme. Sans doute connaissait-il mon livre du Sentiment tragique de la vie.

Lorsque M. P.-L. Couchoud me surprit avec son invitation, je lisais l'Enquête sur la Monarchie, de M. Charles Maurras, j'étais bien loin des Évangiles!

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l'on nous sert, dans des boîtes à conserves en fer-blanc, de la viande déjà pourrie, provenant des abattoirs de feu le comte Joseph de Maistre.

Dans ce livre si profondément antichrétien, j'ai lu ceci, du programme de 1903 de l'Action Française: «Un vrai nationaliste place la patrie avant tout; il conçoit donc, il traite donc, il résout donc toutes les questions politiques dans leur rapport avec l'intérêt national. » A cette lecture, je me rappelai la parole : « Mon royaume n'est pas de ce monde, » et je pensai que, pour un véritable chrétien,

si tant est qu'un véritable chrétien soit possible dans la vie civile, toute question politique ou autre, se doit concevoir, traiter et résoudre dans sa relation avec

l'intérêt individuel du salut éternel, de l'éternité. Et la patrie? La patrie d'un chrétien n'est pas de ce monde. Un chrétient doit sacrifier la patrie à la vérité.

La vérité! « ... On ne trompe plus personne, écrivait Renan, et la masse de l'espèce humaine, lisant dans les yeux du penseur, lui demande sans ambages si au fond la vérité n'est pas triste. »

Le dimanche 30 novembre de cet an de grâce 1924, j'assistais à l'office divin de l'église grecque orthodoxe de SaintÉtienne qui est près d'ici, rue GeorgesBizet, et, en lisant, sur le grand buste peint du Christ qui emplit le tympan, cette sentence, en grec, qui dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie », je me sentis de nouveau dans une île et je pensai - je rêvai plutôt que le chemin et la vie n'étaient peut-être pas la même chose que la vérité et qu'il pouvait y avoir quelque contradiction entre la vérité et la vie, car la vérité nous peut tuer et la vie nous maintenir dans l'erreur. Et ceci me fit penser à l'agonie du christianisme, à son agonie en soi et en chacun de nous. D'ailleurs le christianisme se conçoit-il hors de chacun de nous ?

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Et voici où repose la tragédie. Car la vérité est quelque chose de collectif, de

social, voire de civil; est vrai ce sur quoi nous nous mettons d'accord. Le christianisme est quelque chose d'incommunicable. Et c'est pourquoi il agonise en chacun de nous.

Agonie, aywvia, veut dire lutte. Agonise celui qui vit en luttant; en luttant contre la vie même. Et contre la mort. C'est l'oraison jaculatoire de sainte Thérèse de Jésus : « Je meurs de ne pas mourir. >>

Ce que je vais t'exposer ici, lecteur, c'est mon agonie, ma lutte chrétienne, l'agonie du christianisme en moi, sa mort et sa résurrection à chaque moment de ma vie intime.

L'abbé Loyson, Jules-Théodose Loyson, écrivait à son frère, le P. Hyacinthe, le 24 juin 1871 1:

« On trouve, ici, même ceux qui t'ont le plus soutenu et qui n'ont aucun préjugé, que tu écris trop de lettres et ayant trop un caractère personnel, surtout dans un moment où toutes les préoccupations sont absorbées par les intérêts généraux. Crains que ce ne soit de la part de tes ennemis une tactique de t'attirer sur ce terrain pour t'y épuiser. »

Eh bien, dans l'ordre religieux, et surtout dans l'ordre de la religion chrétienne,

1. Albert Houtin, Le Père Hyacinthe, prêtre solitaire, 1893-1912. Paris, 1924.

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