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Ainsi agonise le christianisme.

Mais qu'est-ce que le christianisme? Car il faut procéder, paraît-il, par définitions.

III

QU'EST-CE QUE

LE CHRISTIANISME?

I

L faut définir le christianisme agoniquequement, polémiquement, en fonction

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isme

de lutte. Peut-être vaut-il mieux déterminer ce que n'est pas le christianisme. Ce fatidique suffixe porte à croire qu'il s'agit d'une doctrine, comme le platonisme, l'aristotélisme, le cartésianisme, le kantisme, l'hégélianisme. Mais non. Nous avons en échange un beau mot, chrétienté, qui, en signifiant proprement la qualité d'être chrétien, humanité celle d'être homme, d'être humain, - est arrivé à désigner l'ensemble des chrétiens, la société des chrétiens. Une chose absurde, car la société tue la chrétienté qui est un ensemble de solitaires. Par contre personne ne parle de'

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comme

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platonicité, d'aristotélicité, de cartésianité, de kantianité, d'hégélianité. Et hégélianité, qualité d'être hégélien, n'est pas la même chose que hégélité, qualité d'être Hegel. Cependant nous ne distinguons point entre chrétienté et christité. C'est que la qualité d'être chrétien est celle d'être Christ. Le chrétien se fait Christ. Saint Paul le savait, qui sentait naître, agoniser et mourir le Christ en lui.

Saint Paul est le premier grand mystique, le premier chrétien proprement tel. Bien que le Maître fût apparu d'abord à saint Pierre (V. Couchoud, sur l'apocalypse de Paul, Le mystère de Jésus, II), saint Paul vit le Christ en lui-même ; il lui apparut, mais saint Paul croyait qu'il était mort et avait été enseveli (I Cor., xv, 3-8). Et il criait que si le Christ n'était pas ressuscité d'entre les morts, nous étions les plus misérables des hommes (I Cor., xv, 19). Et quand il fut ravi au troisième ciel sans savoir si son corps l'accompagnait ou s'il se trouvait hors de son corps, car ceci Dieu seul le sait, sainte Thérèse de Jésus nous en reparlera plusieurs siècles après, il entendit des dits indicibles c'est l'unique façon de traduire le ἄρρητα ῥήματα, antithèse dans le style de la mystique agonique, qui est l'ago

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nie mystique, laquelle procède par antithèses, paradoxes et jusque par de tragiques jeux de mots. L'agonie mystique joue avec les mots, avec le Mot, avec le Verbe. Elle joue à créer la Parole, comme peut-être Dieu joua à créer le monde, non pour jouer ensuite avec lui, mais pour jouer à le créer, puisque la création fut un jeu. Et une fois créé, il le livra aux disputes des hommes et aux agonies des religions qui cherchent Dieu. Et dans cet enlèvement au troisième ciel, au paradis, Saint Paul entendit des « dits indicibles »> qu'il n'est pas donné à l'homme d'exprimer. (II Cor., XII, 4.)

Celui qui ne se sentirait pas capable de comprendre et de sentir ceci, de le connaître au sens biblique d'engendrer, de le créer, qu'il renonce à comprendre non seulement le christianisme, mais l'antichristianisme, et l'histoire, et la vie, et aussi la réalité et la personnalité. Qu'il fasse de ce qu'on appelle la politique politique de parti - ou de l'érudition, ou qu'il s'adonne à la sociologie ou à l'archéologie. Non seulement avec le Christ, mais avec toute puissance humaine et divine, avec tout homme vivant et éternel, que l'on connaît d'une connaissance mystique, dans une compénétration d'en

trailles, il en est de même le connaissant, l'amant devient le connu, l'aimé.

Lorsque Léon Chestov, par exemple, discute les pensées de Pascal, il paraît ne pas vouloir comprendre qu'être pascalien ce n'est pas accepter ses pensées, mais c'est être Pascal, devenir un Pascal. Pour ma part il m'est arrivé maintes fois, en rencontrant dans un écrit un homme et non un philosophe, un savant ou un penseur, en rencontrant une âme et non une doctrine, de me dire : « Mais celui-ci, je l'ai été ! » Et j'ai revécu avec Pascal, dans son siècle et dans son atmosphère, et j'ai revécu avec Kjerkegaard à Copenhague, et avec bien d'autres. Ne serait-ce pas ceci d'ailleurs la preuve suprême de l'immortalité de l'âme ? Et eux, ne se sentirontils pas en moi comme je me sens en eux ? Après ma mort je le saurai, si je revis ainsi en d'autres. Déjà aujourd'hui même, certains ne se sentent-ils pas en moi, hors de moi, sans que je me sente en eux ?

Et quelle consolation dans tout ceci! Léon Chestov dit que Pascal « ne porte avec lui aucun soulagement, aucune consolation » et «< qu'il tue toute sorte de consolation ». C'est ce que croient beaucoup, mais quelle erreur ! Il n'est pas de consolation plus grande que celle de la déso

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