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religion, sous peine de périr, une religion individuelle, une « religion », quæ non religat, un paradoxe. Car nous vivons unis les uns aux autres, mais chacun meurt seul et la mort est la solitude suprême.

Avec la désillusion de la fin prochaine du monde et du commencement du règne de Dieu sur la terre, l'histoire mourut pour les chrétiens. Si tant est que les chrétiens primitifs, les évangéliques, ceux qui écoutaient et suivaient Jésus avaient le sens et le sentiment de l'histoire. Ils connaissaient peut-être Isaïe et Jérémie, mais ces prophètes n'avaient rien de l'esprit d'un Thucydide.

P.-L. Couchoud a raison lorsqu'il dit (Le Mystère de Jésus, pp. 37 et 38) que l'Évangile ne se donne pas pour une histoire, une chronique, un récit, une vie ». Il s'intitule Bonne Nouvelle. Saint Paul l'appelle Mystère (Rom., x, 15-16). C'est une révélation de Dieu.

Mais cette révélation de Dieu, ce mystère devait devenir dorénavant pour les chrétiens leur histoire. Et l'histoire, c'est le progrès, le changement; et la révélation ne peut progresser. Bien que le comte Joseph de Maistre parle, avec une dialectique agonique, de « la révélation de la révélation ».

La résurrection de la chair, l'espérance judaïque, pharisaïque, psychique presque charnelle entra en conflit avec l'immortalité de l'âme, l'espérance hellénique, platonique, pneumatique ou spirituelle. Et c'est la tragédie, l'agonie de saint Paul. Et celle du christianisme.

Car la résurrection de la chair est quel

que chose de physiologique, quelque chose de complètement individuel. Un solitaire, un moine, un ermite peut ressusciter charnellement et vivre, si c'est là vivre, seul avec Dieu. L'immortalité de l'âme est quelque chose de spirituel, quelque chose de social. Celui qui se fait une âme, celui qui laisse une œuvre, vit en elle et avec elle chez les autres hommes, dans l'humanité, tant que celle-ci vivra. C'est vivre dans l'histoire.

Néanmoins, le peuple des pharisiens où naquit la foi en la résurrection de la chair espérait la vie sociale, la vie historique, la vie du peuple. Car la véritable divinité des Juifs n'est pas lahvé, mais le peuple juif lui-même. Pour les juifs sadducéens rationalistes, le Messie est le peuple juif lui-même, le peuple élu. Ils croient à son immortalité. D'où la préoccupation judaïque de se propager physiquement, d'avoir beaucoup d'enfants, d'en emplir

la terre la préoccupation du patriarcat, la préoccupation de la race, proles. De là aussi qu'un juif, Karl Marx, a prétendu faire la philosophie du prolétariat et a spéculé sur la loi de Malthus, lequel était un pasteur protestant.

Les juifs sadducéens, matérialistes, cherchent la résurrection de la chair dans leurs enfants. Et dans l'argent, bien entendu... Et saint Paul, le juif pharisien spiritualiste, chercha la résurrection de la chair en Christ, en un Christ historique, non physiologique, je dirai plus loin ce que j'entends par historique, terme qui ne se rapporte point à une chose réelle, mais idéale, il la chercha dans l'immortalité de l'âme chrétienne, de l'histoire.

D'où le doute, dubium, et la lutte, duellum, et l'agonie. Les Épîtres de saint Paul nous offrent le plus haut exemple de style agonique. Non dialectique, mais agonique; car on n'y dialogue point; on y lutte, on y discute.

IV

VERBE ET LETTRE

E

T le Verbe se fit chair et il habita parmi nous et nous contemplâmes

sa gloire, qui est pareille à la gloire du Père. » Ainsi est-il dit au prologue de l'Évangile selon saint Jean (I, 14), et ce Verbe qui se fit chair mourut après sa passion, après son agonie, et le Verbe se fit Lettre. Si vous voulez, la chair se fit squelette, la parole se fit dogme. Et les sources du ciel lavèrent les os du squelette et emportérent son sel vers la mer. C'est ce qu'a fait l'exégèse d'origine protestante, l'exégèse des hommes de la Lettre et du Livre. Car l'esprit, qui est parole, qui est verbe, qui est tradition orale vivifie, mais la lettre, qui est livre, tue. Bien que l'Apocalypse ait ordonné de manger un livre. Celui qui mange un livre

meurt, indéfectiblement. En échange, l'âme respire avec des paroles.

« Le Verbe se fit chair et il habita parmi nous... » Ici nous apparaît la question si débattue, la question, par excellence, agonique, du Christ historique.

Qu'est-ce que le Christ historique ? Tout dépend de la manière de sentir et de comprendre l'histoire. Lorsque je dis, par exemple, ainsi que je l'ai souvent dit, que je suis plus sûr de la réalité historique de Don Quichotte que de celle de Cervantes, ou que Hamlet, Macbeth, le roi Lear, Othello ont fait Shakespeare, plus que celui-ci ceux-là, on crie au paradoxe et l'on imagine que c'est là une façon de parler, une figure de rhétorique. C'est plutôt une doctrine agonique.

Il faudrait distinguer avant tout la réalité de la personnalité du sujet historique. Réalité, dérive de res, chose, et personnalité de personne. Le juif sadducéen Karl Marx croyait que ce sont les choses qui font et qui mènent les hommes; de là sa conception matérialiste de l'histoire, son matérialisme historique, que nous pourrions appeler réalisme, mais nous qui voulons croire que ce sont les hommes, les personnes, qui font et mènent les choses, nous alimentons, avec doute

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