Obrazy na stronie
PDF
ePub

et en agonie, la foi en la conception historique de l'histoire, en la conception personnaliste ou spiritualiste.

Persona, en latin, était l'acteur de la tragédie ou de la comédie, celui qui joue un rôle. La personnalité est l'œuvre que l'on accomplit dans l'histoire.

Quel fut le Socrate historique, celui de Xénophon, de Platon, d'Aristophane ? Le Socrate historique, l'immortel, ne fut pas l'homme de chair, d'os et de sang qui vécut à telle époque, à Athènes, mais celui qui vécut en chacun de ceux qui l'entendirent, et de tous ceux-ci se forma celui qui légua son âme à l'humanité. Et lui, Socrate, vit en l'humanité.

Triste doctrine! Sans doute... la vérité au fond est triste... « Mon âme est triste jusqu'à la mort! » (Marc, xiv, 34). C'est une dure chose que d'avoir à se consoler avec l'histoire. L'âme est triste jusqu'à la mort, mais c'est la chair qui l'attriste. << Malheureux que je suis! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » (Rom., vii, 24) criait saint Paul.

Et ce corps de mort, c'est l'homme charnel, physiologique, la chose humaine; et l'autre, celui qui vit dans les autres, dans l'histoire, c'est l'homme historique. Seulement, celui qui vit dans l'histoire

[ocr errors]

veut vivre aussi dans la chair, enraciner l'immortalité de l'âme dans la résurrection de la chair. Telle fut l'agonie de saint Paul.

L'histoire, d'autre part, est réalité, autant ou plus que la nature. La personne est chose, car chose dérive de causa. Et même en narrant l'histoire on fait de l'histoire. Les doctrines personnelles de Karl Marx, le juif sadducéen qui croyait que les choses font les hommes, ont produit des choses. Entre autres, la révolution russe actuelle. Aussi Lénine était-il bien plus près de la réalité historique lorsque, comme on lui faisait observer qu'il s'éloignait de la réalité, il répliqua : « Tant pis pour la réalité ! »>

Le Verbe fait chair veut vivre dans la chair et, lorsque la mort arrive, il rêve de la résurrection de la chair. « Ce fut d'abord l'idée du Messie et de l'âge bienheureux qu'il doit inaugurer qui fit penser au sort inique des fidèles qui seront morts avant son avènement. Pour corriger cette injustice, on admit qu'ils ressusciteraient et même, pour que l'égalité fût complète, qu'ils ressusciteraient tels qu'ils avaient été vivants. C'est ainsi que naquit ce dogme surprenant de la résurrection de la chair opposée à l'immortalité de l'âme des

Hellènes. » (Th. Zielinski, La Sibylle, p. 46.) C'est du Verbe que l'on crut qu'il avait ressuscité. Le Christ, le Verbe, parlait, mais n'écrivait pas. Dans un seul passage évangélique, aussi le croit-on apocryphe, - au début du chap. vIII du quatrième Évangile, on nous conte que lorsque les Pharisiens présentèrent à Jésus la femme adultère, celui-ci se pencha vers le sol et écrivit avec son doigt sui la terre (Jean, vIII, 6). Il écrivit, avec le doigt nu, sans roseau ni encre, et dans la poussière de la terre, des lettres que le vent put emporter.

Mais si le Verbe, la Parole, n'écrivit pas, saint Paul, le juif hellénisé, le pharisien platonisant, écrivit, ou, mieux peut-être, dicta ses épîtres. Chez saint Paul, le Verbe se fait lettre, l'Evangile devient livre, devient Bible. Et le protestantisme commence, la tyrannie de la lettre. Saint Paul engendra saint Augustin, et saint Augustin Calvin et Jansénius. Et peut-être Keyserling n'est-il pas très loin de la vérité lorsqu'il affirme que le Christ, pendant sa vie, n'eût trouvé l'adhésion d'aucun Paul, d'aucun Augustin, d'aucun Calvin.

Que l'on se pénètre de ce qu'est la loi intime de la contradiction religieuse. Le prologue au quatrième Évangile est l'œu

vre d'un homme de livre, de lettre, d'un homme biblique et non évangélique; il commence par la déclaration qu'au commencement fut le verbe, la parole: èv ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος. Il ne dit pas : Ἐν ἀρχῇ ἦν ἡ Ypaph, au commencement était l'écriture, la lettre, le livre. Certes! Jusque dans le processus embryonnaire de l'homme de chair, le squelette naît de la peau.

[ocr errors]

Vint la lettre, l'épître, le livre; l'évangélique se fit biblique. Et source de contradiction! l'évangélique fut l'espérance en la fin de l'histoire. Et de cette espérance vaincue par la mort du Messie naquit, dans le judaïsme hellénisé, dans le pharisaïsme platonisant, la foi en la résurrection de la chair.

La lettre est mort; dans la lettre on ne peut chercher la vie. L'Evangile selon Luc (XXIV) raconte que, lorsque les disciples du Maître, après la mort de celui-ci, se rendirent, le samedi, à son sépulcre, ils trouvèrent la pierre remuée et non le corps du Seigneur Jésus; et comme ils s'étonnaient, deux hommes aux vêtements resplendissants se présentèrent à eux et leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les cadavres ? » C'est-à-dire : pourquoi cherchez-vous la parole parmi les os? Les os ne parlent pas.

L'immortalité de l'âme, de l'âme qu'on écrit, de l'esprit de la lettre, est un dogme philosophique païen. Un dogme sceptique, accompagné d'une tragique interrogation. Il suffit de lire le Phédon pour s'en convaincre. Peut-être ces pieux païens souhaitaient-ils de mourir, comme les trappistes de Dueñas, de s'endormir pour toujours dans le Seigneur, dans le sein de Dèmèter, la Vierge Mère, d'y dormir sans rêves, de finir par mourir comme les hommes du premier âge, de l'âge d'or, desquels Hésiode nous dit (Les travaux et les jours, 116) qu'ils mouraient comme domptés par le sommeil : θνησκον δ' ὥσθ' ὕπνῳ δεδμημένο..

·

Saint Paul fit biblique l'évangélique, changea la parole en lettre. On l'a appelé l'Apôtre des Gentils. Des païens ? Païen, paganus, signifie, en latin, homme du pago, pagus, paysan, pagensianus. Et le paysan, l'homme des champs, autre contradiction! est l'homme de la parole et non de la lettre. Le païen proprement tel était analphabet. Ou bien, n'est-ce pas plutôt la lettre parlée qui règne dans les campagnes, et la parole écrite qui gouverne les cités ? Nous croyons très peu au Volkgeist des romantiques allemands.

Les analphabets, les illettrés sont, d'or

« PoprzedniaDalej »